En décembre 1999, une nouvelle licence venait révolutionner l'industrie du jeu vidéo grâce à son monde ouvert fourmillant de détails et son ambiance japonaise poétique. Cette licence, c'est bien évidemment Shenmue. La Dreamcast démontrait toute l'étendue de sa puissance avec ce titre qui débouchera sur une suite dès 2001. Si les critiques de l'époque sont dithyrambiques, les aventures de Ryo peinent à trouver leur public et SEGA est déçu des recettes générées par ces deux jeux pourtant si ambitieux. Ainsi, le troisième opus ne verra jamais le jour... du moins jusqu'à sa présentation en juin 2015.
L'annonce d'une telle arlésienne avait de quoi affoler les fans. La nervosité était palpable tant Shenmue III fut attendu. Allions-nous enfin connaître le dénouement de cette histoire avec un combat épique entre Ryo Hazuki et l'assassin de son père Lan Di ? Les mystères autour des étranges miroirs allaient-ils être enfin éclaircis ? Si la dimension scénaristique avait de quoi questionner, une autre interrogation plus terre à terre s'invitait alors dans les conversations... Shenmue III allait-il s'adapter aux standards actuels ou rester bien trop ancré dans le passé ? Il semblerait que les développeurs aient préféré la seconde option.
Une histoire qui n'avance pas
Shenmue III est une suite directe au second jeu, comme si le temps s'était arrêté entre le mois de septembre 2001 et aujourd'hui. Nous retrouvons le jeune Ryo Hazuki cherchant toujours à venger l'assassinat de son père. En guise d'héritage, notre héros a découvert deux miroirs très précieux. Ces objets mystiques sont également convoités par Lan Di, le meurtrier du père Hazuki. Malheureusement, rien de tout cela n'a vraiment d'importance dans Shenmue III. Sans trop spoiler, précisons que le scénario s'attarde en grande partie sur la disparition du père de Shenhua, une fille rencontrée par Ryo dans un village nommé Bailu. Disons-le d'entrée de jeu, le récit piétine sur plus d'une vingtaine d'heures sans avoir rien de très intéressant à raconter.La narration, qui est un pilier central de la franchise, montre ici toutes ses limites. Le jeu se contente d'une mise en scène peu inspirée avec des cinématiques sous la forme de conversations entre les personnages avec la bonne vieille technique du champ-contrechamp. Les dialogues sont totalement insipides et ont bien du mal à impliquer le joueur dans les enjeux bien trop légers dépeints à l'écran. De plus, les voix sont disponibles uniquement en anglais ou en japonais. Si les puristes apprécieront, les curieux qui aimeraient découvrir Shenmue pourraient être refroidis par l'absence de doublages en français. Fort heureusement, les sous-titres optent pour la langue de Molière. Un bon point par rapport aux opus précédents qui avaient dû attendre la remasterisation sortie en 2018 pour avoir droit au même traitement.
La vie (trop) tranquille de Ryo
C'est une évidence, ce Shenmue III vise uniquement les fans insatiables de la licence. À l'instar des opus Dreamcast, le jeu nous sert une progression volontairement lente à base d'enquêtes. Ryo passe le plus clair de son temps à questionner les villageois et inspecter certains lieux suspects. S'il se joue exclusivement en vue à la troisième personne, le titre de Yu Suzuki demande parfois d'utiliser un angle à la première personne en pressant L2. Il faut alors ouvrir des tiroirs et autres meubles pour dénicher l'indice tant recherché. Ces phases d'investigation font bien pâle figure par rapport à ce qui a pu se faire sur des jeux comme L.A Noire par exemple. Si le gameplay de Shenmue III a voulu rester fidèle à celui de ses prédécesseurs, il en a aussi gardé toute la lourdeur. Le constat aurait peut-être été moins alarmiste si le soft était sorti en 2003.« Shenmue III joue la carte de la sécurité et lorsqu'il s'aventure sur des sentiers auparavant inexplorés, ça se passe très mal ! »
Pourtant, Shenmue III tente de se diversifier avec une certaine maladresse. En effet, Ryo doit impérativement améliorer son endurance, sa puissance d'attaque et son kung-fu au fil de l'aventure. Pour cela, il faut s'entraîner ! Si l'idée est bonne (bien que peu originale) sur le papier, elle se fracasse sur une surenchère de mini-jeux soporifiques qui sont pourtant indispensables pour progresser. Frapper un rondin de bois ou rester accroupi pendant de longues minutes n'a rien de passionnant. Comme si cela ne suffisait pas, l'endurance de Ryo baisse automatiquement si ce dernier ne mange pas. Et c'est à ce moment que nous nous heurtons à un énième problème : l'argent !
L'argent ne fait pas le bonheur
Pour nourrir ce grand gaillard ou passer certains moments clés de l'aventure, le joueur est forcé de réunir de grosses sommes d'argent. Sauf que les yuans (la monnaie chinoise) ne tombent pas du ciel. Il faut soit travailler en tant que bûcheron ou cariste ou bien s'adonner aux jeux de hasard qui pullulent un peu partout dans le village. Ces mini-jeux (encore !) permettent d'obtenir des jetons qu'il faut échanger contre des lots qu'il faut eux-mêmes échanger contre de la monnaie. Croyez-nous, cela peut demander des heures bien réelles pour rassembler le montant demandé. Une fois de plus, Shenmue III teste notre patience sans jamais réellement la récompenser.Cette frustration a bien du mal à disparaître puisque chaque séquence s'applique à la raviver de plus belle. Les phases de QTE en sont le parfait exemple. Il n'est pas rare de recommencer en boucle ces passages durant lesquels il faut appuyer sur une touche au bon moment. La fenêtre de réaction est vraiment très succincte et les touches ne répondent pas toujours très bien. De même pour les combats qui demandent d'effectuer des combinaisons bien précises pour sortir un coup. Si les affrontements misent sur le réalisme, ils ont tendance à manquer de nervosité et on peine à ressentir les coups assénés par Ryo.
« La trilogie s'achève sur un goût d'inachevé et prouve que Shenmue n'a pas su évoluer suffisamment pour tenir son rang de légende du jeu vidéo »
Une ode poétique desservie par une technique archaïque
Shenmue premier du nom avait à cœur de raconter une histoire émouvante ancrée dans la réalité. Yu Suzuki a conservé cette ambition avec son troisième jeu. Les fans s'y retrouveront forcément avec cette ambiance poétique et ce penchant pour la contemplation. Shenmue III n'est de ce fait pas à mettre entre toutes les mains. Le titre fait écho à la réalité et c'est pour cela que Ryo doit travailler ou encore pratiquer le kung-fu s'il veut avancer dans sa quête. Ici, impossible de tomber dans la facilité en volant un objet convoité ou en ramassant de l'argent un peu partout (bien que la collecte d'herbes s'y apparente fortement). Cette volonté de réalisme peut être perçue comme une qualité ou comme un défaut selon le degré de tolérance de chaque joueur. Mais pour que la magie puisse opérer, il aurait fallu que la partie technique vienne sublimer la dimension poétique.Hélas, et contrairement aux deux premiers jeux en leur temps, Shenmue III n'est pas une production à gros budget. Cela se ressent tout de suite sur les décors et les animations des personnages. Il n'est pas rare d'observer des ralentissements. Les PNJ ont également la fâcheuse tendance à apparaître au dernier moment. Le constat est d'autant plus saisissant lorsque Ryo se met à courir. Autre ombre au tableau, les temps de chargement sont nombreux et l'optimisation globale laisse à désirer. Enfin, si les compositions musicales sont souvent plaisantes, on regrettera le manque de diversité dans cette bande originale. Une musique est attitrée à une zone de la carte et s'y répète en boucle. L'agacement arrive assez vite...
Si la notion du temps qui passe (avec le retour du cycle jour-nuit), l'exploration et les environnements ouverts donnent à ce Shenmue III un véritable cachet, ces bons points ne pèsent pas lourd face à cet amoncellement de maladresses et de mécaniques datées. En prenant la décision de ne rien changer ou presque à son ancestrale formule, Shenmue III ferme ses portes à un public nouveau en se contentant de parler à ses fans. Malheureusement, impossible d'ignorer le manque d'intérêt d'un scénario qui ne révèle rien. Finalement, le jeu s'apparente plus à un filler qui n'a pas pour vocation de faire avancer la trame principale. Pour cela, il faudra peut-être patienter vingt années de plus... ou pas !
Shenmue III, l'avis de Clubic
Après pratiquement 20 ans d'attente, Shenmue III déçoit dans presque tout ce qu'il entreprend. Son ambiance pourtant si singulière a bien du mal à barrer la route aux errances techniques et à un gameplay anachronique. Peu inspiré dans son récit comme dans sa mise en scène, le jeu de Yu Suzuki semble débarquer directement du début des années 2000. Le constat est sans appel, Shenmue III ne raconte rien et n'apporte absolument aucune réponse à une histoire qui a fait rêver des millions de joueurs à travers le monde.En l'état actuel des choses, il y a de fortes chances pour que l'épopée de Ryo Hazuki ne connaisse jamais son dénouement. Les espoirs s'envolent avec l'ultime épisode d'une trilogie qui s'achève sur un goût amer. Shenmue n'aurait dû rester qu'un bon et lointain souvenir.