Recipay n'a que deux mois et son affiche publicitaire dans le métro parisien. Le service de vente de recettes de cuisine est déjà très abouti pourtant, seuls deux hommes sont à la manœuvre : Thierry Bezier-Membrey et Victor Dewitt. En octobre, ils veulent entamer un premier tour de table, « pas en dessous de 5 millions d'euros ». Vous l'aurez compris, la start-up va très vite.
Victor, banquier privé, vit au Luxembourg, c'est là qu'il travaille. Il loue un petit bureau au dernier étage d'un immeuble sans ascenseur. Un ancien local où les femmes enceintes faisaient du sport, nous dit-il. Il travaille à distance avec Thierry, installé lui à Paris. Recipay est installée elle au Grand-Duché. L'avantage ? « Non, pas la fiscalité, on s'en fiche à notre stade », rient les cofondateurs.
« Dans le milieu des start-up à Paris, on aime bien se rencontrer, discuter, et finalement perdre pas mal de temps. Au Luxembourg, ce n'est pas le pays de la high-tech et des petites start-up, ce climat nous permet de ne pas nous éparpiller. Il faut aller vite, nous ne sommes que deux », constate Thierry. Sa société est passée par l'incubateur Technoport, lequel a incité l'équipe à s'installer dans cette contrée.
Que fait Recipay ? Visuellement, ce n'est qu'une plateforme de recettes de cuisines comme les autres. La mécanique est pourtant différente. Sur la plateforme se rencontrent marques et cuistots amateurs. Les premières proposent des produits à utiliser dans des recettes. Les seconds se les approprient et envoient leur création, avec des photos. C'est ainsi qu'ils gagnent entre 10 et 15 euros par recette.
L'enjeu pour les marques est évident, nous explique Thierry. Habituellement, les marques paient des sommes importantes pour s'offrir des recettes. Jusqu'à 10 000 euros pour cinq plats. Ce sont des chefs qui s'y collent, le tout est mis en scène par des professionnels et photographié soigneusement par d'autres professionnels. Problème, le résultat est « excellent mais éloigné de ce que font les gens ».
Recipay réajuste le tir et répond aux besoins des marques de proposer des recettes orientées consommateur. Accessoirement, elles économisent une somme conséquente. De l'autre côté, les membres du réseau - 3 000 pour l'instant - gagnent de l'argent. Entre les deux, la start-up prélève de quoi réaliser ses recettes à elle. Un modèle qui assure presque la rentabilité, deux mois après son lancement.
Si la recette n'est pas conforme aux exigences de la marque, s'il manque un produit, si la photo est oubliée ou le plat trop compliqué à achever, l'équipe de modération met son véto. Cela arrive dans un cas sur deux. Dans le cas contraire, cela marche, garantit Thierry. « Souvent, les gens publient une recette pour tester s'ils auront bien 10 euros. Et quand ils les ont reçus, ils en publient d'autres », remarque-t-il.
« Une fois, on a même reçu vingt recettes en un jour et provenant de la même personne », s'étonne Victor, qui ne comprend pas comment elle a pu s'y prendre. Sur la communauté, acquise grâce au bon coup de pouce de la pub dans le métro, un tiers sont très actifs. Qu'ils se rassurent, précise Thierry, « l'auteur est toujours cité par la marque quand elle utilise la recette dans ses campagnes ».
Les deux compères aiment à raconter qu'un jour Victor lui a déclaré qu'il faudrait le payer pour qu'il se mette à cuisiner. Une boutade qui donna naissance à un projet puis à une entreprise - c'est très souvent sur de petites anecdotes de ce genre que germent les start-up. Disposant des fonds nécessaires, ils ont pu s'autofinancer et s'offrir les services d'un prestataire pour la partie technique. Tout le reste, c'est eux.
Pour l'instant Thierry et Victor ne vivent pas de leur société mais c'est l'objectif. Pour y arriver, Recipay doit atteindre une taille critique. Le volume d'utilisateur doit grossir. Alors ils réinvestissent tous leurs revenus en communication. Ils travaillent aussi sur une application pour tablette, qui viendra bientôt épauler la version smartphone, téléchargée plus de 30 000 fois. Puis l'expansion internationale.
C'est d'ailleurs depuis l'Autriche que Victor a répondu à nos questions. Manifestement très enjoué, il raconte avoir reçu une proposition de rachat de sa start-up ! « Nous ne sommes pas à vendre », répond immédiatement son associé. Il est bien sûr trop tôt pour ce genre d'opération. Recipay en aurait pas mal sous le pied. L'équipe discute actuellement avec des investisseurs pour lever quelque 5 millions d'euros.
Quand on leur demande si ça n'est pas trop pour un premier tour de table, ils nous répondent en cœur qu'il ne faut pas faire du cas français une généralité. Et puis il y a leur modèle économique. « On voit des boîtes lever des millions sans business model. Le nôtre fonctionne, alors pourquoi est-ce qu'on ne lèverait pas autant ? Sans parler de certains mastodontes du Web qui ne savent pas où ils vont ».
Comme bon indicateur du succès de leur plateforme, les entrepreneurs ont remarqué qu'ils étaient toujours en rupture de stock de recettes. C'est-à-dire que les marques proposent trop de produits au regard du nombre de contributeurs qui peuvent les transformer en recettes. Pour cibler plus large, Recipay met aussi en avant des recettes pour les personnes allergiques, sans gluten par exemple.
En septembre, Recipay annoncera un partenariat avec « un grand acteur du social en France ». En parallèle, la plateforme va se décliner en plusieurs langues dont l'allemand, l'espagnol ou le portugais. Et gagner d'autres pays, comme l'Autriche, la Hollande et même le Mexique, où la demande serait forte. Thierry Bezier-Membrey en est sûr, « quelque chose me dit qu'on n'est pas sur la mauvaise voie ».