Sébastien Badault : "2010 a été l'année 1 du display pour Google France"

Alexandre Laurent
Publié le 23 décembre 2010 à 13h09
Publicité, recherche, fonctionnement, développement du mobile, Bruxelles... Sébastien Badault, directeur de la stratégie commerciale de Google France, revient pour Clubic sur les grands sujets qui ont fait l'actualité de Google et de la publicité numérique tout au long de l'année.

Clubic - Sébastien Badault, bonjour. Pour commencer, qu'est vraiment Google France aujourd'hui en termes d'équipes ?

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Sébastien Badault - Aujourd'hui, il y a environ 200 personnes chez Google France. Une bonne moitié est constituée d'équipes commerciales, qui accompagnent les grands annonceurs dans leur mutation vers le Web, avec un pôle chargé des relations avec les agences médias et des pôles sectoriels - automobile, voyage, retail, etc. - qui gèrent entre 30 et 50 annonceurs par secteur. C'est là qu'on trouve Renault pour l'auto, Air France pour les voyages, Carrefour pour le retail, ainsi qu'un certain nombre de pure players, eBay ou Amazon par exemple. L'autre moitié de des effectifs est représentée par tout ce qui touche au marketing, aux partenariats, l'équipe en charge des produits entreprise comme Google Apps, puis les fonctions support, finance, RH, etc.

Certaines de ces fonctions sont gérées de façon paneuropéennes, puisque nous dépendons, dans le découpage de Google à l'international, de la zone « Europe du Sud et de l'Est, Moyen Orient et Afrique » dirigée par Carlo d'Asaro Biondo, qui lui est basé en France.

Après, 2010 est une année un peu charnière, puisqu'un virage a été amorcé : on a annoncé la création d'un centre de développement et d'un centre culturel européen à Paris. Dans les deux cas, il y aura de nouvelles équipes, surtout du côté du centre de développement. Dans les années à venir, on devrait donc arriver à un certain équilibre entre les équipes ventes / marketing et les équipes d'ingénieurs, comme c'est déjà un peu le cas aujourd'hui à Londres. On espère donc que cela nous permettra de travailler de façon plus proche avec l'écosystème, notamment les développeurs.

Au niveau commercial, on sait qu'historiquement, une bonne partie des activités françaises sont gérées depuis l'Irlande. Qu'en est-il plus précisément aujourd'hui ?

Beaucoup de choses se passent en Irlande, c'est vrai, avec deux canaux principaux. Un canal commercial d'abord, dans la mesure où ils gèrent en direct certains clients. Un pure player comme Spartoo par exemple est géré depuis Dublin, parce qu'il a déjà une forte maturité sur le search (publicité adossée à la recherche en ligne, ndr), peut-être supérieure à celle de certains clients qu'on gère ici. Là où la France va gérer 300 ou 400 clients en privilégiant l'accompagnement, Dublin en gérera un millier environ.

Après, l'Irlande héberge toute la partie « longue traîne » de notre offre de vente, puisque nous gérons au global des dizaines de milliers d'annonceurs. Ils assurent donc le support, par mail ou par téléphone, ou des sessions de formation en ligne, à destination des PME qui veulent en savoir plus et améliorer leur conversion. Il y a aussi des ingénieurs qui travaillent sur l'index, etc. Dublin, c'est au moins 1500 personnes et 26 nationalités, une sorte d'Erasmus géant !

Vu de l'extérieur, il pourrait paraître surprenant d'avoir de telles équipes commerciales pour un système publicitaire dont la force repose dans la simplicité et l'automaticité. Pourquoi cette dimension « accompagnement » prend-elle tant d'importance ?

Du côté des petits annonceurs, on vu une énorme accélération de l'e-commerce en France. D'une part parce que les gens achètent plus, des produits de plus en plus variés, et de l'autre parce que le nombre d'acteurs augmente de façon très importante, avec de plus en plus d'ultra-spécialistes. Prenez par exemple icasque, qui fait des casques de scooter, avec une offre super bien construite. Des icasque, aujourd'hui, il en existe pour quasiment tout. On a donc des gens qui achètent plus, des taux de conversion qui s'améliorent et de plus en plus de vendeurs, ce qui créé une vraie concurrence dans le domaine de l'enchère. Bien que les petits annonceurs soient gérés à Dublin, ils ont quand même besoin qu'on leur mette le pied à l'étrier, et c'est ce qu'on fait ici.

Du côté des gros annonceurs, on a ceux qui font de l'AdWords depuis dix ans. Ils sont très matures, mais leurs besoins évoluent, ils ont donc toujours besoin qu'on les aide, que ce soit pour automatiser leurs choix de mots clé, faciliter la lecture des données qui leur permet de piloter leur retour sur investissement, etc. L'annonceur demande une profondeur d'analyse toujours plus importante, sur laquelle on peut l'aider. A ce niveau, nous sommes à un carrefour extrêmement intéressant, puisque l'on sait quelle est la demande des internautes et comment elle évolue, donc on peut vraiment apporter de la valeur.

A l'inverse, on a les secteurs en développement, pour qui Internet n'est pas le coeur de métier. Le meilleur exemple là, c'est sans doute la grande consommation. Eux ont besoin qu'on leur explique ce qu'il est possible de faire, dans une démarche très didactique. Par contre, eux sont très bons sur le volet créatif, puisque bien souvent ils évoluent déjà dans l'univers de la publicité TV. A ce niveau, 2010 a été un peu « l'année 1 » de la pub créative sur Internet, avec des gens qui ont compris en quoi la technologie permet de faire des choses intéressantes.

Le fameux exemple de la vidéo des bébés Evian en rollers ?

Oui, tout comme la pub pour l'iPod Touch, dans laquelle on déstructurait la page, ou la campagne Ubisoft pour Assassin's Creed. Ils avaient créé des films de 20 minutes, qu'évidemment ils ne pouvaient pas diffuser en TV. S'ils les avaient postés sur leur site, ils n'auraient eu que les puristes. Là, en postant sur YouTube, avec un accompagnement par le biais d'achat d'espace, ils ont pu profiter d'un effet viral et totaliser plus de 20 millions de vues ! C'est intéressant de se dire qu'on n'est plus bridé par le carcan des 30 secondes imparties en télévision et de profiter de la force en matière de social d'un site comme YouTube, dont les vidéos sont reprises et postées sur Facebook. Donc là aussi, il faut de l'accompagnement. On a d'ailleurs une boite en interne, Tango Zebra, qui conseille les agences créatives.

Au delà du nombre de vues, savez-vous mesurer l'impact de ces campagnes ?

Là on ne parle pas de calculer un retour sur investissement, évidemment, mais on peut faire avec eux des études pré et post-test comme en TV, pour mesurer le gain de notoriété et d'intention d'achat. Après, on est vraiment au début là, mais il faudrait arriver à mesurer la valeur d'une vue sur YouTube, d'un fan sur Facebook, mesurer la viralité... On a une équipe étude qui travaille avec de grands instituts pour essayer d'améliorer la visibilité.

D'autant que ces campagnes sont aussi souvent relayées en TV...

Bien sûr. On a justement récemment travaillé là dessus, dans le cadre d'une étude dont les résultats tomberont bientôt, avec une entreprise de type Coca, qui fait de la TV dans certaines régions et YouTube dans d'autres. Avec la TV, on observe un pic assez fort, mais qui retombe très vite, alors qu'avec YouTube, on a un plus petit pic, mais qui dure plus longtemps. Il y a donc une très forte complémentarité entre les deux.

Cette capacité d'intervenir à tous les niveaux de la chaîne ne risque-t-elle pas de finir par compromettre les relations que vous entretenez avec les agences média ?

C'est un ressenti qui existait quand je suis arrivé chez Google, notamment suite à l'arrêt de la réduction de 15% qu'on leur faisait sur le search, mais on a beaucoup travaillé sur le partenariat qu'on a avec elles. 2010 à ce niveau est vraiment allé dans le bon sens à ce niveau. On a quelques annonceurs qui ne passent pas par des agences, mais c'est très rare. On est donc vraiment dans une relation tripartite, au sein de laquelle l'agence apporte une vraie valeur ajoutée qu'on leur reconnait bien. On travaille d'ailleurs beaucoup avec les agences, à les former à nos outils.

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C'est valable aussi pour les PME d'ailleurs, qui travaillent beaucoup en relation avec des agences. Les PME comprennent assez vite l'intérêt que représente AdWords pour leur business, mais elles se rendent aussi compte que ça leur prend beaucoup de temps. Le lien sponsorisé, ça ne s'arrête jamais, contrairement à une campagne comme celles que l'on vient d'évoquer, donc bien souvent la PME préfère passer par un prestataire externe. On a donc créé deux annuaires d'agences labellisées, qui ont passé des certifications sur l'utilisation d'Adwords, pour les agences conseil et pour les agences créa (voir par exemple Google veut simplifier les relations avec les agences d'achat d'espace, ndlr). On leur fournit également des coupons ou des actions de formation continue.

On a longtemps opposé le display (bannière), associé à une logique de branding (valorisation de la marque), au search et sa logique de performance. Vos clients et partenaires vous donnent-ils l'impression que ce clivage est maintenant dépassé ?

On voit bien chez certains de nos clients vraiment placés dans une optique de ROI pur (retour sur investissement, ndr) qu'ils arrivent à réaliser les mêmes retours aujourd'hui sur du display à la performance que sur le search. Le display est donc encore un outil de branding, sur certains emplacements premium de sites à très forte audience, mais sur la profondeur du Web on peut tout à fait opérer à la performance, via des bannières achetées au coût par clic ou au coût par mille, puis calculer la conversion entraînée. Et via les techniques de reciblage comme Remarketing ou de nouveaux outils comme le placement targeting, on arrive à un moment où la technologie commence à permettre des capacités nettement supérieures à ce que l'on avait avant. On croit donc beaucoup au display, et ça a d'ailleurs été un atout important pour Google en France cette année, notamment grâce à YouTube.

Peut-on avoir une idée des volumes d'affaire générés par les activités display en France et tout particulièrement par YouTube ?

Pour la première fois, on a donné cette année des prévisions sur le display et YouTube dans le monde pour l'année lors de l'annonce de nos résultats financiers du troisième trimestre (*). Pour la France, on ne peut rien dire, mais si on compare les chiffres avancés au niveau monde à ceux du marché français, je pense qu'on est dans la mouvance. Ça reste encore petit, mais comme c'est un marché sur lequel on n'était pas vraiment, ça n'est pas neutre en termes de génération de croissance. Disons qu'on a mis le pied à l'étrier en 2008, développé en 2009, mais pour moi 2010 a vraiment été la première année pour YouTube et le display chez Google en France.

La publicité mobile suivra-t-elle un cycle comparable ?

Oui, le mobile fera sans doute un peu pareil : 2011 sera une année de mise du pied à l'étrier, 2012 une année de transition et 2013 l'année 1 du mobile. C'est d'ailleurs cette année là que le trafic mobile, tablettes incluses, devrait dépasser le trafic PC.

On se doit d'ailleurs de remercier Apple, on a vu suite au lancement de l'iPhone une croissance phénoménale des requêtes sur mobile, qui continue. On a donc déjà un vrai marché du search mobile, d'autant que pour les annonceurs, c'est extrêmement facile, il suffit de cocher une case dans mon interface AdWords pour apparaître sur un mot clé donné.

Ce qu'on commence à voir, c'est que ceux qui optimisent leurs campagnes pour le mobile - la création, le message et la page d'atterrissage, obtiennent une amélioration du retour sur investissement très importante.

« Aujourd'hui, les directeurs marketing veulent faire deux choses : du mobile et du Facebook »


Cette année a vu l'arrivée d'un nouvel acteur, Apple, qui avec iAd promet une capacité d'engagement sans précédent. Une voie à suivre ?

Aujourd'hui, on sait que les directeurs marketing veulent faire deux choses : du mobile et du Facebook. On a donc un rôle à jouer, en commençant par les accompagner sur le search. La seconde chose, ça sera via AdMob, soit sur le Web mobile, avec de la bannière, soit sur les applications. On a d'ailleurs déjà quelques clients qui font des choses assez fortes. Pour l'instant, ce qui fonctionne le mieux ce sont les add-ons pour téléphones, jeux, sonneries, etc. mais une offre bien plus profonde verra le jour à partir de 2011, pour voir ce qu'on peut faire pour favoriser la logique d'engagement dont vous parlez. Ce qui est intéressant, c'est qu'on part sur une base qui n'est pas nulle, par le biais du search et par le biais du display et d'Admob.

2010, c'est aussi la montée en puissance des offres publicitaires de services très médiatisés comme Facebook, Twitter, Foursquare, qui développent leurs propres offres contextuelles... concurrentes de celles de Google ?

On n'est pas obligé d'opposer les choses, il faut plutôt chercher à voir en quoi elles peuvent être complémentaires. C'est une discussion qu'on a régulièrement avec nos annonceurs, notamment parce que YouTube est un produit intimement social. Par contre, il faut toujours envisager la communication dans sa globalité et ne pas oublier que des internautes qui ont vu vos produits sur un réseau social sont susceptibles d'effectuer une recherche à leur sujet par la suite. Facebook est à ce titre une plateforme extrêmement puissante, ne serait-ce que par le nombre d'utilisateurs, mais qui me semble devoir rester complémentaire d'autres outils.

Foursquare, à titre perso j'adore et il devrait y avoir de très belles applications publicitaires à venir, mais pour l'instant ça reste encore très limité. De façon générale, on croit de manière très forte et à la localisation et Foursquare a le mérite d'allier les deux, comme le font Latitude ou Hotpot chez nous.

Si l'on en revient aux fondamentaux, quel fil conducteur pourrait-on trouver derrière toutes les nouveautés lancées en 2010 dans le domaine de la recherche ?

Il y a deux grandes tendances vraiment lourdes. La première, c'est Instant, qui change vraiment la façon d'interagir avec le moteur et a un impact direct sur la publicité. La seconde, qui a plutôt démarré en 2009, c'est Universal, cette extension de l'index à de nouveaux contenus comme la vidéo ou les messages Twitter, avec la possibilité de filtrer les résultats de manière verticale ou par rapport à leur fraîcheur. Avec Caffeine, on a un moteur bien plus rapide, capable d'indexer le Web en 24 heures et de retourner des résultats en quelques centièmes de seconde et on veut aller encore plus loin, aussi bien au niveau des performances et de la rapidité que de la pertinence.

En matière de filtrage, vous avez notamment inauguré Shopping en France, dédié à la recherche de produits. Une nouvelle qui n'a pas particulièrement réjoui les spécialistes de la comparaison de prix. Le service a-t-il vocation à être développé comme un véritable shopper ?

Le flux restera tel qu'il est, c'est l'une des forces du produit que de rester indépendant et de ne pas favoriser le plus offrant. C'est difficile d'avoir l'offre la plus large possible si l'on est dans des relations mercantiles avec les marchands. En revanche, on peut déjà et l'on pourra toujours acheter des mises en avant par le biais des liens sponsorisés.

Sur le rapport aux comparateurs de prix, Shopping existe depuis quatre ou cinq ans aux Etats-Unis et il n'empêche Shopping.com et les autres comparateurs d'exister et de se développer. L'idée de Shopping, c'est d'avoir une vision vraiment très large de l'offre, on n'est donc pas dans la logique de l'achat immédiat qui implique d'avoir tout de suite le meilleur prix. Une fois de plus, il peut y avoir une complémentarité entre les deux.

Pour finir, impossible de couper aux deux sujets récents que sont l'ouverture d'une enquête antitrust à Bruxelles et la fameuse taxe de 1% sur les investissements publicitaires, pensée en grande partie à cause de Google..

Quand on a un secteur qui marche, on a toujours la tentation de le taxer, ça n'est pas étonnant. L'achat média est déjà taxé à la TV, au cinéma ou sur les espaces publics. Après, quand on regarde l'assiette que représente le fait de taxer les investissements publicitaires en ligne, ça n'aura pas grande incidence sur le budget de l'Etat. On aurait préféré qu'il n'y ait pas cette taxe là.

Quant à Bruxelles... c'est finalement assez naturel que des entreprises qui ont un niveau de croissance très fort suscitent un intérêt. Après, si on regarde la publicité dans son ensemble, on parle de 500 milliards de dollars au niveau mondial, sur lesquels le numérique pèse à peine 15%, Google n'étant qu'une partie de ces 15%. L'important, c'est qu'il y ait un dialogue, une forme de compréhension. Sénateurs, Autorités de la concurrence, etc. ont parfois encore beaucoup à apprendre sur le numérique. On essaie donc de se mettre dans une logique d'interaction directe avec eux, voire même d'agir de façon proactive comme on l'avait fait lors du rachat de Doubleclick.

Le Web est un environnement encore peu régulé, au sujet duquel tout le monde se pose beaucoup de questions. A notre niveau, on essaie de s'auto-régir, comme on l'a fait avec l'anonymisation des données, le centre de gestion des préférences publicitaires ou le Privacy Dashboard, des initiatives conduites de notre propre chef, sans qu'on nous les ait demandées. On a cette responsabilité là aussi. La réalité du business dans lequel on travaille, c'est que la valeur provient du fait que les internautes utilisent notre moteur de recherche et ces gens-là ne sont qu'à un clic de ne plus le faire ! On doit donc toujours avoir un pas d'avance.

(*) En octobre dernier, Eric Schmidt a indiqué que le display chez Google devrait représenter un chiffre d'affaires de 2,5 milliards de dollars sur 2010, sans préciser la ventilation entre YouTube et les activités dédiées de Doubleclick. Pour le mobile, il évoquait alors un volume annuel de l'ordre du milliard de dollars.
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