Le développement du lanceur Ariane 6, qui doit remplacer l'actuel Ariane 5 qui, lui, a fait son temps, est en très bonne voie. Une inauguration du segment sol est même prévue pour le mois de décembre.
Le lanceur de l'Agence spatiale européenne (ESA), Ariane 5, a effectué son premier vol officiel il y a plus de 23 ans désormais. Entre temps, de l'eau a coulé sous les ponts et de nouveaux acteurs, aux prix plus faibles, ont émergé. Pour se réinventer, ArianeGroup travaille depuis plusieurs années sur une nouvelle version du lanceur, Ariane 6. Celui-ci présente de nombreux aspects innovants qui devraient replacer le lanceur européen au centre de la scène. Pour en parler plus amplement, nous avons rencontré, au Salon du Bourget, le 18 juin 2019, Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs au CNES (Centre national d'études spatiales).
Interview de Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs au CNES
Clubic : Une question très générique mais qui a son importance pour débuter. Où en est Ariane 6 ?Jean-Marc Astorg : Nous nous approchons du premier lancement. Le segment sol, construit par le CNES avec ses partenaires, est pratiquement fini. Nous l'inaugurerons en Guyane, où sera le pas de tir d'Ariane 6, le 12 décembre 2019. Concernant le lanceur, le développement se passe très bien, et nous réaliserons, en Guyane également, les essais combinés. À ce moment-là, nous mettrons ensemble le pas de tir, le lanceur, et nous vérifierons que tout cela fonctionne bien, pour assurer le premier lancement d'Ariane 6 en 2020.
« Ariane 6 va porter trois innovations fondamentales par rapport à Ariane 5 »
En quoi le lanceur Ariane 6 est-il innovant, en comparaison avec Ariane 5 ?
Ariane 6 va porter trois innovations fondamentales par rapport à Ariane 5. Premièrement, la réduction du prix, qui sera divisé par deux. Ensuite, une flexibilité, puisqu'Ariane 6 existera en deux versions, avec deux ou avec quatre boosters, alors qu'Ariane 5 n'existe qu'en une seule version. Cela permet de s'adapter aux besoins des clients, en fonction des masses de satellite, de faire du sur-mesure. La troisième amélioration consiste en la capacité d'allumer l'étage supérieur, pour aller sur des orbites qu'Ariane 5 ne peut pas atteindre aujourd'hui. Nous n'avons pas la possibilité, pour la version actuelle d'Ariane 5, de rallumer l'étage supérieur.
Comment a-t-on pu développer une Ariane 6 plus performante avec la réduction des coûts ? Y a-t-il eu des compromis par exemple ?
En fait, la réduction des coûts vient d'une combinaison de facteurs. Il y a d'abord l'organisation industrielle, qui a été optimisée par rapport à la version précédente. Pour Ariane 6, nous avons utilisé des moyens de fabrication qui n'existaient pas du temps d'Ariane 5. C'est un peu comme en automobile, la façon de produire une voiture n'est pas la même aujourd'hui que dans les années 1990, période dont est issue Ariane 5. En 2020, les choses seront différentes, les usines automatisées.
La seconde raison tient à la technologie. Lorsque l'on regarde les boosters d'Ariane 5, ils sont faits en structure métallique, ce sont des cylindres de métal soudés entre eux pour réaliser la structure. C'est lourd et cher. Sur Ariane 6, ce sera de l'enroulement filamentaire composite, fait en un seul bloc, avec, à l'intérieur, le propergol solide coulé en un seul bloc également, alors que sur Ariane 5, il est coulé en trois blocs, dont l'un en Italie et les deux autres en Guyane.
La concurrence d'acteurs à bas coût comme SpaceX pousse-t-elle tout l'écosystème autour d'Ariane à se dépasser ?
Nous vivons dans un monde de plus en plus compétitif et concurrentiel, et c'est pour cela que nous avons décidé Ariane 6 en 2014, parce que nous arrivions à la limite de l'évolution d'Ariane 5. De plus en plus de pays font des lanceurs aujourd'hui, pas seulement les États-Unis.
« Un lanceur, c'est le produit le plus complexe conçu par l'Homme »
Nous avons appris de l'agence spatiale européenne que c'est une fusée Ariane qui lancera la sonde européenne Juice, mi-2022, qui doit étudier Jupiter. On imagine que c'est une excellente nouvelle ?
En octobre dernier, une annonce a été faite par certains pays européens et par l'ESA, d'utiliser des lanceurs Ariane ou Vega pour lancer des missions institutionnelles européennes. Juice étant un satellite scientifique de l'ESA, financé par les pays européens, il est assez normal qu'il soit lancé par un lanceur européen.
Comment fabrique-t-on, aujourd'hui, un lanceur ? Quelles sont les étapes à franchir ?
Un lanceur est un produit extrêmement complexe. On peut dire que c'est le produit le plus complexe conçu par l'Homme, peut-être avec le sous-marin à propulsion nucléaire. Je ne vais pas vous dire que vous pouvez faire un lanceur depuis votre garage. Il faut aujourd'hui trois ans pour faire un Ariane 5, il en faudra tout de même deux pour faire un Ariane 6.
Tout commence par les moteurs, c'est le plus long à fabriquer. Dans un moteur, il y a la chambre de combustion, qui est une pièce extrêmement complexe faite dans une ébauche de cuivre, etc. Les lanceurs sont réalisés par blocs, les fameux étages. Typiquement, le premier étage d'Ariane 6 sera conçu aux Mureaux, dans les Yvelines ; le second en Allemagne à Brême ; et les propulseurs d'appoint plutôt en Italie. Tout cela s'assemble en Guyane, où débute la campagne de lancement qui dure dix jours et où l'on intègre le lanceur. Ensuite, nous le testons et plaçons le satellite sur le lanceur, en vérifiant son bon fonctionnement. Enfin, il y a le lancement, qui dure 30 minutes.
« Avec Ariane 6, les coûts tomberont à 10 000 dollars, deux fois moins qu'Ariane 5 »
Quel est le coût attendu pour Ariane 6 ?
Si vous lancez un kilogramme sur une orbite géostationnaire, cela vous coûte 20 000 dollars avec Ariane 5. Avec Ariane 6, les coûts tomberont à 10 000 dollars, deux fois moins qu'Ariane 5 donc, et nous avons l'objectif d'ici 2030 d'aller au-delà et de réduire à 5 000 dollars le coût par kilo.
On a pu apercevoir un concours organisé par le CNES, ActInSpace, qui est un hackathon destiné à imaginer les produits et services de demain en 24 heures. Quels sont les objectifs de ce concours, et quelles récompenses sont attribuées aux gagnants ?
Le concours a été imaginé il y a plusieurs années. L'idée de base était de se dire "voilà, dans le patrimoine scientifique et technique du CNES, nous avons des brevets et des idées, nous essayons de les valoriser et d'organiser un concours en attirant de futurs entrepreneurs". L'intérêt est de mettre à leur disposition ces brevets, puis qu'ils proposent un business plan et des solutions techniques en 24 heures. Nous accompagnons les meilleurs dossiers. Au début, les choses se faisaient à petite échelle entre Toulouse et Paris. Mais le succès a été au rendez-vous, l'événement a grossi jusqu'à devenir européen, puis mondial.
C'est un moyen d'attirer les talents. C'est la rencontre entre un patrimoine technique et scientifique qui existe et des entrepreneurs, pour créer les sociétés de demain. Peut-être qu'une licorne sortira de ces concours-là.
Que pensez-vous de la démocratisation de la miniaturisation des technologies, je pense notamment aux nanosatellites ?
C'est vrai qu'aujourd'hui, nous pouvons faire beaucoup plus facilement des satellites et plus facilement des microlanceurs. Un lanceur, ça reste tout de même compliqué, parce qu'il y a une énergie minimale à avoir pour aller en orbite, et lorsque vous regardez le coût d'un lanceur, il y a un plancher en-dessous duquel on ne peut pas descendre. Concernant les microsatellites, il est possible de faire des choses très bon marché, et je trouve ça vraiment bien.
Nous avons initié des développements de nanosatellites, avec un démonstrateur qui sera lancé prochainement. C'est évidemment une activité que nous devons développer.
Merci Jean-Marc Astorg pour votre temps, bon salon !
Merci à vous.