Arrivée en avril au sein du fonds de Marc Simoncini, Marie-Christine Levet est directrice associée de Jaïna Capital. Ancienne de Club Internet et de 01Net, elle nous livre sa vision de l'investissement en 2010 et quelques données clés sur Jaïna Capital, pour ce quatrième entretien de notre série.
Marie-Christine Levet, bonjour. Quelle est le positionnement de Jaïna Capital ?
Jaïna Capital a pour but de combler un trou de financement, qui existe entre les business angels et les fonds classiques. C'est un positionnement qui existe beaucoup aux Etats-Unis, et qui a permis l'émergence des grands succès sur Internet. L'argent des business angels est favorisé par les lois de défiscalisation au début du spectre, tandis que les fonds classiques, qui investissent beaucoup, réalisent en général une opération par an et par personne. Il y a donc un fossé dans la chaîne de financement, car entre les deux, entre 500 000 et 1 à 1,5 million d'euros, il n'y a rien. C'est là qu'est notre cible.
Nous sortons parfois de cette cible, notamment quand nous avons des coups de cœur. Mais la plupart du temps, nous investissons sur des projets qui ont déjà reçu de la love money, dont le site est lancé, ou dont nous commençons à voir les tendances du modèle. Ce sont des entreprises qui ont besoin d'un coup de pouce pour accélérer. Dans un souci de diversification du risque également, nous nous réservons le droit d'investir sur des projets coups de cœur, comme je l'ai dit, mais aussi sur des projets plus mature que cette cible.
C'est le même positionnement qu'ISAI, donc ?
Oui et non. On voit depuis quelques temps l'émergence de plusieurs fonds. De beaucoup de fonds, même. C'est bien pour la France et les startups françaises. ISAI est cependant un fonds avec beaucoup de personnes. Nous avons un fonds qui appartient à une personne, et nous pensons que le processus de décision est beaucoup plus rapide de cette façon. Il est ainsi moins nécessaire de constamment rechercher un consensus, ce qui permet une meilleure réactivité. C'est une manière de fonctionner très différente. D'ailleurs, nous comptons investir sur plus de projets que ce qu'ils ont annoncé. Mais ce n'est pas un problème : plus il y aura de fonds, meilleur ce sera pour l'écosystème français.
Quels critères à retenir pour investir selon vous ?
Nous investissons sur plusieurs critères : la qualité de l'équipe, notamment, et surtout sa complémentarité. Il faut un excellent binôme entre le technique et la personne plus orientée marketing et vente. Nous aimons beaucoup moins les entrepreneurs qui font du one man show, et savent tout faire tout seul. Ensuite, il faut une innovation dans le produit, ou le service. Nous aimons les projets disruptifs, soit sur le modèle, soit sur la taille du marché. Enfin, notre idée est de créer un réseau social des entrepreneurs, pour les coacher réellement.
Ensuite, il faut évidemment que l'entreprise aient des besoins en relation avec ce que nous souhaitons investir. En fonction du stade du projet, nous mettons des tickets entre 500 000 et 1,5 million d'euros. Il arrive que nous sortions de cette façon de fonctionner, sur un coup de cœur. Par exemple, nous avons investi dans Plyce, car c'est un nouveau marché qui s'ouvre.
Avec le risque de tomber dans une relation trop personnelle, et de manquer de recul...
Attention, il n'est pas question ici de faire les choses à leur place, mais bien d'avoir un rôle de coach auprès des entrepreneurs, pour l'aider dans le quotidien, comme sur leur modèle économique. Pour leur ouvrir des portes aussi, ou les aider à atteindre leurs objectifs. La différence du fonds d'entrepreneur, comme Jaïna, et un fonds traditionnel, c'est que nous sommes tous passés par là. Nous sommes tous des entrepreneurs avant d'être investisseurs, et donc nous comprenons chaque étape par laquelle ils passent. Le métier d'entrepreneur est souvent solitaire, et l'idée, c'est d'être un soutien pour l'entrepreneur. Tout au long de la vie du projet.
Nous n'investissons de toute manière que sur des sociétés que nous comprenons. Nous comprenons leur modèle, leur produit... Il y a peu de reporting. L'idée n'est pas de noyer les entrepreneurs sous le reporting, mais d'être présent au téléphone, pour des réunions... Mais c'est vrai que dans tous les cas, il y a une ligne jaune à ne pas franchir. Le risque existe toujours, mais il faut savoir mettre les bonnes barrières pour ne pas tomber dans cette relation trop personnelle. C'est aussi pour cette raison que nous prenons des participations significatives, pour avoir un rôle majeur.
Quelles tendances observez-vous pour les entreprises hi-tech ?
Il y a beaucoup de géolocalisation et de mobile. Nous parlions de Plyce... C'est un modèle dans lequel nous croyons, car nous pensons que la publicité locale va jouer un rôle significatif. Il y a aussi les jeux, notamment au sein des plateformes communautaires. Dans ce cas précis, il faut toujours faire attention à ne pas être trop dépendant d'un intervenant unique. C'est pourquoi Plyce va être portée sur d'autres plateformes, par exemple.
En règle générale, nous avons une certaine affinité avec les projets B2C ou B2B2C. C'est une affinité personnelle, car nous les connaissons et les comprenons mieux, ce qui nous permet d'apporter une réelle expérience. Jaïna a pour l'instant un portefeuille de cinq investissements. Certains sont moins connus, comme un service de préparation au voyage, en Angleterre. Nous allons aussi bientôt annoncer un jeu communautaire en 3D. Nous n'avons pas d'exclusivité géographique. Nous visons un marché européen, voire parfois global, comme dans le cas d'AppsFire.
Tout le problème est de les aider à sortir de France, ou de leur pays d'origine dans tous les cas. Beaucoup d'entreprises restent françaises, ce qui est tout à fait possible sur certains marchés, mais pour d'autres, c'est bien trop petit. Nous avons un rôle à jouer sur le marché européen. On voit qu'aux Etats-Unis, ils ont l'avantage d'avoir un marché immense. C'est donc un challenge d'amener les entreprises à aller sur ces marchés importants, comme l'Europe, ou les Etats-Unis. C'est une partie de notre rôle, de les aider à trouver les bonnes personnes dans l'équipe pour assurer le développement sur un autre marché.
Il est donc impossible de voir émerger une région dédiée au hi-tech en France, comme la Silicon Valley aux Etats-Unis ?
Pourquoi pas ? Il n'y a pas de raison. Nous avons d'excellents ingénieurs, souvent les meilleurs développeurs, et nous sommes très bons sur le web. Tous les ingrédients sont réunis du côté des entreprises. C'est vrai qu'il y a moins une culture du business angel comme aux Etats-Unis, mais pourtant, il y a tout ce qu'il faut pour investir. Mais les choses bougent : la création de tous ces fonds va permettre de voir émerger quelque chose. Il manquait clairement d'investissement en France.
La culture du fonds d'entrepreneur arrive aujourd'hui, parce qu'il y a des entrepreneurs, ou des anciens entrepreneurs, qui ont réussi et ont de l'argent à réinvestir. Quinze ans d'Internet en France ont permis de les voir émerger. C'est quelque chose qui existe depuis plus longtemps aux Etats-Unis, avec des Microsoft ou des Yahoo qui ont créé un fonds après avoir réussi. Mais cet ingrédient capital, l'argent, qui a permis beaucoup de grands succès à l'étranger, arrive ici aussi.
Cela devrait permettre de favoriser l'émergence de sociétés dans les nouvelles technologies. C'est vrai que les Etats-Unis ont l'avantage de la taille de marché, c'est vrai que l'Europe est plus compliquée, avec ses différentes langues et ses barrières culturelles, c'est vrai qu'il y a beaucoup de freins à la création d'entreprise en France... Mais nous pensons que nous pouvons y arriver, et ce par le biais de projets qui sont par définition internationaux. Il y a des belles histoires de succès dans chaque pays européen, donc il n'y a pas de raison. Une fois de plus, il y avait jusqu'à aujourd'hui un trou dans la chaîne de financement. Mais les fonds d'entrepreneurs vont changer ça, parce qu'ils ne se basent pas forcément uniquement sur des critères très définis ou des ratios financiers. Les entrepreneurs qui ont créé des fonds peuvent plus facilement appréhender les risques, et vont donc pouvoir en prendre plus. Tout notre travail, c'est de diversifier le risque.
Marie-Christine Levet, je vous remercie.