Terrible paradoxe pour les équipes de Virgin Galactic. L'avion-fusée VSS Unity vole à présent une fois par mois et réussit enfin sa mission d'emmener touristes et scientifiques à la frontière de l'espace. L'entreprise doit pourtant prendre à bras le corps sa situation financière désastreuse. Continuer ou s'arrêter ?
L'année prochaine, Virgin Galactic fêtera ses vingt ans. Vingt ans que Richard Branson, fasciné par l'avion-fusée SpaceShipOne, a décidé de mettre en place une entreprise destinée à emmener un maximum de monde visiter la « dernière frontière », celle de l'espace. Vingt années difficiles, parce qu'il a fallu passer des promesses irréalistes passées entre 2004 et 2008 à la véritable conception et aux tests d'un avion-fusée capable d'embarquer six passagers (2 pilotes, et 4 passagers à l'arrière, dont un accompagnant). Il a fallu convaincre les investisseurs, attirer des clients, nouer des partenariats, promettre monts et merveilles au Nouveau-Mexique pour obtenir la construction du premier astroport entièrement privé, le SpacePort America.
Des ennuis techniques, des accidents (dont 2 mortels, malheureusement), des soucis de fiabilité, des problèmes de permis, l'égo du patron milliardaire… Virgin Galactic va fêter ses vingt ans, et en 2023, elle a réussi son pari. L'avion-fusée VSS Unity vole une fois par mois depuis mai, les clients sont ravis, le service est incroyable. Et tout ça va s'arrêter.
La bourse n'a plus la cote
Virgin Galactic est une société cotée en bourse depuis 2019. Une manœuvre qui a permis à l'entreprise de lever des fonds, certes, mais qui s'est malheureusement soldée par une lourde dévalorisation au fil du temps. Pourquoi ? Tout simplement parce que les équipes de Richard Branson et David Colglazier ont monté de belles promesses absolument irréalisables du point de vue technique, ce qui implique qu'elles n'ont pu rapporter que des revenus mineurs. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les investisseurs et les gestionnaires de fonds ont fini par comprendre que ce n'est pas avec son avion-fusée que Virgin Galactic allait gagner de l'argent. En tout cas, pas avant d'en avoir toute une flotte, de voler trois fois par semaine et d'embarquer des centaines de touristes-astronautes.
Un nouveau trimestre en berne !
Le titre en bourse a perdu énormément de valeur, et les comptes en banques de Virgin Galactic, encore bien garnis de cash, se vident à un rythme intenable. Prenez le 3e trimestre 2023, qui s'est terminé le 30 septembre. L'entreprise cumule 1,7 million de dollars en revenus, avec pourtant 3 vols à son actif ! Dans le même temps, Virgin Galactic a dépensé 105 millions de dollars. Et même en annonçant fièrement des revenus qui vont « doubler au dernier trimestre », pas besoin d'avoir fait beaucoup de maths au collège pour voir que l'entreprise ne va pas couvrir ses dépenses.
Virgin Galactic a ainsi sobrement annoncé qu'elle poursuivrait les vols du VSS Unity jusqu'à l'été 2024 avec un total de 2 ou 3 vols à venir avant de mettre l'avion au moins sous cocon (et plus probablement à la retraite) pour se concentrer sur le développement de ses futurs appareils « Delta Class ».
L'Imagine… Au placard
Dans le même temps, Virgin Galactic a, sans ambages, mis 185 de ses 1 000 employés sur le carreau : une large partie de l'équipe dédiée aux vols du VSS Unity, et tous les ingénieurs et techniciens travaillant sur le deuxième avion-fusée, le VSS Imagine. Ce dernier, dévoilé l'an dernier, était déjà très en retard pour réaliser son premier vol. Il ne décollera probablement jamais, malgré des équipements de bord censés optimiser la puissance, les surfaces et le profil intérieur pour embarquer 5 à 6 passagers et voler plus régulièrement que son prédécesseur.
Dommage ? Sans doute, mais à quel point était-il prêt ? Virgin Galactic a sans doute estimé que les coûts de la fin du développement, comme pour son exploitation aux côtés du VSS Unity, n'auraient jamais permis de le rentabiliser. Le constat est très simple, même avec deux ou trois vols chaque mois, Virgin Galactic serait très loin du compte. Sauf que… C'est un réveil bien étrange.
Cherche business model (urgent)
En effet, cela fait plusieurs années, y compris « post COVID-19 » (la crise sanitaire fut citée plusieurs fois dans les rapports financiers) que l'entreprise fondée par Richard Branson perd de l'argent. Elle n'en a même, finalement, jamais gagné. Chaque année supplémentaire a été obtenue par des levers de fonds, des prêts de long terme, des parts, l'entrée en bourse, puis la dilution des actions… Virgin Galactic perd entre 350 et 600 millions de dollars par an. Il reste toutefois aujourd'hui 1,1 milliard de dollars dans les comptes, la situation n'est donc pas si horrible, mais les actionnaires s'impatientent, car l'horizon n'est pas rose.
En effet, les futurs appareils de la « Delta Class » ne sont pas prêts à voler, et ils n'ont même jamais été exposés au public. Difficile de les transformer en machine à revenus en moins de 18 mois dans ce cadre, aussi Virgin Galactic a-t-elle choisi de réduire ses dépenses. Même ainsi, le timing sera difficile à tenir. Il faudra en tout cas un processus plus rapide que pour le VSS Unity, qui a démarré ses essais en vols en 2016, avant de passer la frontière des 80 km d'altitude en décembre 2018.
Avant une nouvelle génération d'avion-fusée
D'autre part, Virgin Galactic fait peut-être les frais d'une conception difficile pour ses avions-fusées. En effet, il s'agit tout de même des seuls appareils au monde avec ces capacités. Ce n'est pas tout à fait un avion, avec son moteur-fusée, ses contrôles et son système de queue pivotante. Et ce n'est pas tout à fait une navette spatiale non plus avec ses ailes légères, ses capacités de planeur et ses parois allégées.
Mais à conception unique, contraintes uniques aussi. Il aura fallu presque deux ans, entre juillet 2021 et mai 2023 pour une grande période de maintenance du VSS Unity et de son avion porteur. La cellule de l'appareil était-elle prête pour plus qu'une dizaine de vols ? Ne s'agit-il que d'un problème financier, ou l'entreprise a-t-elle avec son retour d'expérience intégré de nouvelles données qui montrent qu'il n'est pas possible de lui faire subir trop d'allers-retours à la frontière de l'espace ? Après tout, on parle de vols à 3 500 km/h avec une forte accélération, de sensibles décélérations, des vibrations…
À partir de l'été 2024, Virgin Galactic retourne donc « en sommeil » pour les vols suborbitaux. De quoi revenir encore plus fort avec la prochaine gamme d'appareils ? C'est en tout cas le pari actuel, et celui que les gestionnaires de l'entreprise trouvent le plus sensé. Reste qu'avec 10 vols à plus de 80 km d'altitude et 49 passagers au total (28 individus), le VSS Unity a battu de nombreux records et prouvé que techniquement, il était capable de toucher du doigt un véritable service régulier… Fut-il pour de riches passagers et quelques vols scientifiques seulement.
Son seul concurrent, la capsule New Shepard de Blue Origin, est également arrêté au sol depuis septembre 2022 suite à un accident lors d'un vol non habité. Des rumeurs internes (évoquées récemment dans un article d'Ars Technica) pointent également sur un possible arrêt du programme, qui n'est pas du tout rentable.
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