En toile de fond de cette affaire, Free Mobile veut tordre le cou aux engagements dans la téléphonie mobile. Sa proie : SFR. Mais officiellement, l'opérateur de la maison-mère Iliad attaque le fournisseur au carré rouge pour « concurrence déloyale » induite par « l'opacité volontairement entretenue sur la mécanique contractuelle ». Free Mobile avait déposé plainte le 18 juillet, le procès a commencé hier, lundi, au tribunal de Commerce de Paris.
En clair, SFR propose pour un même mobile, deux forfaits : l'un de « référence », au prix fort (619,9 euros pour un Motorola Razr HD), assorti d'un forfait mensuel sans engagement et un autre, « attractif » (199,9 euros pour le même modèle, dont 198,9 euros remboursés, soit 1 euro), avec une durée d'engagement d'un an ou deux. Or, pour Xavier Niel, p-dg de Free, « la pratique actuelle qui mélange le prix du service, celui du terminal et une prétendue subvention est une façon de faire du crédit à la consommation déguisé sans se soumettre aux contraintes légales ».
Free Mobile dénonce la variation de prix entre les deux formules. Sur le prix de l'abonnement mensuel, le quatrième opérateur estime le surcoût de 3 à 19 euros entre un forfait avec et sans engagement, et dénonce un taux d'intérêt pouvant atteindre 43%. Pour appuyer son réquisitoire, Free cite une phrase de SFR issue de son forum, laquelle explique le mécanisme : « Lorsque vous avez souscrit votre forfait, vous avez bénéficié d'un étalement du prix de votre mobile de la part de SFR. C'est l'étalement de cette subvention, autrement dit l'achat progressif de votre mobile, qui justifie que vous soyez engagé. »
La juge en charge de l'affaire, Edith Merle, citée par La Tribune, considère pour sa part qu'« un crédit peut prendre de nombreuses formes ». Avec cette phrase, elle abonde dans le le sens de Free. Autre point opaque - la situation est similaire chez Orange et Bouygues Télécom, qui subventionnent aussi leurs forfaits : quid de l'abonné qui, après sa période d'engagement, continue à s'acquitter du même tarif mensuel, incluant alors le remboursement d'un mobile déjà payé, ainsi qu'un taux d'intérêt qui n'a plus sa justification ?
SFR invoque la loi Chatel pour le désengagement
Pour sa défense, SFR argue que les subventions permettent aux usagers de s'équiper en terminaux haut de gamme. C'est d'ailleurs ce qui a permis d'accroître le taux de pénétration des smartphones, dont les modèles haut de gamme valent plus de 600 euros à l'achat. Une somme difficile à assumer en un paiement pour le commun des mortels, a défendu SFR.
La société Stéphane Roussel a également égratigné Free Mobile sur le fait que l'opérateur « n'a pas de réseau et a choisi un modèle terriblement léger quand les autres ont choisi la prise de risque et l'investissement ». SFR a aussi brandi la possibilité pour un client de migrer, dès quatre mois d'engagement, vers une offre moins chère, rendant le prix final du mobile possiblement moins cher que lorsqu'il est acquis sans engagement.
Enfin, la défense de SFR a tenu à préciser que la loi Chatel dispose qu'un client peut se désengager d'une offre dès le treizième mois, à condition de régler une pénalité de sortie équivalant au quart des mensualités de la deuxième année. L'opérateur affirme que ce recours n'est « pas marginal », faisant valoir qu'entre 200 000 et 450 000 de ses abonnés y ont déjà eu recours.
Une échappatoire que ne pourrait peut-être plus emprunter SFR à l'avenir. L'État pourrait supprimer ce point de la loi en raison de la multiplication des offres sans engagement. Ces forfaits ont conquis 1,1 million de clients au deuxième trimestre selon l'Arcep. Leur proportion atteint 26,6% du parc d'abonnés mobiles, soit 13,5 millions de clients.
En cas de décision défavorable, SFR craint une situation de « distorsion de concurrence » dans un marché où les deux autres acteurs, Orange et Bouygues Télécom, s'adonnent aux mêmes pratiques que l'accusé. L'enjeu pour Free est de faire triompher son modèle sans subvention et, en termes d'image, de rendre ses offres plus attractives. Débourser 600 euros d'un seul bloc pour s'offrir un smartphone peut représenter un frein à l'achat, d'où le succès des subventions.
Le quatrième opérateur mobile réclame 29 millions d'euros de dommages et intérêts. Les deux parties seront fixées lors d'une audience fixée au 4 décembre.