Taxis, VTC, Loti : pourquoi les manifs se suivent et ne se ressemblent pas

Alexandre Broutart
Publié le 12 février 2016 à 09h30
Les manifestations des chauffeurs se poursuivent, et certains sont menacés de ne plus apparaître sur les plates-formes en ligne. Le Premier ministre a en effet décidé de renforcer l'application de la loi Thévenoud, suite aux revendications des taxis.

Depuis le début d'année, les chauffeurs ne décolèrent pas, et les manifestations des différents acteurs du transport léger se succèdent. Suite au nouveau plan d'action décidé par le gouvernement fin janvier, les manifestations quotidiennes des VTC remplacent désormais celles des taxis. Parmi eux, les chauffeurs Loti (transports collectifs à la demande) plaident leur survie, condamnée par les dernières mesures du gouvernement.

Le désespoir des Loti

Aux nombreuses manifestations des taxis, Manuel Valls a répondu par un communiqué, le 29 janvier, qui affirme que l'application de la loi Thévenoud de 2014 serait renforcée. La législation interdisait alors aux chauffeurs Loti de transporter moins de deux personnes.




Mais pour apaiser la colère des taxis, le Premier ministre a aussi indiqué qu'il prévoyait d'écarter ces chauffeurs des plates-formes en ligne de type Uber. « La mort assurée », selon le vice-président de l'AMT (alternative mobilité transport) interrogé par Libération. Ces applications sont d'autant plus vitales pour ces nouveaux chauffeurs que leur nombre (aujourd'hui estimé à 20 000) est toujours croissant.

Le problème, c'est que l'Etat lui-même - par l'intermédiaire de Pôle Emploi - a financé et orienté en masse les aspirants chauffeurs à la formation de Capacitaire LOTI et non VTC, et ce, bien avant la loi Thévenoud, selon un rapport de l'AMT. De nombreux rapport gouvernementaux (comme celui de 2009 sur « l'accès aux professions de transporteur ») ont en effet incité les collectivités territoriales à « s'appuyer davantage sur les entreprises de transport léger », soulignant que « ces professions ont été délimitées dans un contexte déjà ancien, d'une façon qui ne correspond plus aux réalités économiques du moment ».

Le désespoir des VTC

Contrairement à ce que laissait entendre le geste d'Uber en soutien aux manifestants mardi (coupure du service de 11h à 15h mardi), les VTC sont en colère contre la société américaine, et c'est en partie contre elle qu'ils manifestent. Ils dénoncent une route vers la paupérisation : n'ayant pas de contrat leur assurant un salaire fixe (90% des VTC sont indépendants), ces chauffeurs aux situations précaires sont soumis aux fluctuations des tarifs. Contrairement à ce qu'annonçait Uber pour rassurer ses chauffeurs, la baisse des tarifs décidée en octobre 2015 a encore réduit les revenus, sans pour autant changer leur commission. C'est pourquoi ils exigent une tarification minimale d'1,5 euro par kilomètre, avec une course minimale de 15 euros.




Ajouté à cela, la traque incessante des « Boers » (la police des taxis et VTC), chargée de faire appliquer la loi Thévenoud. Ces nouvelles brigades vérifient que les chauffeurs VTC ne prennent pas de client sans avoir eu de réservation préalable, n'attendent pas aux abords des aéroports (« pré-carré » des taxis), ou reviennent bien à leur station après chaque course. Sur le forum d'Uberzone, un chauffeur affirme avoir passé une nuit en garde à vue : « Je me suis fait arrêter par la police. Ils m'ont dit qu'ils me suivaient en filature depuis 20 bonnes minutes jusqu'à ce que je fasse un faux pas, c'est-à-dire prendre des passagers... »

Le désespoir des taxis

Les taxis ne s'indignent pas parce qu'une nouvelle et très forte concurrence leur arrache la clientèle. Les taxis manifestent parce que la concurrence semble dispensée de suivre les mêmes règles du jeu, du fait de son affiliation au monde numérique. D'abord, il y a l'obligation de la licence, dont les VTC sont exempts. Gratuites officiellement, mais revendues entre chauffeurs pour environ 250 000 euros, en raison du nombre limité de chauffeurs imposé par l'Etat (numerus clausus). Vient ensuite la question de la formation. Nombreux sont les taxis de la « veille école » à avoir passé un examen très difficile nécessitant une connaissance parfaite de leur ville : « On nous donnait la carte d'un quartier au hasard et il fallait mettre le nom des rues » témoigne Salim, chauffeur depuis 1986.

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Aujourd'hui, devenir chauffeur de VTC dispense de l'examen, mais demande une formation de 250 heures. Seulement cette formation, réputée rigoureuse, est justement en voie d'être réduite à néant par les autorités, selon un projet du gouvernement dévoilé par Le Figaro. Paul Risbourg, secrétaire général de la fédération nationale des VTC (Csnert) affirme que dans l'attente de ce nouvel arrêté, les écoles de formation ont été interdites d'accepter des candidatures car il n'existe plus de conditions d'aptitude professionnelle pour devenir chauffeur de VTC : « Nous sommes face à un cas de flou juridique. Le gouvernement a encore agi dans la précipitation. Il faut attendre les éventuelles parutions de textes qui vont encore possiblement saupoudrer des mesurettes stupides »

Et puis il y a la colère des sociétés comme G7 ou Taxis bleus, qui payent des impôts, alors qu'Uber bénéficie d'une combine fiscale : elle est dispensée des charges salariales puisqu'elle n'emploie pas officiellement les chauffeurs. Ces derniers en revanche, payent des impôts, et reversent une commission à Uber BV, une filiale aux Pays-Bas, laquelle dépend d'une seconde entité dans le pays, et d'une troisième, aux Bermudes.

A Londres, 8000 "black cab" (taxis londoniens) manifestent aujourd'hui, en écho aux manifestations de Paris et de Toronto durant le mois de janvier. Ce matin, deux dirigeants d'Uber France ont été appelés à comparaître dans le cadre de la procédure contre UberPop, pour complicité d'exercice illégal de la profession de taxi, pratique commerciale trompeuse et conservation illégale de données informatiques.

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