Clubic - Bonjour Clément Moreau ! Quand et comment vous est venue l'idée de Sculpteo ?
Clément Moreau - On a créé Sculpteo en 2009, sur l'idée que l'impression était devenue un outil de fabrication. Et au-delà de la fabrication de prototypes, de gadgets, de maquettes, il y avait la possibilité avec ces machines de fabriquer réellement, de créer de vrais objets, que l'on peut tenir dans la main, avec lesquels on peut jouer, on peut vivre.
Pour résoudre un certain nombre de problèmes, on a commencé par créer notre usine. À partir de janvier 2010, nos premiers clients ont commencé à nous envoyer des fichiers 3D à travers notre plateforme interne.
Pourquoi avoir choisi ce modèle économique plutôt que de produire ou vendre des imprimantes 3D ?
CM - C'est une question très intéressante, car on est poussé par l'environnement actuel à vendre des machines. À tel point que je porte au bureau à peu près un jour sur deux un t-shirt indiquant « Nous ne vendons pas d'imprimantes 3D » ! Et j'ai failli le porter aujourd'hui parce que tout le monde voudrait qu'on vende des machines, car c'est le domaine le plus porteur aujourd'hui.
Nous ce qu'on voit c'est que ces machines sont de super jouets. Si vous avez 1 500 à 3 000 euros pour faire un cadeau à Noël, allez-y. Par contre ce n'est pas avec ça que vous allez créer de vrais objets du quotidien, avec de « vraies matières ». Par exemple, si vous voulez faire une tasse à café il faut qu'elle soit en céramique, qu'il va falloir faire passer dans un four qui monte à 1 000°C, ce n'est pas avec votre four que vous allez faire ça.
On est dans un processus industriel, c'est un sujet sérieux qu'on n'envisage pas de mettre dans les mains ou le salon de tout le monde, mais plutôt à l'usine, dans un atelier. Là, à côté de nos machines d'impression 3D, on a d'autres machines : polissage, peinture, verni, four... Toutes ces choses-là complètent l'impression 3D. Cette technologie est un très bon moyen de produire, mais n'est pas le St Graal qui va permettre de tout produire.
CM - Oui bien sûr quand les fichiers 3D du premier pistolet en plastique ont été mis à disposition, on a effectivement eu commande de cet objet, commande que nous avons refusée, on ne souhaite pas devenir un fabricant d'armes, d'ailleurs je ne sais pas dans quelle mesure cela serait légal et je ne me suis même pas intéressé à la question.
Nous avons donc refusé toutes les commandes identifiées. Après nous ne sommes pas à l'abri de personnes qui chercheraient à contourner nos vérifications en imprimant plusieurs parties d'une arme en plusieurs commandes.SI les gens veulent utiliser d'une mauvaise façon cette technologie, c'est leur affaire, nous savons que comme toute technologie, il y a des aspects positifs et des aspects négatifs. Nous préférons voir en elle la possibilité de créer.
Pensez-vous que du point de vue des industriels, cette technologie puisse apporter ?
CM - Nous pensons qu'elle est effectivement là la troisième révolution industrielle : la version « garage » ou « salon » de la troisième révolution industrielle, nous n'y croyons pas. La vision d'une impression 3D qui va apporter une usine dans votre salon qui ne fera pas de bruit et de fumée, tout ça on n'y croit pas.
Cette technologie est pour nous profondément industrielle qui permet de fabriquer des objets. En rentrant dans l'usine, elle change la donne, en particulièrement grâce à Internet. Vous allez pouvoir ainsi produire le même objet à différents endroits de la planète : vous créez l'objet à New York, vous envoyez les octets à Shanghai, où elle sera imprimée et livrée au client.
Et l'impression 3D seule n'est pas la troisième révolution industrielle : elle ne prend sens que lorsqu'elle est associée à de l'électronique par exemple. Comptez le nombre d'objets purement en plastique que vous avez sur vous. Vous n'en avez pas. Nous avons cet exercice quand nous étions dans l'expectative, quand on ne savait pas où aller : nous n'avons trouvé que les dévideurs de papier toilette. Est-ce que vous avez envie d'acheter un dévideur de papier toilette design ?
Pensez-vous que l'industrie de masse, qui utilise les procédés d'injection, et l'industrie plus personnalisée que permet l'impression 3D, vont se concurrencer ?
CM - On n'a pas l'habitude d'opposer ces deux approches, car on pense que c'est la même chose : aujourd'hui, l'industrie de masse est en train de se personnaliser. L'iPhone, c'est de l'industrie de masse, et vous pouvez faire graver votre téléphone au laser avec votre nom. Ces gens-là ont décidé de vous permettre de commander une pièce personnalisée. Et ce n'est que la première étape : demain vous aurez la possibilité de personnaliser l'ensemble du téléphone. Aujourd'hui, on est obligé de mettre des coques aux smartphones pour les personnaliser, mais demain, vous pourrez le faire directement sur le produit.
Toutefois, la taille des pièces compte pour beaucoup. Pour de petites pièces, on a un modèle économique, cela fonctionne : on vend des coques de téléphones portables au prix du marché. Elles valent 5 euros de plus parce qu'elles sont personnalisées, mais s'insèrent dans le marché. Si nous voulions imprimer une chaise, on le pourrait. Mais ce serait une chaise à 10 000 euros. La troisième révolution industrielle, ce ne sera pas pour les pièces de cette taille. Seules les industries touchant au domaine de l'aéronautique, de l'espace peuvent se permettre de travailler sur des grandes tailles, car elles ont le budget pour.
Les tech-shop ou des fab lab constituent-ils une menace pour Sculpteo ?
En revanche, les fab lab et tech-shop sont d'extraordinaires lieux pédagogiques et on pense que l'initiative du gouvernement sur les fab lab est très bonne. Tout le monde s'est toujours moqué du projet informatique dans les années 80, mais moi j'en suis issu et si je fais de l'informatique aujourd'hui, si j'ai fait du soft quand j'étais ingénieur, c'est parce que j'ai fait du logo et du basic sur un MO6.
Si vous mettez des fab lab à disposition des écoles, vous allez créer une génération d'ingénieurs, de designers. Rien que cette optique justifie selon nous l'existence des fab lab.
Est-ce que le grand public s'en servira pour fabriquer ses objets ? Peut-être que certains vont le faire. Mais les gens qui ne repeignent pas leur porte, ne posent pas leur papier peint eux même ou ne font pas les travaux dans leur salle de bain n'iront sans doute pas. Certains iront, mais cela restera minoritaire.
Fabriquer de chez soi, les gens pourraient aussi le faire si l'impression 3D se démocratisait : l'arrivée d'un acteur comme HP dans le domaine peut-il changer la donne ?
CM - Stratatys avec Makerbot ou 3D Systems avec Cubify proposent déjà ces solutions : elles valent ce qu'elles valent, mais elles sont bonnes. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce sont de très bonnes solutions.
Mais au-delà des machines, il y a l'offre logicielle qui aujourd'hui est en dessous. Mais surtout il y a la nécessité de finir les objets. Oui un objet en plastique noir c'est bien, mais parfois vous avez besoin d'autre chose.
Actuellement, Sculpteo ne fournit pas non plus de solution logicielle qui permettrait de créer simplement des objets 3D. Avez-vous envisagé un partenariat ou un développement en interne ?
CM - Notre réponse est à cette question c'est de dire que ce qu'il manque n'est pas un outil, mais un designer. Vous pouvez apporter un outil toujours plus simple, si vous n'êtes pas designer cela ne vous mènera à rien.
Les designers ont un métier, on va les aider à proposer des objets personnalisables, mais qui restent beaux. Et là il y a des logiciels à faire, là il y a des maths à faire. Parce que le designer déteste l'objet personnalisable, car il a réfléchi le plus petit trait du sien pour qu'il soit beau. Et le client final il vient coller des chatons et des photos de bébé dessus. C'est à nous de trouver des solutions pour que l'objet reste beau tout en entrant dans une logique de personnalisation.
Et le Thingiverse de Makerbot, site communautaire source de fichiers 3D, ne vous donne pas des idées ?
CM - On n'est pas designer seulement de métier, et on est en train de créer une génération de gens capables de dessiner et qui participe à la création de la base de données Thingiverse. Mais on continue de penser qu'il faut vraiment quelqu'un qui a cette fibre esthétique pour vraiment faire un objet qui a du sens.
Merci Clément Moreau !