Au cour des premiers débats portant sur le projet de loi "pour une République numérique" auprès de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, une critique se fait récurrente : l'aspect protéiforme du texte. Au final pas moins de dix-huit sujets différents, parmi lesquels l'open data, la réutilisation des données privées, la couverture réseau ou même le paiement par SMS. La loi « Pour une République numérique » se veut large, au risque de balayer rapidement certains pans entiers du Web.
Outre la versatilité du texte, un autre rouage de la loi rend les débats complexes : il répond à deux mouvements inverses. D'un côté, il ouvre les vannes de la réutilisation de certaines données personnelles (déjà publiées dans une information publique) afin qu'elles soient exploitées par des start-up (article 3) ; de l'autre, on essaye de « conserver un régime très protecteur » en interdisant aux sites Web d'affirmer un quelconque droit de propriété des données personnelles (article 16).
On permet ainsi à l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) d'accéder aux bases de données de certaines entreprises privées (article 7). Dans le même mouvement, l'idée est de protéger le secret des correspondances privées en ligne (article 22). On autorise désormais chercheurs et statisticiens à disposer de très nombreux fichiers individuels autrefois scellés dans l'administration publique, notamment ceux qui comportent le numéro de sécurité sociale (article 10), mais on permet aussi la portabilité des données privées (possibilité de déplacer ses données privées d'une application à une autre par exemple), etc...
Axelle Lemaire à l'Assemblée Nationale
La loi de la "transparence pour tous"
En cherchant à la fois à ouvrir une économie de la donnée et à protéger les données des utilisateurs, le texte du projet de loi d'Axelle Lemaire tente en somme une pirouette assez délicate. Il s'agit de répondre à une logique d'ouverture des données de tous horizons (celles des administrations publiques, de la recherche, des subventions, de la fiscalité, ... ) tout en offrant aux utilisateurs la garantie que leurs données privées vont être protégées, répondre aux aspirations nouvelles d'un monde de l'information, tout en limitant autant que possible son insatiabilité.Pour ce qui est d'éviter les débordements éventuels de l'économie du Web, le texte n'oublie pas les garde-fous de la neutralité pour les fournisseurs d'accès Internet (article 11) : « un opérateur ne pourra pas décider de réduire la bande passante accordée à certains sites de partages de vidéos et augmenter cette bande passante auprès d'autres sites moyennant paiement »
C'est donc la loi d'un arbitrage d'Etat plus assumé pour le côté éthique, tout comme d'un libéralisme économique plus franc et plus ouvert à un nouveau marché pour les start-up (celui des données publiques et privées), un peu à la manière de la loi Macron qui faisait le pont entre libre concurrence et égalité des chances.
Un conflit avec l'Europe ?
La loi « Pour une République numérique » pourrait toutefois entrer en conflit avec les lois européennes actuellement en préparation sur le sujet. Plusieurs députés de l'opposition estiment que le texte risque de se heurter aux futures règles qu'éditera l'Europe. Certains d'entre eux, notamment Laure de La Raudière (LR) soutiennent avec force cette position. Interrogée par nos soins, la députée estime que le projet de loi soutenu par la secrétaire d'Etat au numérique vient créer "une instabilité parlementaire avec la législation européenne".La loi crée "une instabilité parlementaire avec la législation européenne", estime Laure de la Raudière (Les Républicains)
Dans une interview accordée aux Echos, Axelle Lemaire affirmait pourtant le contraire : « Ce texte a d'abord été notifié à la Commission Européenne et j'ai ensuite et à de nombreuses occasions rencontré les commissaires européens en charge du numérique ». La secrétaire d'Etat précisait à cette occasion que certains points de sa loi avaient été adoptés par le futur texte européen, comme le droit à l'oubli pour les mineurs sur les données personnelles, ainsi que « la mort numérique » (faculté de décider à l'avance d'un héritier de ses données numériques).
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