La loi Lemaire est-elle trop française ?

Alexandre Broutart
Publié le 26 janvier 2016 à 10h15
Le projet de loi d'Axelle Lemaire semble avoir rallumé les rêves d'une France indépendante des firmes américaines. Dans l'opposition, on raille la vision d'un « petit village isolé du reste du monde », une loi trop « franco-française ».

Depuis que le projet de loi « Pour une République numérique » est discuté à l'Assemblée, des enthousiasmes naissent, pour faire du nouveau plan numérique d'Axelle Lemaire un porte-voix de l'exception française. L'idée de pouvoir légiférer sur « l'Internet », a notamment fait naître, entre autres engouements, l'idée d'un OS français « souverain » (groupe écologiste) et celle d'un clavier AZERTY « francisé » (Ministère de la Culture).

Des députés comme Laure de la Raudière ont eu maintes fois l'occasion d'accuser la vision peut-être trop protectionniste de la loi Lemaire. Mais sur le sujet l'opposition est éparse, et d'autres personnalités ont au contraire mis un point d'honneur à parfaire, durant l'examen en Commission ou pendant les débats, un texte qui leur semblait indispensable.

Car il y a une ironie du sort : la loi entend protéger l'innovation française tout en libéralisant un secteur. Remettre, ou tenter de remettre sur un même pied d'égalité les acteurs économiques français avec les géants d'Internet, tout en démultipliant le libre-échange, la libre réutilisation des données par les start-up, si possible françaises.

Ainsi a-t-on pu voir, parmi la petite vingtaine de députés présents dans l'hémicycle mercredi dernier, se réunir soudain les oppositions françaises, André Chassaigne (Gauche Démocrate et Républicaine) et Nathalie Kosciusko-Morizet (Les Républicains) se renvoyer sourires et courtoisies, et s'accorder sur la volonté d'imposer un système de double licence pour la donnée publique (gratuite ou payante si elle est réutilisée pour être commercialisée). « Parce qu'on sait que ce sont eux qui ont les moyens » dira la député de droite ; « parce-que ce sont des monstres, des magnats qui échappent à notre fiscalité » dira le député de gauche, avant de conclure euphorique : « pour une fois qu'on peur lutter ensemble contre le grand capital ! Faisons preuve d'une forme de gourmandise ! »

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Jeudi soir à l'Assemblée Nationale, le vote des amendements de la loi « Pour une République Numérique » s'est terminé à 1h37 du matin.


Répondant à celle qui fut avant elle la secrétaire d'Etat chargée du numérique, Axelle Lemaire plaide à nouveau le libéralisme, tentant de faire comprendre que les retombées économiques seront plus importantes en laissant le marché se faire, sans imposer de redevance : « Je vais vous donner un exemple. Lorsque l'IGN a vendu ses cartes (géographiques) à Google , il l'a fait une fois pour un million d'euros, espérant disposer d'une rente et remettre la vente l'année suivante. Mais en fait il ne l'a fait qu'une fois, car Google avait les moyens de comprendre le fonctionnement de ses cartes et n'a jamais eu besoin de lui acheter les nouvelles. »

Il y a bien eu aussi la position sur les algorithmes. Quand le député Christian Paul (PS) insiste pour que tous les algorithmes (notamment ceux relatifs aux calculs de l'impôt) soient publiés à priori (automatiquement, sans que le citoyen en fasse la demande expresse), Lemaire avance le travail trop lourd pour les administrations qui auraient à écrire tous ces calculs (ils n'existent pas en soi en tant que fichiers). Mais en contrebas, chacun se demande si l'argument affiché est bien le seul, et si le gouvernement ne veut pas aussi mettre certaines limites à la transparence absolue, donnant peut-être raison au député Julien Aubert (Les Républicains) sur le fait qu'« on ne peut pas tout dire à tout moment ».

« Babaorum, Aquarium, Laudanum et Petitbonum »

Pourtant au fond de tant de libérale démocratie, la loi Lemaire est gauloise, assurément. Taillée pour et avec les start-up françaises, elle veut aussi donner l'exemple à la future loi européenne « qui mettrait quatre ou cinq ans à se faire si on l'attendait » (A.Lemaire), et la France fait ses choix propres sur des terrains qui dépassent inévitablement celui du cadre hexagonal, comme celui de la portabilité des données (capacité de transférer certaines données personnelles d'un application à une autre), de la mort numérique ou du droit à l'oubli pour les mineurs.

Pour ce qui est de la neutralité du net (pour qu'un opérateur ne puisse pas décider de réduire la bande passante accordée à certains sites et augmenter celle-là auprès d'autres sites moyennant paiement), la nouvelle loi française dit s'accorder en grande partie avec le texte européen adopté fin novembre, mais en renforçant en plus les pouvoirs de l'Arcep (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes) qui pourront sanctionner lourdement les fournisseurs d'accès internet s'ils ne respectaient pas leurs obligations de neutralité.

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