Alors qu'il fera prochainement son retour sur consoles dans une compilation, aux côtés du Another World de Eric Chahi, Flashback est opportunément l'objet de notre flashback vidéo-ludique hebdomadaire.
Une genèse improbable
Alors que la Megadrive n'est pas encore sortie sur le territoire français, la toute jeune société Delphine Software se met au travail sur un projet de jeu d'action/plateforme ambitieux Flashback. Menée par Paul Cuisset, la petite équipe d'une dizaine de personnes s'affaire alors deux ans durant à la réalisation de ce titre, qui devait à l'origine être une adaptation revisitée d'un film bien connu... Le Parrain.Aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est bien le film de Coppola qui devait, aux prémices du développement, servir d'inspiration au titre. Contacté par l'éditeur britannique U.S. Gold après que celui-ci ait acquis les droits d'adaptation du film, la société Delphine Software se voit donc proposer de travailler sur un jeu et Paul Cuisset émet alors l'idée, pour le moins audacieuse, de transposer l'histoire du Parrain dans le futur. Aujourd'hui, on imagine qu'une telle proposition serait aussitôt rejetée, mais à l'époque U.S. Gold avait demandé à voir.
Un prototype est donc réalisé et soumis à l'éditeur mais sans surprise, U.S. Gold n'adhère pas à cette direction futuriste. Pour autant, cette ébauche est visuellement très prometteuse et Paul Cuisset reçoit carte blanche pour en tirer un titre original. En effet, la technique d'animation utilisée pour la réalisation de ce prototype est la même que celle employée avec succès par Jordan Mechner sur Prince of Persia, la rotoscopie, le tout dans un univers très inspiré par les chefs d'oeuvre du cinéma de science-fiction de l'époque. Il y a donc un potentiel énorme, d'autant plus qu'un certain Another World a déjà ouvert la voie, et U.S. Gold ne s'y trompe pas en accordant sa confiance à Cuisset et son équipe.
Lorsque le développement de Flashback débute, la Megadrive n'est pas encore disponible en Europe et Paul Cuisset commence donc l'écriture des outils de développement sur Amiga 3000. Toutefois, si c'est bien l'Amiga qui accueillera le titre le premier, cela n'est du qu'à un concours de circonstances. En effet, le jeu était dès le départ prévu pour la Megadrive de SEGA mais une fois le développement terminé et le jeu soumis pour validation, il fallut attendre la production des cartouches durant plusieurs mois. Un temps mis à profit pour achever la version Amiga qui sortira ainsi en 1992 tandis que le jeu n'arrivera sur Megadrive que l'année suivante.
Un véritable OVNI sur console
À sa sortie, Flashback fait sensation. Le marché des consoles est alors totalement dominé par le jeu vidéo japonais et les titres provenant de l'archipel sont, pour la plupart, aux antipodes de ce que propose Delphine Software. Paul Cuisset le dit d'ailleurs lui-même : les partis pris artistique et scénaristique du jeu procèdent en partie d'une volonté de se distinguer des canons japonais.Visuellement d'abord. Quand les titres d'action / plateforme de l'époque proposent pour la plupart de gros sprites richement détaillés mais sommairement animés, et des environnements se dévoilant au fil d'un sidescrolling devenu la norme, Flashback fait totalement l'inverse. Le sprite de Conrad et ceux des ennemis sont assez austères mais leurs animations sont d'un réalisme bluffant. Quant aux environnements, il s'agit d'écrans fixes ; un choix technique qui permet d'économiser les ressources de la machine déjà bien sollicitée par la décompression des animations.
Mais Flashback se singularise encore plus côté gameplay, au point d'en être un jeu véritablement déroutant pour les joueurs de l'époque. Conrad dispose en effet de plusieurs allures et postures, de différents types de sauts et même d'un inventaire, qu'il faut apprendre à maîtriser pour surmonter les obstacles, déjouer les pièges, résoudre les énigmes et affronter les ennemis se dressant successivement sur sa route. Et la prise en main n'est pas aisée quand on est alors un gamin habitué aux jeux de plateforme colorés de l'époque !
Bien que prévu dès le début pour une sortie sur Megadrive, le jeu déploie des mécaniques qui n'ont rien d'habituel sur console. Paul Cuisset et son équipe ont jusqu'ici œuvré sur ordinateurs et cela se sent. L'influence des jeux d'aventure que l'on trouve alors sur Amiga saute aux yeux et, à bien des égards, Flashback partage énormément de point communs avec un point'n'click. Ceci à la différence prêt que, se jouant à la manette, ses mécaniques de jeu ont naturellement été transfigurées, converties pourrait-on dire, pour en faire un jeu d'action.
Le panel de mouvements disponibles est alors d'une richesse assez inédite. Cependant, avec une croix directionnelle et trois boutons, l'assimilation des combinaisons de touches qu'il requiert passe par un apprentissage long et douloureux.
C'est pourquoi le premier chapitre du jeu est sans nul doute celui qui aura le plus marqué la plupart des joueurs, compte tenu des innombrables manqués jalonnant le début de l'aventure : roulades involontaires et sauts ratés nous précipitant dans un trou, arme dégainée trop tardivement, mauvaise posture pour faire face à un certain type d'ennemi, on s'emmêle vite les pinceaux et la frustration n'est jamais très loin. Sauf qu'une fois ce laborieux apprentissage derrière nous, Flashback est un bonheur à jouer et aucun de jeu de l'époque ne nous offre autant de possibilités d'action.
Le rejeton génial des meilleurs films de S-F
L'autre grande réussite du titre de Delphine Software, qui en fait définitivement un jeu pas comme les autres, c'est évidemment son univers. Paul Cuisset est un grand amateur de films de science-fiction et les chefs d'oeuvre du genre ne manquent pas à l'époque. Les références de Flashback sautent aux yeux et le titre est un véritable melting-pot d'influences.Un univers futuriste tendance cyberpunk pétri d'influences
Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un œil au synopsis du jeu : Conrad, agent du GBI (Bureau d'Investigation Galactique), voit sa mémoire effacée par sa hiérarchie avant de prendre la fuite. Une fois celle-ci retrouvée grâce à l'aide d'un ami, le joueur comprend que notre héros avait en fait découvert un complot fomenté par des extra-terrestres pouvant se dissimuler derrière une apparence humaine, pour faire main basse sur la Terre.
Si vous êtes un peu cinéphile et/ou passionné de SF, vous devez déjà avoir deux références en tête : Total Recall de Paul Verhoeven et Invasion Los Angeles de John Carpenter. Et les péripéties qui attendent Conrad mobilisent bien d'autres références : les séquences urbaines ne sont pas sans rappeler l'univers de Blade Runner, le jeu télévisé fait sans aucun doute référence à Running Man et comment ne pas songer à Alien aux derniers instants de l'aventure ?
Toutefois, Flashback ne serait pas un tel chef d'oeuvre s'il n'était qu'un patchwork d'influences sans personnalité propre. Or, grâce au travail remarquable des graphistes, le titre propose une belle variété d'ambiances et des écrans d'une grande finesse, s'appuyant sur une direction artistique inoubliable. Mention spéciale aux séquences urbaines, intérieures comme extérieures, certainement les plus inventives du jeu en termes d'architecture et, de notre point de vue, les plus intéressantes à jouer.
Les séquences urbaines comptent parmi les plus réussies d'un point de vue artistique
Cet univers et cette histoire sont également servis par des scènes cinématiques en 3D assez impressionnantes pour l'époque. Une petite prouesse technique réalisée par Delphine Software puisque la cartouche Megadrive accueillant le jeu ne proposait qu'un espace de stockage de 24 Mbits. D'ailleurs, pour la petite anecdote, Flashback est l'un des tout premiers jeux à être écrit sur des cartouches de cette taille et SEGA n'avait même pas encore commencé la production de celles-ci lorsque Delphine Software en commença le développement. Paul Cuisset et son équipe produisirent donc eux-même une cartouche de 24 Mbits afin de soumettre le jeu à la validation de SEGA !
En bref, et c'est sur ces mots que nous nous quitterons pour cette semaine, Flashback aura excellé sur de très nombreux points, comme peu de jeux l'ont fait sur cette génération de consoles. Prouesse artistique, technique et ludique, le jeu de Delphine Software fait partie de ces œuvres rares qui ont su marquer leur temps de leur empreinte.
Flashback est d'ailleurs si inextricablement lié à son époque qu'il n'aura jamais connu de succession à sa hauteur, comme si la modernité échouait à chaque fois à en actualiser les partis pris. Il restera ainsi, probablement pour toujours, le jeu emblématique d'un moment et d'une console... Et c'est très bien comme ça.