Clubic est allé à la rencontre de Nicolas Capet, le fondateur d'Anywaves, une société française née il y a deux ans qui propose une nouvelle génération de produits adaptés au marché de la miniaturisation spatiale.
L'avènement du numérique a entraîné, au fil des années et des progrès technologiques réalisés dans différents secteurs, une véritable miniaturisation des technologies. Le secteur spatial n'a évidemment pas échappé à cette « mode » que l'on connaît avec le développement massif des CubeSats, ces petits satellites qui offrent des solutions à des entreprises ou des institutions, plus modestes que par le passé.
Portée par un fondateur enthousiaste et passionné, Nicolas Capet, Anywaves conçoit des mini-antennes pour mini-drones et mini-satellites. Clubic a profité du Salon du Bourget édition 2019 pour rencontrer le CEO de la start-up limitrophe de Toulouse, apparue il y a seulement deux ans et qui jouit déjà d'un carnet de commandes bien rempli.
Interview de Nicolas Capet, fondateur, CEO et CTO d'Anywaves
Clubic : Vous concevez deux antennes chez Anywaves, une band-S et une band-X. Pouvez-vous nous décrire chacune d'elles, les différencier, et nous expliquer à quoi elles sont destinées ?Nicolas Capet : L'antenne band-S fonctionne dans des fréquences aux alentours de 2 GHz, 2,3 GHz. Elle est faite pour piloter le satellite, lui envoyer des instructions sur les manœuvres qu'il doit faire, sur ce qu'il doit enregistrer notamment, et recevoir son état de santé, voire quelques données qui peuvent provenir de la charge utile.
L'objectif est de pouvoir être en lien permanent avec le satellite, donc il faut que nous puissions disposer d'une couverture tout autour du satellite, peu importe son altitude, puisque lorsqu'il est libéré en orbite, il faut qu'il se stabilise et peut être orienté n'importe comment. Si on n'arrive pas à l'accrocher à ce moment-là, on peut très bien perdre la mission en entier.
L'antenne band-X, elle, a une fonctionnalité complètement différente, puisqu'elle est là pour rapatrier uniquement des données qui viennent de la charge utile, donc les données de la mission. Cela peut être une caméra qui rapatrie de la donnée. Lorsque le satellite va passer au-dessus de la station d'encrage qui va capter ses signaux, il va falloir vider un maximum de données. Ici, nous fonctionnerons à des fréquences plus élevées, autour de 8 GHz.
Comment ont-elles été fabriquées ? Et surtout, il faut le dire, les antennes sont vraiment toutes petites...
Oh oui, là nous parlons de quelques dizaines de centimètres de côté sur le satellite. Ce sont des objets ridiculement petits à côté de ce qui se faisait historiquement. Concernant la fabrication, nous avons adopté une approche qui est en rupture avec certains, puisque nous sommes une société fabless, c'est-à-dire que nous n'avons pas d'outils de production en interne. Mais nous avons une chance extraordinaire en France, et en particulier en Occitanie, d'avoir un tissu industriel de PME du spatial, puisque cela fait des dizaines d'années que la France est un fleuron technologique dans le domaine. Nous avons tout un tas de partenaires qui ont une expérience et un savoir-faire incroyables. Nous nous appuyons sur des partenaires locaux, tous basés en France, pour produire nos antennes, avec des gros volumes et un vrai niveau de qualité.
« Nous repoussons les limites de la physique »
Est-ce que c'est plus difficile à concevoir justement parce que c'est plus petit ?
Tout à fait, c'est bien plus exigeant puisque là, nous repoussons vraiment les limites de la physique. Au bout d'un moment, quand on veut une certaine performance, il y a un minimum de volume nécessaire, et il faut utiliser des techniques un peu particulières. Nous utilisons des technologies comme des métamatériaux, qui nous permettent de miniaturiser ces antennes au niveau de la conception, tout en conservant de très bonnes performances.
Le niveau de performance d'une antenne de nanosatellite est-il comparable à un modèle plus grand ?
Dans certains cas, non. Mais ce qu'il faut avoir en tête, c'est que ces petits satellites ont plutôt tendance à être en orbite basse, entre 400 et 800 kilomètres d'altitude, là où un satellite géostationnaire culmine à peu près à 36 000 kilomètres. Donc la distance de propagation est sans commune mesure, ce qui fait que lorsque nous sommes en orbite basse, il n'est pas utile d'avoir autant de liens au niveau de l'antenne qu'un satellite qui va être à 36 000 km. Nous arrivons à trouver des compromis, justement, pour pouvoir obtenir de bonnes performances pour réaliser la mission, avec des antennes qui soient suffisamment petites pour être embarquées sur ces petits satellites.
Quelle surface peut-on recouvrir avec une seule antenne ?
Si l'on considère une antenne vraiment fixe, nous développons des produits qui vont rentrer dans une phase de 10x10x10 cm, qui est un standard développé dans le domaine des CubeSats. De notre côté, il faut que les produits génériques, les antennes fixes, puissent rentrer là-dedans.
Mais nous sommes en train de développer d'autres technologies, puisque dans certains cas, ces dimensions-là ne vont pas permettre d'obtenir les résultats souhaités pour réaliser les missions avec la performance attendue. Du coup, nous basculons sur d'autres concepts d'antennes que l'on appelle des technologies d'antennes dépliables. Lorsque l'on met l'antenne dans le satellite au lancement, elle va être contenue dans ces fameux 10x10x10 cm, et une fois qu'elle sera en orbite, nous la déplions pour obtenir des dimensions beaucoup plus grandes, si bien que les antennes, in fine, peuvent se retrouver à être plus grandes que le satellite lui-même.
Nous cherchons toujours des matériaux qui ont de l'héritage spatial et de l'héritage vol, toujours dans cette volonté de garantir un niveau de qualité suffisant pour nos clients commerciaux.
« Avec la miniaturisation, nous arrivons à une rupture complète, et l'approche pour les fabricants de satellites devient complètement différente »
Quel peut être le coût approximatif d'une antenne de nanosatellite ?
Tout dépend des performances et des technologies, mais l'ordre de grandeur peut être de quelques milliers à une dizaine de milliers d'euros environ. Sur des antennes de charge utile, des antennes dépliables par exemple, nous sommes sur une technologie beaucoup plus complexe, qui peut grimper à un ou deux ordres de grandeur au-dessus.
On assiste à une miniaturisation des satellites et des équipements en général, à travers les CubeSats notamment. Comment l'explique-t-on ?
De mon point de vue personnel, la miniaturisation de l'électronique a été l'un des vecteurs forts, poussée par toutes les technologies comme les smartphones. Aujourd'hui, avec des cartes électroniques extrêmement petites, on peut se retrouver avec des puissances de calcul faramineuses. Pour donner un exemple, dans n'importe quel smartphone, il y a beaucoup plus de puissance de calcul que ce qui est embarqué sur Curiosity. Ça vous donne une petite idée... Vu que nous travaillons en orbite basse sur ces petits satellites, nous restons un peu protégés par notre atmosphère, ionosphère, magnétosphère etc., ce qui fait que nous pouvons commencer à embarquer des équipements électroniques qui viennent du sol, et à les faire fonctionner en orbite. Donc nous arrivons à une rupture complète, et l'approche pour les fabricants de satellites devient, elle aussi, complètement différente : aujourd'hui nous allons chercher à approvisionner des composants de série et les assembler intelligemment pour correspondre à la mission, là où le spatial traditionnel avait tendance à faire de la haute-couture, du sur-mesure pour chacune des missions, et finalement développer un produit spécifique pour faire une mission unique.
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Comment développez-vous votre business depuis deux ans ?
Nos clients sont principalement des fabricants de petits satellites, qui vont fabriquer la plateforme et intégrer tout un tas d'équipements (contrôleurs de bord, roues à inertie, antennes etc.). Nous leur fournissons des antennes pour répondre aux besoins de leur mission, et les fabricants sont amenés à vendre un satellite à un client. On s'adresse également directement aux clients finaux, qui vont spécifier la performance de la charge utile, nous allons faire du sur-mesure pour le client final. Le cas échéant, nous pouvons être amenés à développer une antenne directement pour ce client final, qui l'embarquera sur le satellite d'un fabricant.
Votre carnet de commandes se remplit-il ?
Nous sommes assez contents, puisque nous avons déjà dépassé nos objectifs de ventes sur cette année. Nous avons vendu plus de 12 modèles de vol, donc des antennes qui iront en orbite, et à peu près l'équivalent en modèles d'ingénierie, qui sont des premiers modèles achetés pour l'un de nos clients pour faire tous les essais au sol et valider la performance globale du satellite comme son bon fonctionnement. A priori, nous avons de bons contacts avec l'ESA pour pouvoir mettre en orbite l'antenne de navigation que nous sommes en train de développer en ce moment.
Vous avez également un pied sur le marché du drone...
Nous nous positionnons en tant que pur équipementier antenne. La problématique est un peu la même que pour les petits satellites. Des systèmes aéroportés qui étaient faits avec de gros avions ou des hélicoptères facilitaient l'installation d'antennes. Aujourd'hui, sur de très petits drones, là où la masse est un facteur différenciant pour l'autonomie du drone, nous avons une vraie problématique de miniaturisation des antennes.
Nous allons plus nous adresser aux professionnels, là où il y a un besoin fort de performance sur l'antenne, que ce soit pour la disponibilité (garder le contact avec le drone quand il va naviguer hors du champ de visibilité) ou pour rapatrier des données à très haut débit lorsque la mission embarquée va faire son opération et avoir toutes les données en temps réel, plutôt que d'attendre que le drone revienne un peu plus tard pour récupérer les données, les traiter etc.
« Structurer le matériau pour concevoir des antennes optimales sans être contraints par la technologie »
Vous avez une licence exclusive sur une technologie qui structure la matière en 3D pour ajuster les propriétés électromagnétiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C'est une technologie que j'avais brevetée lorsque j'étais au CNES, en 2014. L'une des grosses difficultés, lorsqu'on conçoit des antennes, est qu'on peut acheter quelques matériaux américains avec des valeurs et des épaisseurs standards, l'antenniste devant ensuite se débrouiller, mais ça nous limite beaucoup dans notre manière de concevoir les antennes et d'optimiser les performances.
J'ai donc travaillé sur ce sujet : l'idée est de dire qu'il nous faut un matériau et un procédé générique, permettant ensuite de se doter d'une capacité de concevoir nos pièces à la demande et de manière complètement flexible. C'est là que j'ai eu l'idée d'aller structurer de la matière céramique, qui est un matériau noble pour les applications spatiales, car très résistant à l'environnement, aux radiations et aux températures. Ce matériau, on vient le structurer en 3D pour ajuster ses propriétés électromagnétiques et pour concevoir des antennes, optimales de chez optimales, sans être contraints par la technologie. Derrière on peut les fabriquer en impression 3D pour être extrêmement flexibles dans les formes de pièce que l'on veut faire et avoir une technologie générique que l'on va qualifier une fois, et décliner pour de nombreux types d'antennes différentes.
Comment la société Anywaves est-elle née, Nicolas ?
Anywaves est né du fait que j'ai eu la chance de travailler, depuis une dizaine d'années, dans le domaine des antennes et en particulier pour le spatial, puisque j'ai eu la chance de débuter ma carrière après mon doctorat à l'ONERA au CNES. J'étais en charge de tout en tas d'activités, et notamment beaucoup d'activités d'innovation. J'ai pu travailler avec de nombreux partenaires : universitaires, PME, grands groupes. Tout cela m'a permis de découvrir toutes les technologies qui étaient disponibles, j'ai publié pas mal d'articles scientifiques et déposé plus d'une vingtaine de brevets. J'ai pu m'épanouir dans ce milieu professionnel.
« Dès que nous voulons un système sans fil, nous avons besoin d'une antenne »
L'envie d'entreprendre était là depuis longtemps, mais je n'avais pas les armes, l'expertise, ni le réseau, je n'étais pas prêt à l'issue de mon doctorat. Puis j'ai eu la chance de rentrer dans le vif du sujet, puisque le CNES doit développer l'industrie spatiale française, et c'était ma mission pour les antennes. Est arrivée l'émergence du new space, cette rupture dans notre domaine, où des missions qui étaient initialement faites avec quelques très gros satellites, sont désormais envisagées avec des constellations, soit une multitude de petits satellites. Le problème, c'est qu'il n'y avait pas d'antennes suffisamment performantes à embarquer sur ces satellites. À partir de là, j'ai décidé de créer Anywaves pour proposer une nouvelle génération de produits adaptés à ce nouveau marché.
La société est née en 2017, nous avons récemment fêté notre deuxième anniversaire. Nous sommes huit personnes et serons dix en septembre, sans doute une quinzaine d'ici la fin de l'année.
D'où la passion des antennes est-elle venue ?
L'amour pour les antennes vient de mes études, et même la toute fin des études. J'ai découvert tout ce pan de l'électromagnétisme qui est assez rugueux (les équations de Maxwell ne sont toujours faciles à mettre en oeuvre lorsqu'il faut calculer avec), cette difficulté théorique et conceptuelle que sont les ondes électromagnétiques. Une antenne, à la fin, c'est un objet concret avec de la matière, de la structure, des précisions, ce qui est l'opposé du digital où l'on manipule des choses qui restent abstraites, comme des algorithmes. Cette difficulté entre la complexité technologique et la complexité théorique pour concevoir les antennes m'a attirée. Dans ce domaine-là, on en apprend tous les jours, c'est assez merveilleux techniquement, et c'est quelque chose qui est absolument essentiel et utile, puisque dès que nous voulons un système sans fil, nous avons besoin d'une antenne.