Les essais combinés sont terminés. La prochaine Ariane 6 à prendre cette place va décoller ! © ESA / M. Pedoussaut
Les essais combinés sont terminés. La prochaine Ariane 6 à prendre cette place va décoller ! © ESA / M. Pedoussaut

Philippe Baptiste n'y est pas allé par quatre chemins pour tirer la sonnette d'alarme. S'adressant aux industriels du spatial français, il a plaidé pour accélérer la transition actuelle, réduire les cycles, baisser les coûts... Pour lui, il n'y a pas d'alternative pour un secteur déjà malmené par la concurrence. Il faut bouger, et maintenant !

Le message pourrait paraître étonnant, dans le contexte actuel. En effet, les annonces positives se multiplient depuis la Guyane, en particulier avec le voyage du chef de l'État Emmanuel Macron, qui est allé voir les progrès sur Ariane 6 en début de semaine dernière.

Le nouveau fleuron européen, auquel participe fortement l'industrie française, est sur les rails. Les dates annoncées à l'automne dernier tiennent bon, et le décollage inaugural est toujours prévu entre la mi-juin et début juillet. La campagne de préparation se passe bien, et malgré les 4 ans de retard sur le planning initial, les efforts fournis durant les essais combinés semblent payer leurs dividendes.

La confiance revient, au point qu'il est désormais relativement réaliste d'envisager un deuxième lancement, opérationnel, avant la fin de l’année. Alors, pourquoi Philippe Baptiste, le président du CNES, a-t-il énoncé cette phrase choc en s'adressant aux industriels français et européens lors du séminaire « Perspectives spatiales » cette semaine à Paris ? « Il faut bouger rapidement, réduire les cycles, réduire les coûts, sinon on va tous crever. » Vraiment ?

Le président du CNES, Philippe Baptiste, n'a pas hésité à mettre les pieds dans le plat © CNES
Le président du CNES, Philippe Baptiste, n'a pas hésité à mettre les pieds dans le plat © CNES

Le monde a changé

C'est avant tout une question de perspectives. Ariane 6 a été conçue alors que la Falcon 9 de SpaceX n'avait pas encore démontré sa récupérabilité ni la réutilisation de son premier étage ou de ses coiffes. New Glenn n'était pas annoncée, l'une des principales concurrentes des Européens était la fusée Proton, et l'Inde avait des capacités beaucoup plus limitées. Le monde a changé, et Ariane 6, pour les raisons que l'on connaît, est en retard.

S'il ne sert à rien de tenter de rivaliser avec les 10 décollages de SpaceX chaque mois, la sentence n'est cependant pas irrévocable. Il faut monter en puissance, réussir les 30 lancements déjà dans le carnet de commandes d'Ariane 6 et la rendre encore plus souple d'emploi. Mais... ça coince.

Ariane 6 coûte cher, et avec l'inflation actuelle, les coûts grimpent. ArianeGroup a demandé à ses sous-traitants de faire des efforts, mais l'affaire est sensible. Avec la garantie européenne du retour géographique, les industriels de certains pays sont sûrs de garder leur part du gâteau, qu'Ariane 6 soit concurrentielle ou non. Or, il faut bouger maintenant, pour assurer qu'après 2028, il restera encore de nouveaux contrats commerciaux en plus des commandes institutionnelles.

Il faut aller plus vite et se réinventer

Les responsables du secteur spatial européen, et en particulier les représentants français, tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs années. Signe de l'impulsion que souhaitent donner le CNES et l'État, 400 millions d'euros ont été débloqués sur le plan France 2030, à destination de quatre start-up du NewSpace françaises, sur le modèle américain qui consiste à payer (cher) pour un service de lancement plutôt que de subventionner le développement d'un ou de plusieurs petits lanceurs.

Le projet de composite supérieur Icarus est déjà bien avancé © ESA

D'où le passage de Philippe Baptiste à une phrase choc. Le risque de déclassement est réel : laisser partir SpaceX et sa centaine de décollages annuels, avec une demande en partie autogénérée et autofinancée par Starlink, pourquoi pas. Mais il faut préparer l'avenir rapidement. Starship arrive, et aucun responsable sérieux ne considère encore qu'il s'agisse d'une chimère. D'autres acteurs américains (Rocket Lab, Relativity, Blue Origin) vont engager dans les prochaines années leurs lanceurs plus imposants. Surtout, il faut garder une dynamique, car Ariane 6 est prévue pour évoluer : nouvel étage supérieur, boosters plus puissants, réservoirs en carbone, le tout en préparant une prochaine génération optimisée avec du réutilisable.

Si les industriels français et européens n'arrivent pas à se réinventer et à proposer des solutions rapidement, alors Philippe Baptiste risque bien d'avoir raison. Donner les clés aux Américains et regarder le secteur des lanceurs français crever ? La balle est dans le camp des industriels. Et dans un hangar à quelques centaines de mètres de l'ELA-4 se trouve le site de lancement d'Ariane 6. Plus que jamais, l'échec n'est pas vraiment une option.

Source : Challenges