Dans l'arsenal des grandes puissances militaires, une nouvelle arme risque de bouleverser les équilibres géopolitiques : la technologie quantique. Si celle-ci promet de révolutionner les capacités de défense des nations, elle soulève aussi des questions éthiques fondamentales sur la préservation des droits humains et des libertés individuelles.

 L'intérêt pour les technologies quantiques est immense et partagé par les armées des grandes puissances mondiales. © Melnikov Dmitriy / Shutterstock
L'intérêt pour les technologies quantiques est immense et partagé par les armées des grandes puissances mondiales. © Melnikov Dmitriy / Shutterstock

L'entrée fracassante des technologies quantiques dans le domaine militaire n'est plus de l'ordre de la science-fiction. Le Département américain de la Défense a franchi un pas décisif en 2023, en injectant 45 millions de dollars dans l'intégration de composants quantiques à ses systèmes d'armement. Cette initiative s'inscrit dans une dynamique mondiale où chaque nation cherche à prendre l'avantage.

La course à l'armement et à la défense quantique est bel et bien lancée. Le Royaume-Uni expérimente des systèmes de navigation inviolables et l'Inde développe activement le cryptage quantique de ses communications militaires. La Chine, de son côté, a prouvé il y a moins de 10 jours qu'elle n'était pas en retard dans le domaine et affirme désormais avoir conçu un radar quantique capable de percer les technologies furtives existantes. Quelles seront les implications des technologies quantiques pour la cyberguerre et surtout pour nous autres, citoyens ?

La face sombre du miracle quantique

Au-delà de l'aspect purement technologique, des zones d'ombre émergent aussi abords de cette course. Les ordinateurs quantiques, par leur puissance de calcul phénoménale, permettront certainement un jour la conception de nouvelles armes chimiques et biologiques. Plus inquiétant encore, leur capacité à briser les systèmes de cryptage actuels est une menace potentielle pour la sécurité des communications mondiales.

Les capteurs quantiques (instruments de mesure ultra-sensibles exploitant les propriétés de la physique quantique pour détecter des signaux extrêmement faibles), d'une précision démentielle, pourraient se changer en outils de contrôle social potentiellement absolus.

Les experts appellent à une gouvernance anticipée des risques plutôt qu'à une régulation tardive. La neutralité technologique n'a jamais existé et n'existera jamais : chaque choix technique porte en germe des implications éthiques qu'il convient d'évaluer dès la conception. Nous en faisons déjà les frais aujourd'hui avec l'intelligence artificielle, dont la gouvernance peine aujourd'hui à rattraper son développement, devrait nous servir d'avertissement (Le Pacte sur l'IA de l'UE vient à peine d'être signé, et ce n'est qu'un exemple).

La militarisation des technologies quantiques pourrait conduire à une nouvelle course aux armements, avec des conséquences désastreuses pour la stabilité internationale et la sécurité humaine. © The KonG / Shutterstock
La militarisation des technologies quantiques pourrait conduire à une nouvelle course aux armements, avec des conséquences désastreuses pour la stabilité internationale et la sécurité humaine. © The KonG / Shutterstock

L'urgence d'un cadre éthique international

Face à ces enjeux qui pourraient rapidement dépasser nos capacités de régulation, les experts préconisent la création d'un organisme de surveillance indépendant à l'instar de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Cette instance veillerait à l'application de six principes directeurs élaborés pour encadrer le développement des technologies quantiques militaires. Analyser le spectre éthique complet, de la genèse d'une technologie quantique x à sa mise en œuvre, afin d'éviter tout débordement : voilà les lignes de ce cadre. Celui-ci nécessitera une approche pluridisciplinaire, associant physiciens, ingénieurs, experts en défense, juristes spécialisés en droit humanitaire et éthiciens.

Les chercheurs proposent une classification des risques en trois catégories : les « known knowns » (l'impact sur la vie privée et la surveillance de masse), les « known unknowns » (risques liés à la chaîne d'approvisionnement des technologies quantiques), et les « unknown unknowns » (les plus difficiles à prédire, qui se révéleront avec la maturation des technologies). En catégorisant les risques et les opportunités de cette manière, nous pourrions construire une gouvernance éthique plus robuste et mieux adaptée à un contexte spécifique.

L'équilibre entre l'innovation et l'éthique

Le type de gouvernance proposée ici ne vise pas à freiner l'innovation, mais plutôt à l'orienter vers des applications bénéfiques. Les technologies quantiques, comme l'énergie nucléaire avant elles, présentent un double usage : militaire et civil. Les experts encouragent les organismes de défense à soutenir aussi les applications civiles dans des domaines comme la santé, l'agriculture ou la lutte contre le réchauffement climatique.

La mise en place d'une telle gouvernance exigera forcément des investissements conséquents en temps, en financement et en ressources humaines. Certains pourraient être tentés de différer ces efforts, mais comme le soulignent les chercheurs, le coût de la correction des erreurs dépasserait largement celui de leur prévention.

Le paysage quantique mute très rapidement, et l'anticipation est l'une des seuls clés pour qu'il se développe de manière responsable. La course aux armements quantiques ne doit pas se faire au détriment des valeurs fondamentales de nos sociétés et de leur équilibre comme ce fut le cas pour le nucléaire. La course à cette technologie a mis en péril la sécurité mondiale et a contribué à une méfiance généralisée entre les nations pendant 50 ans à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons aujourd'hui les moyens de ne pas répéter les mêmes erreurs.

Source : Nature