Internautes, artistes et industrie de la musique enregistrée s'y retrouvent-ils ?
iTunes Store, la référence du téléchargement légal de musique
Lancé en avril 2003 aux Etats-Unis, décliné en une vingtaine de versions locales depuis, l'iTunes Store du groupe informatique américain Apple reste la référence mondiale du téléchargement légal et payant de musique en ligne après 5 années d'existence.
Les difficultés... Il y a eu des tensions entre Apple et les majors du disque, Universal Music Group, Sony BMG Music Entertainment, Warner Music Group et EMI Group. L'industrie de la musique enregistrée n'a pas apprécié la réflexion de Steve Jobs, co-fondateur et président d'Apple, sur l'avenir de la musique en ligne. Cette réflexion, publiée en février 2007, était centrée sur trois possibilités, dont l'abolition totale des DRM (digital rights management). Or, Apple déclarait, un an plus tôt, à propos de l'article 'interopérabilité' de la loi française sur le droit d'auteur (DADVSI), alors en devenir, « l'application par la France de la directive européenne sur le copyright aboutira à du piratage parrainé par l'Etat ». Mais, jusqu'à aujourd'hui, Apple domine le marché en s'appuyant sur la complémentarité quasi exclusive entre ses terminaux numériques, le baladeur iPod, le smartphone iPhone, et le kiosque iTunes Store. Tous utilisent le format de compression de fichiers audio AAC et le DRM Fairplay, qui n'est pas inviolable comme l'a démontré en 2003 DVD Jon.
Fairplay, comme tout dispositif de gestion de droits numériques, impose des restrictions. Sur iTunes, ces restrictions sont les suivantes : les titres téléchargés sur l'iTunes Store peuvent être lus sur un ordinateur , sous Mac OS X ou Windows, équipé du lecteur média iTunes ou sur le baladeur iPod et le smartphone iPhone ; les utilisateurs peuvent accéder aux titres téléchargés sur le store depuis un maximum de 5 ordinateurs ; ils peuvent faire des copies d'un album ou d'une compilation de titres téléchargés sur 7 cd.
S'il n'est pas encore question d'abolir « totalement » les DRM, l'iTunes Store vend, depuis avril 2007, des fichiers sans DRM (iTunes Plus) qui peuvent être lus sur iPod/iPhone et d'autres baladeurs numériques supportant le format AAC (Advanced Audio Coding), et sur un nombre illimité d'ordinateurs. A ce jour, les titres du catalogue EMI, la première major à s'être lancée dans l'aventure du DRM-less, des titres de labels indépendants et des titres autoproduits, sont proposés sans DRM sur le store, sans coût supplémentaire. Ainsi, sur les 6 millions de titres proposés sur l'iTunes Store US, 2 millions seraient sans DRM. Les titres sans DRM sont encodés 256 kb/s, les titres avec DRM sont encodés 128 kb/s. Pour acheter et télécharger un fichier, facturé 0,99 € le titre, 9,99 € l'album, l'internaute doit disposer d'une carte bancaire ou d'une gift card valide dans le pays depuis lequel il se connecte.
Vers l'illimité... Le modèle adopté par Apple a longtemps été considéré comme « trop rigide » par les maisons de disques, autrement dit pas assez profitable pour elles. D'après le Financial Times, en mars 2008, Steve Jobs aurait engagé des pourparlers avec les quatre majors afin de proposer de la musique en illimité sur iTunes. Jobs serait prêt à modifier le modèle actuel du kiosque, la vente au titre ou à l'album téléchargé. Ainsi, en contrepartie d'un accès illimité au catalogue, la somme versée aux majors sur la vente de terminaux/baladeurs Apple, serait révisée à la hausse. La marque à la pomme, envisagerait également une formule par abonnement sur iTunes. Ainsi, Apple assurerait la croissance de sa plate-forme et les ventes de ses terminaux iPod et iPhone.
Malgré les tensions et les critiques, en janvier 2008, le store a dépassé les 4 milliards de titres vendus, et a généré 70% des ventes de musique en ligne à travers le monde. Aujourd'hui, toute plate-forme de téléchargement légal de musique se positionne par rapport à l'iTunes Store, que ce soit pour proposer un modèle similaire ou pour s'en démarquer.
Les plates-formes compatibles WMA (Windows Media Audio)
Format propriétaire de compression audio développé par le numéro un mondial du logiciel, l'éditeur américain Microsoft, WMA est un des formats les plus populaires avec le MP3.
Les produits Microsoft, dont le lecteur Windows Media Player, le baladeur Zune et le kiosque Zune Marketplace (3 millions de titres au format WMA à 192 kb/s et des fichiers MP3 sans DRM) utilisent bien évidemment le format « maison ». Outre les solutions de la firme de Redmond, de nombreux terminaux, de marques Samsung, Sony, Creative, , etc., et de multiples plates-formes sont compatibles au format WMA et au DRM PlaysforSure. Parmi ces plates-formes : Audible.com, BuyMusic, E-Compil (France), FnacMusic (France), MusicGiants, Napster, Neuf Music (Universal), Puretracks (propose aussi des MP3), Rhapsody (privilégie, comme Napster, l'abonnement et le forfait), SpiralFrog (a opté pour le téléchargement gratuit financé par la publicité), VirginMega, Yahoo Music Unlimited ou encore Nokia Music Store qui vient d'ouvrir en France (accessible depuis un mobile ou un PC avec Internet Explorer).
MP3 sans DRM : Amazon gagne la confiance des majors
Certaines plates-formes de téléchargement légal ont fait le choix de l'interopérabilité en optant, exclusivement ou partiellement, pour des fichiers aux formats MP3 (MPEG Audio Layer 3) sans DRM facturés à la carte et/ou au forfait. La promesse ? Une utilisation possible sur de multiples terminaux et des copies « privées » illimitées. Parmi ces plates-formes : 7Digital (qui propose également des fichiers aux formats AAC et WMA), plate-forme britannique déclinée sur plusieurs marchés européens, dont la France. Les kiosques US : eMusic, PayPlay.FM (qui fournit également des fichiers WMA), Audio Lunchbox (2 millions de titres de labels indépendants et d'artistes autoproduits) et, bien sûr, Amazon MP3. Lancé en septembre 2007 aux Etats-Unis, le service propose depuis janvier 2008 des fichiers sans DRM des quatre majors du disque et de très nombreux labels indépendants. A l'heure actuelle, plus de 2 millions de titres sont accessibles. Amazon occuperait désormais la seconde place du marché US derrière l'iTunes Store... En Europe, le lancement d'Amazon MP3 doit se faire progressivement cette année 2008.
Les réseaux sociaux affûtent leurs armes
Imeem et MySpace, sites communautaires d'origine américaine, ont développé leurs offres respectives autour d'une communauté d'artistes et de musiciens. Imeem est à la fois un réseau social et une plate-forme d'écoute en continu. Ses membres peuvent créer des playlists et les partager avec leurs contacts. L'accès est gratuit, le service est financé par la publicité. D'après Hitwise, avec 25 millions de visiteurs par mois, Imeem serait le 4ème site de divertissement multimédia le plus populaire aux Etats-Unis, derrière YouTube, Google Video et MySpace.
Leader du marché mondial des réseaux sociaux, MySpace (News Corp.), initialement formé en 2004 aux Etats-Unis, avant de s'ouvrir au monde, a confirmé début avril 2008 avoir formé une coentreprise (joint-venture) avec trois des quatre majors du disque : Universal, Warner et Sony BMG. Les partenaires lanceront « dans les prochains mois » un service légal de musique en ligne qui entrera en concurrence avec l'iTunes Store. Basée à Los Angeles, Californie, la coentreprise devrait
porter le nom de la plate-forme existante MySpace Music. Au menu : l'intégralité des catalogues des majors partenaires, du streaming gratuit audio et vidéo financé par la publicité, du téléchargement de MP3 sans DRM, ainsi que des services annexes (personnalisation, création de playlists, sonneries de terminaux mobiles, places de concert, etc.) Dans ce cadre, un service payant de téléchargement par abonnement sera également proposé.
MySpace entend bouleverser un marché en croissance dominé par iTunes, en associant à la diffusion légale et au téléchargement de musique des fonctions d'échange et de collaboration. Il s'agit également pour le réseau social et sa maison mère, News Corp, de ne pas se laisser voler la vedette par Facebook. Challenger de MySpace, Facebook négocie également avec les majors du disque. Pour ces dernières, il est urgent de ne pas se limiter au modèle et aux exigences d'Apple dans la musique numérique. MySpace revendique, à travers le monde, 220 millions d'inscrits (moitié moins de membres actifs), contre 70 millions d'utilisateurs actifs pour Facebook.
« Mad in France »
iTunes Store, FnacMusic (WMA et MP3), VirginMega, E-Compil (Universal) et l'indépendant Starzik forment le top 5 des plates-formes du téléchargement légal et payant en France. A l'exception de l'iTunes Store, tous ces kiosques proposent des paiements mixtes, achat au titre/album ou forfait/carte prépayée. Pour sa part, Starzik commercialise plus de 2,2 millions de titres à ce jour, émanant à parts égales des catalogues des majors, de labels indépendants ou d'autoproductions. Par ailleurs, 700.000 titres sont multiformats : MP3, Flac, Ogg Vorbis, AAC, WMA (le titre est facturé à partir de 0,99 €, l'album à partir de 6,99 €, des forfaits/packs sont également commercialisés).
La musique libre comme alternative
Site de l'Association Musique Libre, Dogmazic, propose en téléchargement gratuit plus de 22.300 titres de 2.300 artistes et de 184 labels, aux formats MP3 et Ogg Vorbis sous licences ouvertes (auteurs et interprètes ont accordé au public un droit d'échange, de partage et de rediffusion). Contrairement à son homologue luxembourgeois, Jamendo (plus de 8000 albums, 50% de ses revenus publicitaires reversés aux artistes), Dogmazic, chantre de « la libre diffusion », n'a pas opté pour le financement publicitaire de son kiosque, mais pour l'autofinancement (adhésions, dons, projets annexes comme la boutique Pragmazic).
Outre le téléchargement, l'écoute en continu de musique (streaming) fait un tabac.
Streaming : Last.fm, Deezer et Jiwa, même combat ?
Précurseur de l'écoute de musique gratuite et légale sur internet, à la fois webradio et site internet communautaire, Last.fm est né du rapprochement entre le britannique Audioscrobbler et le germano-autrichien Last.fm. Rachetée par le réseau audiovisuel américain CBS en mai 2007, la société a conclu un accord avec les quatre maisons de disques et de nombreux labels indépendants. Last.fm intègre outils de recommandation et statistiques, propose un système de partage des revenus publicitaires aux musiciens qui évoluent en dehors du circuit des maisons de disques et des sociétés d'auteur. A ce jour, Last.fm revendique un catalogue de 3 millions de titres et une base de 21 millions d'utilisateurs actifs répartis sur 200 pays, dont la France.
Site multilingue d'origine française d'écoute de musique en mode streaming, Deezer est le premier site du genre en France à avoir conclu un accord avec les sociétés de gestion de droits d'auteur SACEM et SESAM. Le financement du service est assuré par la publicité. Une partie des revenus générés revient aux artistes et aux ayants droit. En janvier 2008, Deezer revendiquait plus de 1,5 million de titres émanant des catalogues de maisons de disques et de labels indépendants (Sony BMG, Because Music, Believe...) Jiwa, cadet de Deezer, a été le premier à signer un accord avec Universal Music. Jiwa propose lui aussi un service gratuit d'écoute de musique illimitée en streaming (format Ogg Vorbis de 128 à 192 Kb/s, utilisation du lecteur Flash d'Adobe), financé par la publicité, dont une partie revient aux artistes, auteurs-compositeurs et maisons de disques.
On peut également citer l'historique Radioblogclub, Musiline d'Orange et des milliers de webradios indépendantes ou embarquées dans des portails et plates-formes du type Yahoo! Music (accès gratuit à 30 webradios et 15.000 clips).
D'autres acteurs ont opté pour du streaming payant. FnacMusic, par exemple via Fnacmusic illimité, propose une écoute illimitée aux 2 millions de titres de sa base pour 9,99 € par mois. Le système n'est pas sans rappeler celui de musicMe : l'offre musicMe illimité donne accès à plus de 1,4 million de titres pour une écoute (sur PC/Mac équipé de Flash Player pour 9,95 € par mois) et des téléchargements illimités (sur PC sous Windows pour 14,95 € par mois, les fichiers sont sous DRM au format WMA à 192 kb/s).
Comment se porte la musique en ligne légale ?
La musique numérique progresse, mais ne rééquilibre pas la chute des ventes de supports physiques. Selon la Fédération internationale de l'industrie phonographique (IFPI), les ventes de musique en ligne ont progressé de 40% en 2007 pour s'établir à environ 3 milliards de dollars (contre 2,1 milliards en 2006), soit 15% du chiffre d'affaires global du secteur de la musique enregistrée. Enfin, l'IFPI estime « le rapport entre le nombre de morceaux téléchargés illégalement et les titres achetés légalement d'environ 20 pour 1 ». Selon les termes de Jérôme Giachino, fondateur et président de Starzik, des progrès restent à faire pour « développer une offre légale de qualité, interopérable et attractive pour les internautes, dans laquelle les artistes puissent déployer leur créativité sans être floués et les acteurs du marché puissent développer leurs activités ».
Info ou Intox ? Starzik a annoncé le 25 avril 2008 « proposer l'intégralité de son catalogue en téléchargement pour 2 millions d'euros ! » Avis aux amateurs ?