Pour la CJUE, un éditeur ne peut s'opposer à la revente de logiciels d'occasion

Alexandre Laurent
Publié le 03 juillet 2012 à 18h22
Dans un arrêt rendu mardi, la Cour de Justice de l'Union Européenne a estimé qu'un éditeur de logiciels ne pouvait s'opposer à la revente de ses logiciels, même si ceux-ci avaient initialement été distribués sous forme numérique.

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Pour la CJUE, un éditeur ne peut s'opposer à ce que ses logiciels soient revendues par un tiers. La décision, formulée dans le cadre d'un différend opposant Oracle à la société allemande UsedSoft, pourrait se révéler lourde de conséquences pour l'industrie du logiciel, traditionnellement peu encline à ce qu'une licence circule d'un client à l'autre.

L'affaire oppose l'éditeur américain Oracle, qui commercialise sous forme de licences en volume le droit d'utiliser ses solutions de gestion de bases de données, à l'allemand UsedSoft, qui s'est fait une spécialité de racheter puis revendre ces licences, créant ainsi une forme de marché de « l'occasion » portant sur des logiciels professionnels.

Un marché de l'occasion du dématérialisé ?

Oracle, qui préfère logiquement commercialiser de nouvelles licences plutôt que de voir circuler celles qu'il a déjà vendues, a attaqué UsedSoft en justice, au motif que ce dernier violait les droits exclusifs portant sur la reproduction de ses logiciels.

Lorsqu'un client achète une licence Oracle, il obtient en effet de l'éditeur le droit de télécharger et de stocker sur ses propres machines une version du logiciel concerné, ce qui constitue donc une reproduction de ce dernier. Pour l'éditeur américain, ce droit de reproduction n'est pas cessible. Or en commercialisant le transfert de tout ou partie d'une licence d'un client vers un autre, UsedSoft entraîne la création d'une nouvelle copie du logiciel, puisque l'acheteur vient alors télécharger le logiciel chez Oracle.

L'argumentation se heurte toutefois à une directive européenne - ou plus précisément, à l'article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, datée du 23 avril 2009. Cet article dispose que celui qui commercialise un bien immatériel, au sein de l'Union Européenne, épuise le droit de distribution de cette copie : il n'en est donc plus le détenteur exclusif, et ne saurait s'opposer à la libre circulation de celui-ci. Autrement dit, l'éditeur qui vend une licence en Europe perd le monopole d'exploitation de cette dernière.

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Reste à voir si ce principe d'épuisement s'applique dans le cadre d'un téléchargement par Internet, ce que récuse Oracle. Pour obtenir cette interprétation de la directive 2009/24/CE, le tribunal allemand en charge de l'affaire s'est donc tourné vers la CJUE, dont la décision est sans ambages.

« Limiter (...) l'application du principe de l'épuisement du droit de distribution (...) aux seules copies de programmes d'ordinateur vendues sur un support matériel permettrait au titulaire du droit d'auteur de contrôler la revente des copies qui ont été téléchargées au moyen d'Internet et d'exiger, à l'occasion de chaque revente, une nouvelle rémunération alors que la première vente de la copie concernée aurait déjà permis audit titulaire d'obtenir une rémunération appropriée »., indique celle-ci dans son arrêt.

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Oracle aura pourtant fait valoir qu'en cas de transmission de licence, il est impossible de vérifier si le client d'origine a bien supprimé la copie du logiciel dont il dispose avant cession. L'argument n'a pas fait mouche : pour la cour de justice, le problème se pose en des termes identiques si le logiciel a été vendu sur un DVD ou un CD puisqu'il est aisé de réaliser la copie d'un support physique. « Pour résoudre cette difficulté, il est loisible au distributeur d'employer des mesures techniques de protection comme des clés de produit », rétorque-t-elle.

Autrement dit, une vente est une vente, qu'elle se déroule par le biais d'un support physique ou via Internet, entraînant de ce fait la fin des droits exclusifs du distributeur initial du bien. « Ainsi, le nouvel acquéreur de la licence d'utilisation, tel qu'un client de UsedSoft, peut en tant qu'acquéreur légitime de la copie corrigée et mise à jour du programme d'ordinateur concerné, télécharger cette copie à partir du site Internet du titulaire du droit d'auteur », conclut la CJUE dans son commentaire.

Cet arrêt n'a pas valeur de verdict immédiat mais l'interprétation livrée ici a vocation à permettre au tribunal d'origine de régler le litige qui lui a été soumis. Elle pourrait donc être opposée aux éditeurs de jeux qui refusent aujourd'hui la revente de licences d'occasion. En ce sens, elle ouvre sans doute la voie à la multiplication des systèmes de contrôle de licences, par lesquels les principaux concernés tenteront de limiter le phénomène.
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