Réalisée par l'idate pour le compte de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, cette copieuse étude (PDF, 140 pages avec les annexes) promet une analyse en profondeur de l'univers des sites spécialistes du téléchargement direct et du streaming, qui rappelons-le tendent à compléter le P2P en matière de consommation illégale de contenus audio et vidéo. Ces sites se situent aujourd'hui en dehors du champ d'action de la Hadopi.
L'étude a effectivement le mérite de décrire assez précisément la chaîne d'intermédiaires qui participent au fonctionnement de sites tels que Megaupload, et apporte quelques éclairages intéressants quant aux bouleversements qui ont suivi la disparition de cette plateforme le 19 janvier dernier. Les « constatations empiriques » et autres « hypothèses d'usages de simulation des cas fictifs » qui émaillent la partie chiffrée de l'étude menacent toutefois la tentative d'évaluation du chiffre d'affaires, vu comme très généreux, dégagé par le téléchargement illégal...
Du fonctionnement d'un site DDL / streaming
L'étude s'attache dans un premier temps à décrire, avec force schémas, la façon dont s'organise la galaxie direct download / streaming. Autour d'un site comme Megaupload interviennent en effet de nombreux acteurs : hébergeur et / ou fournisseur de bande passante, régie publicitaire, prestataire de paiement pour les formules payantes et, enfin, une cohorte de sites dits « de référencement », qui listent les fichiers illégaux accessibles via le site de téléchargement proprement dit. S'ajoutent enfin les internautes, qui génèrent des revenus par leurs abonnements payants ou en affichant les publicités, mais aussi les fameux uploaders rémunérés par le site de téléchargement lorsqu'ils ont mis à disposition des fichiers populaires.
En la matière, l'offre serait foisonnante : « Mi-janvier 2012, les services de référencement de contenu en streaming proposent une moyenne d'environ 15 000 titres de films, 500 titres de séries, chacune composée de plusieurs saisons comprenant plusieurs épisodes, et 500 titres de manga », indique avoir relevé l'Idate, qui liste dans un tableau les contenus recensés par les 25 principaux sites référents les plus consultés depuis la France. Elle identifie également les douze plateformes de distribution les plus couramment utilisées.
On en arrive au final à un tableau assez clair du paysage et du modèle économique des principaux acteurs (sites de téléchargement et / ou de streaming, sites de référencement) qui tirent profit de la consommation illégale de contenus, avec une analyse très complète des coûts et recettes associés. Tout l'enjeu consiste maintenant à déterminer quelles sont les sommes qui entrent en jeu à chaque étape de la chaîne, afin d'obtenir le chiffre d'affaires global dégagé par les acteurs du streaming et du « DDL ». L'Idate élabore pour ce faire des simulations pour chacune des deux catégories de services en séparant « grands acteurs » et « acteurs de taille moyenne ».
« hypothèses d'usages de simulation des cas fictifs »
Très logiquement, c'est là que les choses se corsent... et pour plusieurs raisons. La première est qu'il est difficile d'envisager la totalité des sites impliqués, la longue traîne passant sous les écrans radar. La deuxième est que ces acteurs conservent jalousement leurs secrets commerciaux. La troisième tient à la difficulté de mesurer les usages réels découlant de ces sites. Tout l'enjeu consiste donc à réunir les chiffres et statistiques les plus réalistes possibles, puis pondérer le tout en fonction des zones d'approximation.
Point de départ : déterminer le nombre d'internautes adeptes de ces modes de consommation illicites. Pour ce faire, l'Idate applique une règle de trois, résumée dans le tableau ci-dessous, en se basant sur une étude datant de l'été 2010.
Pour ce qui est des sites de téléchargement, l'idate estime qu'environ 8% des utilisateurs adoptent un compte payant sur un « grand site » de type Megaupload, contre 6% sur un site de taille moyenne, avec un abonnement mensuel qui varierait de 7 à 15 euros. Le reste découle de la publicité (principalement poker, rencontres et jeux en ligne), qui avec les programmes d'affiliation constitue également la principale source de revenus des sites référents.
Puisque la majorité des acteurs impliqués voient leurs revenus dépendre du nombre d'internautes qui profitent de leurs services, l'audience réalisée par leurs sites Web constitue un paramètre primordial. A ce niveau, l'Idate a choisi à de nombreuses reprises de faire confiance aux chiffres émanant du service Alexa (propriété d'Amazon), sans doute par défaut. Alexa effectue ses mesures à partir d'un échantillon d'internautes ayant installé sa toolbar, et n'a pas la légitimité d'un acteur professionnel de la mesure d'audience comme peut l'être ComScore. Il est même communément admis sur le Web que les chiffres Alexa présentent un intérêt pour les positions relatives (le site A réalise une audience supérieure à celle du site B), mais qu'ils sont bien plus contestables dans l'absolu (le site A réunit X millions d'internautes). Il est enfin de notoriété publique que le phénomène s'aggrave lorsqu'on s'intéresse aux audiences hors Etats-Unis.
Pondérés dès que possible par d'autres chiffres (Médiamétrie par exemple), ces chiffres d'audience sont ensuite associés à une estimation des tarifs pratiqués par les régies publicitaires actives dans le domaine pour arriver à une simulation de chiffre d'affaires publicitaire. Sont ensuite soustraits les commissions pratiquées par les intermédiaires chargés du paiement, puis les frais techniques, liés essentiellement à l'hébergement et à la bande passante pour ce qui est des plateformes de téléchargement.
Au terme de cette longue série de simulations, l'idate dresse le constat suivant : « Au final, le marché total de la consommation de services et sites de contenus en streaming et téléchargement direct (hors P2P), dans le périmètre de l'étude, sur un an glissant de contenus vidéos et musiques est donc de l'ordre de 51 à 72,5 million EUR en France ».
Le chiffre est immédiatement mis en perspective avec le marché légal, estimé à 177 millions d'euros sur un an (dont 109 millions pour la musique). Conclusion : le marché illégal représente un tiers du marché légal. Si l'on n'envisageait que la vidéo, l'Idate estime que « les marchés des contenus licites et illicites seraient presque de la même taille ». Défaut de ce tableau alarmant : chaque étape du raisonnement repose sur des simulations élaborées pour les acteurs « grands » ou « de taille moyenne », sans parler de la longue traîne des sites référents, ou des usages qui échappent à l'étude (outils de type Jdownloader, comptes partagés, « débrideurs », etc.). Le poids international de la plupart des acteurs concernés est quant à lui pondéré selon la règle suivante, à peine expéditive : calcul au prorata des revenus et dépenses globaux, en partant du principe que les internautes français représentent 10% de leur audience, puisque telle est la valeur avancée par Nielsen pour Megaupload.
L'exemple du site hong-kongais se révèle d'ailleurs peu concordant avec les chiffres avancés par l'Idate. D'après l'acte d'accusation élaboré par les autorités américaines, l'empire de Kim Dotcom aurait engrangé quelque 175 millions de dollars (133 millions d'euros) au cours de ses cinq années d'existence. Si 10% de cette somme proviennent de France, on arrive à environ 13 millions d'euros en cinq ans, peu compatibles avec les 2 à 2,8 millions d'euros de recettes mensuelles envisagés dans les simulations...
La dernière partie de l'étude s'intéresse enfin aux conséquences de la fermeture de Megaupload, suivie d'une vague de fermetures et de restrictions intervenue au niveau des alternatives illicites. Elle constate une réduction importante du streaming, et souligne que que « le téléchargement direct de contenus (...) est en voie de réorganisation plutôt que de régression, même si la qualité de service en termes de débits disponibles a nettement diminué depuis la fermeture de MegaUpload ».