Bonjour, Stéphanie Tramicheck. Quatre mois après une levée de fonds de 40 millions de dollars, comment se porte Etsy ?
La société compte 19 millions de membres actuellement contre 17 millions il y a deux mois pour 1,4 milliard de pages vues par mois. Une belle croissance. Le chiffre d'affaires était de 525 millions d'euros en 2011. Nous comptons des transactions dans 150 pays. Concernant la France, elle est active au niveau des acheteurs et des vendeurs mais nous ne donnons pas les chiffres.
Comment Etsy gagne de l'argent ?
Pour fonctionner, on n'affiche pas de publicité. On compte sur le bouche à oreille. Jusqu'à présent, notre croissance a reposé sur cet aspect communautaire. Notre modèle économique repose clairement sur le volume. Créer une boutique pour le vendeur est gratuit. Mais nous percevons 14 centimes par mise en vente, et 3,5% par vente. C'est peu comparé à un réseau de distribution physique finalement.
La plateforme fonctionne un peu comme un réseau social. Quelle est votre activité sur ce terrain ?
Nous y sommes très présents. On a 935 000 fans sur Facebook et 1,5 million de followers sur Twitter. On a aussi intégré les Open Graph des réseaux sociaux. Sur ce point, nous fournissons des outils aux vendeurs pour mettre en lien leur page Etsy avec Facebook, via le bouton F-connect. Chaque mise à jour sur Etsy sera publiée sur Facebook. Sinon, nous n'avons pas de stratégie de F-commerce car ce serait une deuxième source de commerce, et ce serait difficile à gérer.
Quel est le but d'une telle plateforme finalement ?
Etsy est leader sur le « do it yourself » et n'a pas vraiment de concurrent, même si certains nous ont copiés. Notre volonté est forte : nous voulons changer l'économie globale en jouant un rôle croissant dans le commerce. Nous souhaitons rapprocher le consommateur du producteur. Autrefois, on fabriquait des objets au coin de la rue. Beaucoup d'artisans ont disparu, écrasés par la mondialisation. Eh bien nous, grâce à Internet, nous proposons un artisanat mondialisé. On retrouve ainsi l'origine du produit et cela donne un sens à l'achat.
Votre force, ce sont les multiples boutiques qui fourmillent de produits artisanaux. Pouvez-vous donner des détails sur leur nombre et leur fonctionnement ?
En tout, 800 000 boutiques sont répertoriées et sont segmentées en trois types : le fait main, le vintage (plus de vingt ans) et les fournitures pour les créateurs. Dans le premier cas, une équipe de vingt personnes veille à contrôler l'origine des produits et contrôle les boutiques. Sinon, nous pouvons compter sur la communauté qui s'auto-police.
C'est-à-dire que lorsqu'on est créateur, on déteste les grugueurs, donc on signale les abus. Nous avons fait le choix d'une plateforme globale pour tous les pays car nous refusons toute barrière à la créativité. Aussi, nous voulons faire en sorte que les acheteurs trouvent facilement. Du coup nous n'avons qu'une adresse, etsy.com, toutefois personnalisable selon l'origine géographique.
Par exemple, on peut paramétrer le fait que les produits affichés ne proviennent que de France. Parfois, des produits sont convoités alors que le vendeur n'a pas ouvert le shipping à l'internationnal. Dans ce cas, il peut nous arriver de le contacter pour lui suggérer de le faire. Certains sont étonnés car ils n'imaginaient pas vendre à l'autre bout du monde. Un vendeur m'a raconté combien il était étonné d'avoir exporté ses créations en Corée du Sud et en Australie.
Concernant les produits, la tendance va surtout aux bijoux, à la mode et au vintage. Les accessoires de mariage marchent bien également. Actuellement, Etsy propose 15 millions d'articles à la vente. Mais il n'y a pas de grosse tendance, plutôt des micro tendances.
Ça n'est pas toujours facile de débuter dans le e-commerce. Est-ce que vous accompagnez les créateurs et les vendeurs dans leur démarche ?
Certains commerçants qui vendent un gros volume réussissent à en vivre mais ils sont peu nombreux. Mais je conseille toujours de ne jamais se lancer totalement dans l'aventure en quittant son travail. Il faut monter progressivement et si un jour les ventes sont satisfaisantes, alors on peut, pourquoi pas, quitter son emploi et essayer de vivre de son commerce.
Nous éditons un blog qui propose cent articles et un manuel du vendeur qui les accompagne dans la dimension business. Quel statut adopter ? Comment expédier des commandes ? De quelle manière utiliser Facebook ? Etc. Il y a aussi des formations vidéo sur comment faire de jolies photos pour présenter ses produits et donner envie de les acheter.
Nous avons aussi lancé un programme de bourse pour les vendeurs. Pour les meilleurs, on offre des stands dans des expo-ventes de jeunes créateurs afin qu'ils bénéficient d'un retour en temps réel.
À force de bien former vos vendeurs, n'avez-vous pas peur qu'ils mettent à profit leurs nouvelles compétences apprises sur Etsy pour s'en émanciper ?
La plupart des vendeurs ne finissent pas par s'émanciper car ils craignent d'être perdus s'ils venaient à créer leur propre boutique en ligne. Ceux qui désirent quitter Etsy pour changer de taille et évoluer seuls, nous ne les freinons évidemment pas. Nous sommes contents qu'ils soient passés par notre plateforme. Mais ils sont très peu nombreux. Aux États-Unis, il y a des supers vendeurs qui connaissent un succès fou sur Etsy. Pourtant ils restent. Généralement, ce ne sont pas des gens qui cherchent à réaliser un profit maximal.
Les vendeurs qu'on retrouve sur Etsy sont des déçus des plateformes trop généralistes, qui ne mettent pas la création en valeur et qui noient leurs produits dans des listes d'articles grand public. Notre site propose une communauté et une dimension humaine qu'on ne retrouve pas partout. Etsy est un site très féminin aussi. Mais beaucoup d'hommes y viennent pour acheter des cadeaux. D'ailleurs, nous proposons des articles de toutes les gammes. Ils pourront y trouver par exemple des bagues de fiancailles à 20 dollars, mais j'en ai déjà vu certaines à 20 000 dollars !