Suite au rachat de la société de chiffrement Crypto AG, en 1970, les services secrets allemands et américains ont espionné plus d'une centaine de pays pendant des années, rapporte Le Monde, qui cite le Washington Post, la télévision allemande ZDF et la radio-télévision suisse SRF.
En vendant du matériel à ces pays, les trois médias expliquent que les deux agences de renseignements ont pu « truquer les équipements de la société afin de casser facilement les codes que les pays utilisaient pour envoyer des messages cryptés ».
D'après une enquête du New York Times, l'application ToTok serait un outil d'espionnage des Emirats Arabes Unis
120 pays concernés
La société suisse CryptoAG a été acquise par les agences de contre-espionnage des Etats-Unis et de l'Allemagne au début des années 70, pour 5,75 millions de dollars. La France s'est aussi intéressée au rachat de CryptoAG et à ses services en matière de contre-espionnage. C'est le renseignement français qui, en 1967, a fait une proposition de rachat conjointement avec l'Allemagne. Mais Boris Hagelin, le fondateur de l'entreprise, refuse et s'adresse à la CIA. Trois ans plus tard, CryptoAG a été rachetée par la CIA et la BND, service de renseignement allemand.L'enseigne, qui s'est bâtie, après la seconde guerre mondiale, une solide réputation dans le domaine du chiffrement des conversations, a vendu son matériel auprès de 120 pays. Ceux-ci sont présents dans toutes les régions du monde : Moyen-Orient, Amérique latine, Inde ainsi que des pays européens faisant partie de l'OTAN, comme l'Italie, le Portugal ou l'Espagne. En achetant du matériel auprès de CryptoAG, ces pays n'avaient pas conscience de l'implication des services de renseignements américain dans l'entreprise. Pourtant, CryptoAG a conclu, dès les années 60, un accord commercial avec la CIA, faisant passer pour des « dépenses de marketing » un versement de 855 000 dollars.
Des décennies d'espionnage
Le Monde souligne ainsi l'étendue de l'espionnage mené par les services allemands et américains, précisant qu'ils « ont ainsi surveillé la crise des otages à l'ambassade américaine de Téhéran en 1979, fourni des informations sur l'armée argentine au Royaume-Uni pendant la guerre des Malouines, suivi les campagnes d'assassinats des dictateurs sud-américains, et surpris des responsables libyens se féliciter après l'attentat contre la discothèque La Belle à Berlin-Ouest en 1986, qui avait tué deux soldats américains ».Les enquêteurs ont en effet eu accès à un rapport de la CIA daté de 2004 ainsi qu'à des documents réunis par le renseignement allemand en 2008. D'après ceux-ci, l'Allemagne s'est finalement désengagée de l'accord à la fin des années 1970 et a finalisé son retrait au moment de sa réunification. De leur côté, les Etats-Unis ont revendu CryptoAG en 2018. Le Washington Post explique : « CryptoAG avait perdu de son importance sur le marché mondial de la sécurité du fait de la diffusion massive d'une technologie de chiffrage fort dorénavant accessible sur les smartphones ».
Cet épisode du contre-espionnage serait donc clos, dépassé par les technologies de sécurité mobiles. Le projet, d'abord nommé « Thesaurus », puis « Rubicon » a permis, selon les dires de l'ancien coordinateur du renseignement allemand, Bernd Schmidbauer, de « rendre le monde un peu plus sûr ». Aujourd'hui, CryptoAG appartient à la société suédoise Crypto International, qui a déclaré n'avoir aucun lien avec la CIA ou la BND.
Source : Le Monde