Le vote de la loi « Création et Internet » sera-t-il aussi chaotique que celui de la « DADVSI », fin 2006 ? Alors que le Parlement européen vient de voter à une large majorité un amendement susceptible de remettre en cause le concept de riposte graduée tel que le défend le gouvernement français, le porte-parole de l'UMP demande dans un communiqué l'adoption d'une procédure d'urgence pour celle que tous surnomment déjà la loi « Hadopi ». Pascal Nègre, président d'Universal Music France et de la SCPP, connu pour ses envolées anti-P2P affirme son soutien à cette mesure exceptionnelle.
« L'UMP vient de proposer que le texte "Internet et création" soit adopté selon la procédure d'urgence. Si jamais au cours de ces dernières années projet de loi a nécessité l'urgence c'est bien celui-ci », commente Pascal Nègre. « La chute des ventes de disques se précipite, moins 19% depuis le début de l'année, moins 50% en cinq ans. Et cela à cause de pratiques dont tout le monde sait qu'elles sont illégales, dont personne n'ignore qu'elles conduisent à un affaiblissement dramatique de la création ainsi que sont en train de le rappeler les créateurs de notre pays ».
Comme Christine Albanel (voir Albanel : le vote européen ne compromet pas Hadopi), le président de la SCPP estime que la suspension de l'abonnement à Internet n'enfreint en rien les libertés individuelles. « Il est temps, il est urgent que soient adoptées les dispositions qui permettront, sans bien sûr qu'aucune atteinte soit portée à quelque liberté que ce soit, de lutter contre le téléchargement illégal des œuvres culturelles contre la volonté exprimée de tous ceux, auteurs, artistes, producteurs sans qui elles n'existeraient pas », conclut-il.
Comme la loi DADVSI en son temps, le projet Hadopi risque de cristalliser l'attention. Si la position de Pascal Nègre n'a rien de surprenante, des tensions devraient intervenir aux niveaux politique et européen. Viviane Reding, Commissaire à la Société de l'information, vient en effet de déclarer qu'elle rejetterait l'amendement susceptible de compromettre le principe de riposte graduée, alors même que les parlementaires ont voté en sa faveur à une majorité de plus 85% ! Guy Bono, coauteur de l'amendement incriminé, n'éprouve après une telle prise de position aucune difficulté à tirer à boulets rouges sur Viviane Reding, dont les propos ne feraient « qu'empirer l'image de la commission européenne caractérisée par son déficit démocratique ».
Du côté de l'UMP, on accuse les socialistes de volontairement faire capoter les débats, en ciblant de façon explicite les eurodéputés Guy Bono, et Catherine Trautmann. « En faisant adopter un tel amendement qui prévoit que seule la voie judiciaire peut entrainer la suspension d'un abonnement internet, le PS veut éviter toute action efficace contre le piratage; le paradoxe est que la démarche tend à prévoir des poursuites devant les tribunaux contre les internautes, c'est à dire une voie beaucoup plus dure que la voie choisie par la France mais avec l'espoir de rendre impossible toute action contre les fraudeurs », commente le parti au pouvoir, avant de se demander « Pourquoi tant d'acharnement de la part du Parti Socialiste français contre les auteurs, compositeurs et plus généralement créateurs français ? ».
Alors que le ton et les positions de chacun se durcissent, dans un contexte déjà obscurci par le dossier Edvige, la procédure d'urgence serait effectivement le moyen d'obtenir l'adoption rapide d'une loi « Création et Internet » correspondant aux voeux de ses auteurs. Les Chambres ne procèderaient alors qu'à une lecture du texte au lieu de deux. Reste à savoir si la majorité saurait effectivement rassembler ses élus sur la question : les différents votes européens ont montré que l'unanimité n'était pas gagnée d'avance.