Juriste de formation, Elie Auvray a co-fondé Jahia en 2002. Cet éditeur suisse a développé une solution de gestion de contenu (CMS) basé sur Java et open-source, qui revendique flexibilité et progressivité d'utilisation. La version 6.5 de Jahia, considérée par l'éditeur comme une version majeure, est sortie récemment. Elie Auvray revient pour nous sur les innovations et et sur quelques points clés autour de son entreprise.
Bonjour, Elie. Vous êtes à l'origine du projet Jahia. Quels sont ses principaux points de différenciation par rapport à Drupal, ou à un autre CMS ?
Notre vrai différenciateur, c'est d'apporter une solution extrêmement progressive. Il faut revenir sur la vision originelle : nous voulions un CMS avec une convergence applicative, qui permette de gérer un portail, et différents outils intégrés, comme des blogs, etc. A l'époque où nous nous sommes lancés, c'est la technologie qui structurait le marché du CMS. On trouvait des portails, des outils pour la gestion de documents, etc. Aujourd'hui, toute cette structure a volé en éclats, car les besoins sont confondus.
Ces besoins applicatifs ont de multiples facettes : création, collaboration, partage... Il y a une vraie évolution sur le marché du logiciel et de la gestion de contenus, quel que soit le type de projet (intranet ou site web) et quelle que soit la consommation. Dans ce contexte, notre point fondamental, c'est que nous souhaitons gérer tous les contenus, qu'importe leur source, ou leur type. Nous avons commencé à mettre quelques fondations de ce concept dans la version 5, et nous avons réellement initié le concept dans la version 6.
Cette version 6.5 est donc une évolution plus qu'une véritable rupture ?
Oui et non. Comme je vous le disais, le concept avait été inité avant. Mais c'est avec la version 6.5 que nous avons une gestion full-JCR. C'est pour ça que nous considérons que c'est une version majeure. L'ensemble des contenus est géré intégralement dans Java Content Repository, ce qui fait de Jahia une vraie plateforme de gestion de contenus, quelle que soit la définition qu'on donne aux contenus, d'ailleurs : des modules PHP, des gadgets sociaux, des documents, etc. On est capable de les gérer, ce qui nous a permis de passer de versions monolithiques, où le produit était un tout, à une structure basée sur la plateforme JCR et Jahia Studio.
Jahia Studio, c'est une interface de développement (IDE) entièrement intégrée, qui permet de créer et d'assembler n'importe quel site ou application web sans qu'il soit nécessaire d'écrire le moindre code. On intégrait déjà beaucoup de frameworks open-source dans le coeur du logiciel. Désormais, il est beaucoup moins rigide, car on peut enrichir le CMS très facilement. Le module peut être développé pour un projet privé, ou partagé au sein de JahiaApps. Cela permet d'avoir un logiciel beaucoup moins rigide. C'est une première dans le monde Java.
Détaillons JahiaApps : y a-t-il déjà des contributions ?
A l'heure actuelle, nous avons déjà près de 150 petits modules développés. Nous poussons nos partenaires à mettre le code de leurs extensions sur un Github, et dès qu'elles arrivent à une phase stable, qui permette de tester ou de mettre en place le module, on le retrouve dans le forge, avec le descriptif, les liens vers le code source, les licences, et les liens de téléchargement. La contribution est envisage de façon très large, grâce à JahiaApps.
Il est évident que pour l'instant, nous sommes à l'origine de beaucoup des modules développés, surtout des petites choses, comme les tags, ou les commentaires, mais il y a une vingtaine de projets en cours. Certains s'agrègent au CMS, d'autres fonctionnent carrément de manière autonome.
Dans tous les cas, notre volonté n'est pas de tout faire. Prenons le cadre de l'e-commerce par exemple : notre but n'est pas de développer une solution verticale entièrement intégrée. Par contre, nos partenaires ont une vraie expertise. Certains grands intégrateurs ont des solutions robustes, qu'ils déploient très souvent. Dans certains cas, comme pour Leclerc, ou Mozaïc, du Crédit Agricole, Jahia a été juxtaposé à une solution e-commerce distincte. Mais ces composants peuvent aussi être réutilisables, entre différents projets, et maintenables. Le framework est parfaitement extensible, et permet ainsi de répondre facilement aux besoins des clients.
Est-ce que votre business model vous permet d'être rentable ?
Nous avons bien survécu à la crise, tout va bien. L'avantage de notre modèle, c'est que comme nous avons des clients majeurs, comme le Parlement européen qui a financé toute la gestion de documents en 2005, on a un bonne partie de la R&D qui découle de la participation active des clients. Cela nous a permis d'être rentable depuis les débuts.
Notre principe, c'est : payez ou contribuez. Quelque part, on veut favoriser la contribution de cette manière. Il n'y a pas de version cachée, on peut trouver des options additionnelles de gestion, des services supplémentaires, mais le logiciel est le même pour tout le monde. Le droit d'usage est gratuit, et oblige à redistribuer son travail par la licence GPL. Une entreprise qui ne souhaite pas redistribuer son code devra accéder à une licence qui n'y oblige pas. D'où le "Payez ou contribuez". Dans l'ensemble, les partenaires participent bien, car il est moins cher d'enrichir le logiciel et de bénéficier d'une maintenance collective que de créer un fork.
D'où viennent vos revenus, en définitive ?
75% proviennent du logiciel. La France est un marché important, ce qui est normal, car il est précurseur dans l'open-source. Nous tirons 50% de nos revenus de ce pays, un peu moins de 20% des Etats-Unis, 15% de la Suisse. Par ailleurs, il faut noter qu'environ 65% de nos revenus sont récurrents, ce qui montre le succès de la souscription annuelle. Nous avons des clients importants, y compris dans des forteresses abonnées aux licences propriétaires. Elles comprennent l'intérêt du modèle, et sa valeur ajoutée.
Nos quatre grands secteurs d'activité sont : les administrations et gouvernements, les banques et assurances, les organisations internationales, et les universités. Le reste se répartit sur les autres secteurs, notamment industriels, et vise essentiellement des grands comptes. Nous ne sommes pas sur un créneau dédié aux PME.