Un an, c'est court. D'autant plus après le succès retentissant d'Origins, qui replaçait sur les bons rails une licence à bout de souffle. Alors Ubisoft ne risquait-il pas de retomber dans ses vieux travers en reprenant son rythme effréné d'un Assassin's Creed par an ? Force est de constater que non, tant tout dans Odyssey semble plus juste, plus équilibré. Plus maîtrisé. Et là est quelque part la force de cet énième opus : se réaliser en tant qu'épisode majeur de la licence, alors que personne ne l'attendait là.
S'il ne sort qu'un an après Assassin's Creed Origins, les équipes d'Ubisoft Québec (Assassin's Creed : Black Flag, Syndicate) ont eu trois ans pour peaufiner leur copie. Et si elle n'est pas exempte de ratures disgracieuses, et de quelques pâtés de stylo correcteur, l'ambition générale du titre rehausse généreusement le verdict.
An de grâce 2402 avant Elon Musk
Pour son odyssée antique, Ubisoft Québec nous emmène en l'an 432 avant l'ère commune, en pleine guerre du Péloponnèse, qui a opposé Athènes à Sparte pendant presque trente ans. Sur son île de Céphalonie, Alexios ou Kassandra (les deux personnages jouables) se tiennent judicieusement éloignés des conflits géopolitiques qui mettent à mal l'hégémonie grecque sur l'échiquier mondial. Mercenaire, un juteux contrat vous oblige un beau matin à prendre le large afin de dessouder un général spartiate. Un voyage initiatique faisant office d'élément perturbateur, et qui marquera le départ de l'odyssée du personnage que vous avez choisi d'incarner.Assassin's Creed Odyssey prend son temps pour délier son récit. Le seul prologue dure plusieurs heures, et vous ne commencerez à toucher au dénouement qu'au terme de 40 heures riches en péripéties. Une générosité qui fait écho à l'ampleur générale du jeu, de sa carte et des innombrables activités annexes qui se mettront sur votre chemin. Simplement : Odyssey est l'opus le plus massif jamais sorti des fourneaux d'Ubisoft. L'éditeur, conscient de ses travers, a d'ailleurs fait de son mieux pour rendre les objectifs secondaires bien plus intéressants qu'à son habitude. On n'échappe pas totalement aux "quêtes FedEx", mais on prend acte des efforts qui ont été fait sur le plan de l'écriture - sans tutoyer toutefois la plume d'un The Witcher 3.
L'humanité neuve qui transpire des personnages qui croisent notre chemin n'est pas étrangère à cette immersion plus poussée, tout comme la possibilité de romancer un grand nombre d'entre eux. En effet : les dialogues sont désormais à choix multiples, et certains vous permettront de lier l'utile à l'agréable en poussant le degré d'intimité à son maximum. Des saynètes plus drôles que scabreuses - Ubisoft se rangeant davantage du côté prude des Sims que de la monstration toute relative d'un Mass Effect.
Et cet effort d'immersion fait partie d'un projet plus global porté par Assassin's Creed Odyssey. Jamais, auparavant, le théâtre des opérations d'un épisode de la licence ne nous avait paru si prenant. Des paysages magnifiques (imaginez la région de Toussaint dans The Witcher 3) au dynamisme des villes grecques, en passant bien évidemment par le sound design juste en tout point : nous tenons-là l'opus répondant le plus en adéquation aux aspirations historiquo-divertissantes d'Ubisoft.
Pour autant, des efforts restent à faire quant à la mise en scène générale du titre, toujours trop en retrait, quand elle n'est pas gâchée par des chargements en pleine cinématique. La faute aussi à un moteur physique qui, s'il répond bien aux phases de combat et de parkour, donne à voir des visages parfois trop figés et inexpressifs ; à l'exception, heureusement, des protagonistes Alexios et Kassandra, toujours très bien dans leurs zygomatiques. À ce propos d'ailleurs, et pour conclure la partie dédiée à l'écriture générale du titre, les scénaristes sont enfin parvenus à offrir à leurs personnages principaux un véritable caractère.
Les options de dialogue aident, évidemment, mais même les choix de réponse les plus lisses donnent parfois lieu à des joutes verbales bien senties, s'intégrant parfaitement dans un univers aussi lettré que la Grèce d'Herodote et de Socrate.
La meilleure défense, c'est l'attaque
Moqué par les personnes n'y ayant pas joué comme un pâle ersatz d'Origins, il ne faut pourtant pas longtemps avant de prendre acte des nombreux éléments qui différencient Odyssey de son aîné. Le système de combat est peut-être le plus frappant.Si l'on devait oser une comparaison, on opterait qu'Odyssey est à Origins ce que Bloodborne est à Dark Souls. En d'autres termes : l'épisode grec de la licence d'Ubisoft offre une approche beaucoup plus offensive à ses combats, et ne permet plus de se protéger derrière un bouclier comme le faisait Bayek dans les plaines égyptiennes. Une meilleure lecture de ses adversaires est nécessaires, en cela que pour créer des ouvertures, il faudra parer les attaques en pressant R1+R2 (ou RB+LB) au moment idoine. En découlent des affrontements un peu plus complexes, mais aussi jouissifs en cela qu'ils encouragent à davantage d'audace sur leur exécution.
Sur Origins, le choix de votre approche favorite n'en était finalement pas vraiment un. Les dégâts d'assassinat, de corps à corps et à distance s'amélioraient grâce à l'artisanat. Assassin's Creed Odyssey vous demandera (du moins dans son premier tiers) de choisir de manière plus franche le style de jeu qui vous convient. Exit le crafting et le farming un peu bas du front, et bonjour aux statistiques avancées. Chaque pièce d'équipement vous accorde des dégâts supplémentaire au corps-à-corps, à distance où en assassinat.
Autre nouveauté (ou plutôt, ajustement) : il n'existe désormais plus qu'un seul type d'arc. La flèche guidée et le tir simultané de plusieurs flèches étant désormais relégué à des compétences à débloquer. Car oui : vous disposez désormais d'un total de 12 aptitudes spéciales à déverrouiller grâce à votre expérience. 8 sont dédiées au corps-à-corps, et on retrouve évidemment parmi elles le fameux "coup de pied spartiate" qui vous permet d'envoyer valser vos adversaires par dessus les murailles des forts. Jouissif.
Par conséquent : les premiers moments du jeu peuvent se révéler assez corsés, notamment en mode Difficile. L'assurance vient à mesure que l'on apprivoise le système de combat plus exigeant, et que l'on débloque des compétences rendant les phases d'infiltration et de combat plus intéressantes ; et elles sont nombreuses. Davantage centré sur la force brute, Odyssey vous proposera de nombreuses manières de prouver votre supériorité sur le champ de bataille, et notamment via les missions de Conquête.
Chaque zone de jeu est contrôlée par la faction athénienne ou spartiate, que vous pouvez déchoir en effectuant quelques actions de sabotage. Une fois le pouvoir en place mis à mal, on vous proposera de joindre les rangs de la faction que vous désirez au cours d'une bataille de Conquête où le sang coulera à flot. Des batailles de masse malheureusement un peu répétitives, qui empruntent pourtant quelques bonnes idées à For Honor, un autre jeu de l'écurie Ubisoft.
Un l'Égée mal de mer
Il n'aura échappé à personne qu'Assassin's Creed Odyssey renoue avec les batailles navales qui avaient rendu Black Flag si novateur dans la série. Et si Origins disposait également de quelques passages maritimes, l'Adrestia (le navire de votre protagoniste) revêt une importance centrale dans le gameplay d'Odyssey. Disponible assez tôt dans le jeu, celui-ci peut être amélioré de bien des manières, et vous offre surtout un appétit de la découverte que l'on est ravis de revoir dans un Assassin's Creed. Parce que même si la trame principale nous fait aller de l'avant, d'innombrables et mystérieux rochers vous inviteront à jeter l'ancre pour en percer les secrets.C'est d'ailleurs là l'une des principales qualités de cet épisode : nous redonner l'envie de prendre notre temps, et de profiter du voyage. Une qualité pour l'auteur de ces lignes, mais un défaut qui sera irrémédiablement pointé par les joueurs & joueuses qui appréciaient davantage le relatif dirigisme des précédents opus. Il est vrai que, comme nous le disions plus haut, Assassin's Creed Odyssey est massif, et ce trop-plein d'activités (réparties à parts égales entre quêtes secondaires de qualité et missions insignifiantes) peut décourager.
Parce qu'il faut ajouter aux activités de grimpette, de nettoyage de campements ennemis et de chasse au trésor que nous connaissons bien celles de traque des membres du Culte de Kosmos - les vilains Templiers pas gentils. Pour démasquer les adeptes figurant sur votre tableau de chasse, il vous faudra mener l'enquête et récolter des indices avant d'abreuver les sillons des rues grecs de ce sang impur. Une activité chronophage s'il en est, qui pourrait bien attirer l'attention d'autres mercenaires, missionnés pour vous faire passer l'arme à gauche.
Ce principe, repris en grande partie des Phylakes d'Assassin's Creed Origins, Ubisoft l'a réadapté afin d'en faire une sorte d'indice de recherche, façon GTA. Chaque action malveillante effectuée dans une ville pourra potentiellement être dénoncée par un badaud, qui mettra une prime sur votre tête. Et les mercenaires susmentionnés ayant la fâcheuse tendance de retrouver votre trace au pire moment imaginable (pendant un combat de boss, par exemple) vous mettront bien souvent des bâtons dans les roues.
Bref, vous l'aurez compris : il y a toujours quelqu'un a occire dans Assassin's Creed Odyssey. Mais si cette abondance de choses à faire peut donner le tournis, elle n'est pas autre chose que le respect du cahier des charges d'Ubisoft en matière de Game as a service. Ce principe, érigé en règle d'or par l'éditeur français, veut que chaque jeu puisse être joué à n'importe quel moment de la journée, aussi bien pour une courte qu'une longue session.
Assassin's Creed Odyssey : c'est bien ou pas ?
La réponse à cette question dépendra directement de votre appétence en matière de jeux de rôle au gigantisme assumé. Se lancer dans l'odyssée concoctée par Ubisoft, c'est s'assurer d'une aventure d'au minimum 50 heures, si l'on ne prend pas la peine de gratter la surface. Une omission qui serait bien dommage, tant les équipes de Québec ont méticuleusement soigné les détails de leur jeu.En outre, à tous ceux qui craignent qu'Odyssey ne soit qu'une resucée grecque d'Assassin's Creed Origins, nous répondons qu'il ne faut pas plus de 2 heures pour se rendre compte à quel point ce nouvel opus est différent. Le socle est commun, évidemment, mais Odyssey rajoute de délicieuses épices à un plat déjà savoureux sans assaisonnement. Plus que de chercher à se réinventer, Assassin's Creed opère ici une stratégie de l'ajustement, cherchant à se débarrasser du superflu et d'agrémenter l'aventure de judicieux ajouts.
Et même si le scénario est cousu de fil blanc et que la mise en scène dessert parfois le tragique d'une révélation, jamais les personnages d'un Assassin's Creed n'ont été aussi bien écrits et attachants. Une authenticité dans l'interprétation qui manquait cruellement à une recette de gameplay bien huilée, et qui contribue à faire de cet Assassin's Creed Odyssey l'un (si ce n'est le meilleur) représentant d'une licence qui fêtera le mois prochain ses 11 ans.