Depuis 2016, on observe une augmentation du nombre de mesures de restriction d'accès à Internet, bien que celles-ci aient connu une baisse significative pendant le pic de la pandémie de COVID-19.
L'année dernière a été marquée par des événements géopolitiques marquants. Guerre en Ukraine, manifestations en Iran, élections sous haute tension au Brésil… Affecté par les différentes crises économiques, politiques et sanitaires de ces dernières années, le monde entre dans une période d'instabilité et de grands changements. Les régimes autoritaires gagnent du terrain, mais doivent composer avec un outil de plus en plus populaire qui permet la libre circulation des informations et des opinions : Internet. En restreindre l'accès, même partiellement, devient une solution de premier ordre pour faire taire l'opposition, entretenir le flambeau des propagandes héritées du siècle dernier, et surtout, limiter la liberté d’expression.
Les oppositions et les minorités sont les plus affectées
Selon un récent rapport de l'ONG Access Now, il y aurait eu 187 coupures d'Internet dans 35 pays en 2022, contre 159 en 2020 et 75 en 2016. Il s'agit d'interruptions dues à des décisions de gouvernements nationaux ou locaux, ou d'acteurs travaillant sous leur juridiction, et non de pannes liées à des dysfonctionnements quelconques.
Parmi les nations les plus touchées figurent bien entendu l'Ukraine et l'Iran. Dans le premier cas, c'est l'armée russe qui a provoqué les coupures. Pour le second, c'est le pouvoir en place qui a tenté d'empêcher le mouvement de protestation de s'exprimer et de communiquer sur le Web. Respectivement, il y a eu 22 et 18 coupures d'Internet au cours de l'année passée.
Néanmoins, c'est l'Inde qui occupe la première place de ce triste classement. Parmi les 84 interruptions enregistrées, on en compte pas moins de 49 rien qu'au Jammu-et-Cachemire. Disputée avec le Pakistan, cette région du nord du pays a vu son autonomie révoquée en 2019, provoquant de nombreuses hostilités. Cependant, le gouvernement indien décrit la plupart de ses interruptions au niveau national comme étant des mesures de sécurité ou pour éviter toute tricherie lors des examens scolaires.
Le rapport précise que ces mesures sont souvent localisées à des régions spécifiques plutôt qu'à l'ensemble des territoires nationaux. Ainsi, ce sont bien souvent des minorités qui sont les plus touchées. Par exemple, au Myanmar, la junte militaire coupe Internet dans certaines régions pour « faciliter et dissimuler de graves violations des droits de l'Homme, et couper les communications entre les individus et les communautés », selon Access Now. En Éthiopie, une grande partie du Tigré, où une guerre civile a fait rage de 2020 à 2022, a subi plus de deux ans de coupure totale des communications.
Un nouvel ordre mondial sur le Web
Si aucun pays occidental ne figure dans ce classement, les réseaux sociaux américains ont été particulièrement touchés par ces coupures. Le rapport met en avant les cas de Facebook et Twitter, qui ont été spécifiquement bloqués 13 fois dans 11 et 12 pays respectivement. Il s'agit bien sûr de restreindre l'accès à des plateformes très populaires, par lesquelles de nombreuses personnes communiquent. Mais ce sont aussi les conséquences d'une méfiance croissante, voire d'une hostilité envers l'Occident dans une majeure partie du globe, et ce, pour des raisons qui ne sont pas toujours vertueuses.
À cet égard, on peut évoquer les deux absents du haut du classement, à savoir la Chine et la Russie, leur coupure unique en 2022 n'est pas anodine. Ces deux nations, dirigées par des régimes totalitaires, ont su maîtriser le numérique pour l'intégrer dans leurs stratégies de propagande et de censure. L'empire du Milieu a pensé son infrastructure Internet, dès sa création, pour qu'elle soit relativement indépendante du reste du monde. Avec des plateformes contrôlées par l'État, et des entreprises légalement obligées de fournir les données des utilisateurs et de prêter allégeance au parti au pouvoir, les Chinois vivent dans une autarcie numérique presque totale.
Dans le cas de la Russie, son infrastructure du Net est nettement moins contrôlée par le gouvernement (voire pas du tout), car elle est héritée des années qui ont suivi la chute de l'URSS. Durant cette période, l'État était peu présent, et l'accès au Web était assuré par des entités locales plutôt que nationales. Toutefois, le pouvoir en place depuis les années 2000 a pu prendre sous son contrôle des plateformes de réseaux sociaux populaires comme VKontakte, en les faisant racheter par des oligarques par exemple. Ainsi, si le conflit en Ukraine a fait de nombreuses victimes, les citoyens restent relativement peu conscients de la réalité du conflit, et toute opposition est rapidement étouffée.
La restriction de l'accès à Internet est une tendance qui semble se confirmer. D'un réseau connecté à travers le monde, le Web pourrait devenir une série de poches, de plus en plus hermétiques les unes aux autres, notamment dans les pays totalitaires. Des initiatives comme celles d'Elon Musk et de Starlink au plus fort de la contestation iranienne sont louables (sur le papier) et peuvent garantir l'accès à une information libre. Mais le rapport d'Access Now, au-delà de démontrer l'importance d'Internet au XXIᵉ siècle, donne aussi une carte très précise d'un monde dans lequel les droits de l'Homme sont encore trop souvent mis de côté.
Source : Neowin