Début janvier, le ministère de la Culture commande à Jean Cédras, avocat général à la Cour de cassation, une étude sur les méthodes à mettre en oeuvre pour résoudre le problème du téléchargement illicite sur Internet. Rendue le 12 avril, ce document n'a pas été rendu public par le cabinet de Renaud Donnedieu de Vabres. Toutefois, la ligue Odebi a pu se le procurer et l'a mis en ligne (format PDF). En 43 pages, Jean Cédras dénonce les principaux défauts du système de répression envisagé pour la répression du téléchargement illégal et pointe du doigt les dangers que font peser sur certaines libertés individuelles les mesures préconisées par les défenseurs de la loi DADVSI.
« Le système du droit d'auteur et des droits voisins repose sur un équilibre social et économique entre domaine payant et domaine public », commence par rappeler Jean Cédras. Avec la démocratisation d'Internet et l'émergence des phénomènes communautaires que l'on associe, à tort ou à raison, à la mouvance « web 2.0 », cette notion de domaine public s'étend désormais, selon l'avocat, au logiciel libre ou à « l'art libre » : « on parle alors de domaine public au sens large, notion qui participe de la diffusion de la culture dans son innovation et dans sa diversité ». Il faut donc protéger le droit d'auteur sans porter préjudice aux échanges licites.
Dès lors, comment juguler le téléchargement illégal ? Diverses solutions sont étudiées, à commencer par la mise en place de filtres obligatoires, chez l'internaute ou chez le fournisseur d'accès à Internet, qui autoriseraient les contenus légaux et bloqueraient le reste. Outre les difficultés que soulèvent la mise au point de tels outils, les filtres sont aisément contournables et ne résoudraient donc qu'imparfaitement le problème. Si le filtre est appliqué sur les oeuvres, il suffit de modifier ou de réencoder ces dernières pour que les marqueurs mis en place disparaissent. Appliqués sur les protocoles, ports et applications, le filtre brimerait les libertés individuelles dans la mesure où l'internaute ne pourrait plus utiliser certains logiciels à des fins légales. D'autant que là encore, le contournement ne serait pas bien difficile.
Autre alternative envisagée - et même appliquée comme le montre l'affaire Techland / Call Of Juarez, puis rejetée : la détection des pirates au moyen de leur adresse IP. Cette méthode, qui ne va pas sans poser de délicats problèmes relatifs au respect de la vie privée, soulève un autre lièvre : l'internaute est-il responsable de sa connexion Internet ? Autrement dit, que se passe-t-il si mon voisin utilise ma ligne pour télécharger illégalement, ou si un virus change ma machine en PC zombie ?
« Dans l'hypothèse de poursuites engagées par les ayants droit, tant pénales que civiles, on peut conjecturer sans risque que le juge refuserait de condamner pour contrefaçon un abonné pour défaut de surveillance de sa machine ou de son boîtier de raccordement Wifi sur la seule constatation que sa machine, identifiée par son IP, a servi aux téléchargements illicites. Il faut donc renoncer à l'idée d'une responsabilité pénale ou civile de l'internaute pour contrefaçon par téléchargement illicite », répond Cédras.
L'avocat conteste également l'idée de « réponse graduée », suggérée par le ministère de la Culture dans la « lettre de mission » commanditant l'étude. « Vous m'avez suggéré "d'imaginer un dispositif combinant des actions d'information et de sensibilisation des internautes, notamment par l'envoi de courriels individualisés, et des sanctions pécuniaires adaptées et proportionnées" », explique Cédras en préambule, avant de rejeter cette proposition pour deux raisons. Primo, l'idée d'une « dualité de contrefaçons » a été clairement rejetée par le Conseil constitutionnel. Secundo, les méthodes de détection actuelles ne permettent pas d'engager la responsabilité d'un internaute sans visite de son disque dur, ce qui exclut le régime de contraventions automatiques envisagé.
« Une esquisse de solution pourrait alors être cherchée dans des accords collectifs entre les ayants droit et les opérateurs de télécommunications, fournisseurs d'accès ou d'hébergement, ou les sites », estime donc Jean Cédras. Il appelle par ailleurs le ministère de la Culture à encourager le téléchargement légal, inciter les maisons de disques à lever les DRM - inutiles dans la mesure où les oeuvres qu'ils protègent circulent déjà sur le Net et poursuivre les démarches de prévention.
DADVSI : un rapport remet en question la répression
Publié le 04 mai 2007 à 16h20
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