La DSi n'a rien de techniquement révolutionnaire, certes, mais elle n'est pas non plus présentée ainsi par ses concepteurs. En ajoutant deux modules caméras (un en face avant et l'autre à l'arrière), Nintendo a pour objectif premier de permettre aux développeurs d'offrir des divertissements d'un nouveau genre en exploitant non seulement les graphismes et l'écran tactile, mais aussi de combiner le tout avec des images réelles. La première application basique consiste à bidouiller des photos, elle est intégrée en standard. Ce n'est sans doute là qu'un produit d'appel qui plaira d'emblée aux Japonais, lesquels adorent tout ce qui a trait à l'image (manipulation, classement, visionnage), mais qui ne reflète guère pour l'heure le potentiel réel que cela permet. Attendons de voir ce qu'imagineront les créateurs de jeux et autres amusements pour juger de la pertinence de ces simples nouveaux composants.
Après tout, techniquement, l'écran tactile n'est pas né sur la DS. Il était déjà une pièce maîtresse des assistants numériques personnels (PDA). Il n'empêche, on mesura ensuite combien il était malin de l'intégrer à une console lorsque les studios de création ont développé des nouveaux jeux plus grands public et de genres inédits qui exploitèrent fort bien cette interface. Il est donc hâtif de dire que la DSi est décevante. Dans un an, si aucun nouveau type de jeu n'est apparu qui utilise dans un sens inattendu la présence des caméras n'apparaît, on pourra alors peut-être en tirer cette conclusion. Patience donc. Tel est en tout cas le sens des remarques du patron de Nintendo, Satoru Iwata, lors de sa conférence de presse réservée aux seuls journalistes, développeurs ou analystes japonais et aux correspondants permanents au Japon.
"La possibilité de prendre des photos et la fonction de lecture audio ne sont pas là pour concurrencer le téléphone portable polyvalent mais pour servir de support à de nouveaux jeux photographiques et sonores", a souligné M. Iwata, démonstration de nouveautés à l'appui. La "DSi", capable de se connecter à internet et de communiquer avec ses pairs, permet aussi de réaliser des mini-animations à partager. Elle accueille également des cartes-mémoire SD. Pour M. Iwata, la nouvelle console doit permettre la création de nouvelles applications pour atteindre le but ultime visé de longue date, depuis l'origine, "une console DS par personne", chacun ayant une machine individualisée par les contenus qu'elle enferme et qui ne soient pas des produits du commerce mais des créations personnelles entrant en interaction avec les jeux. C'est vrai pour la photo, ça l'est aussi pour les sons et la musique, d'où l'intégration également dans la DSi d'une fonction de reproduction sonore plus poussée. Là encore, gageons que les développeurs vont chercher à exploiter cette nouveauté pour concocter des applications ludiques inédites. Laissons leur le temps d'y réfléchir.
L'ouverture d'une boutique en ligne DSi Shop et d'un site de téléchargement de jeux simples (4 niveaux de prix et de complexité), DSi Ware, s'inscrit dans la même logique. Ces jeux pourront de plus être achetés à l'aide de cartes prépayées en vente dans des supérettes de proximité ouvertes 24 heures sur 24 et présentes à tous les coins de rue au Japon, un moyen pour permettre aux enfants, dépourvus de carte bancaire, de dépenser ainsi leur argent de poche. Le DSi Ware est aussi une réponse à ceux qui font remarquer, à juste titre, que les jeux pour iPhone et autres téléphones sont téléchargeables et moins chers que les cartouches pour consoles vendues dans les magasins pour des performances égales ou supérieures. La gamme des applications pour DS s'en trouvera donc étendue et la création plus seulement réservée aux concepteurs patentés de jeux et capables d'investir des budgets importants dans les développements.
Nintendo compte aussi sur l'émergence d'accessoires particuliers qui donneront à la DS des facultés supplémentaires, tout comme le Wii Fit (sorte de pèse-personne) en fournit à la console de salon Wii. Dans ce registre, le groupe a présenté jeudi un petit podomètre à porter sur soi. Il enregistre le nombre de pas effectués en une journée, données que l'on transfert ensuite sur la DS équipée d'un programme spécial "Seikatsu rythm DS" ("rythme de vie"). Cette comptabilité est très à la mode au Japon auprès des adultes qui, à la demande de leur employeur et de l'Etat, luttent contre l'embonpoint. Autre nouveauté : le développement de jeux dérivés d'émissions de TV et de programmes éducatifs, en partenariat avec le groupe de chaînes publiques nippon NHK.
En ajoutant ces fonctionnalités à la famille DS, Nintendo espère donc encore élargir le champ des divertissements et de ce fait relancer les ventes de DS au Japon, où elles ont tendance à marquer le pas ces derniers mois. Lancée en décembre 2004, la famille de console "DS" s'est déjà vendue à plus de 77,5 millions d'exemplaires dans le monde, dont près d'un tiers au Japon, mais selon M. Iwata, il reste encore un énorme marché qu'il s'agit désormais de conquérir en proposant des fonctions nouvelles, lesquelles ne sont d'ailleurs pas seulement liées aux innovations incluses dans les consoles elles-mêmes mais aussi à la multiplication des occasions de l'utilisation à domicile et dans les lieux publics.
C'est la raison pour laquelle Nintendo a déjà installé au Japon 1000 « DS Station », des bornes que l'on trouve par exemple dans des boutiques d'électronique et qui permettent d'essayer de nouveaux jeux ou bien à proximité desquelles les possesseurs de DS peuvent jouer en réseau et bénéficier de contenus spécifiques. De la même façon, Nintendo s'est associé au Japon avec les restaurants rapides McDonald's pour créer des Nintendo Zone, lieux où, là encore, les utilisateurs de DS sont incités à allumer leur machine pour profiter de petits plus.
Parallèlement, Nintendo a présenté jeudi plusieurs nouveautés destinées à entretenir les ventes de sa console de salon "Wii", lancée fin 2006 et qui s'est déjà écoulée à environ 30 millions d'unités dans le monde. Le groupe de Kyoto (ouest) mise sur des divertissements sortant du cadre habituel du jeu vidéo et favorisant le divertissement amical et familial.
En vedette lors de la conférence de presse de jeudi, jazz, rock, balade, et autres mélodies, avec "Wii Music", un logiciel qui permet d'improviser des morceaux en mimant la gestuelle d'un instrumentiste à l'aide des manettes spéciales sans fil de la Wii. Concept similaire, mais en chanson, avec "Karaoke Joysound Wii". Après le succès des simulations de sport (tennis, bowling, golf), Nintendo poursuit dans la veine des amusements conviviaux, faciles à comprendre et à la portée de tous. Les papas de ces produits pensent non seulement aux jeunes mais aussi, voire surtout, aux générations de plus de 40 ans qui affectionnent le karaoké et sont nostalgiques de l'époque où ils formaient des groupes de musique amateurs.
Avec la DS comme avec la Wii, Nintendo a eu le mérite de redonner du souffle au marché du jeu vidéo qui s'essouflait au Japon du fait de la complexité des jeux et de la baisse de la population jeune. Reste que M. Iwata reconnaît que la Wii n'est pas dépourvue de lacunes (mémoire interne trop restreinte) et que trop peu de foyers utilisent la faculté de naviguer sur des sites internet avec cette machine, ce qui bride le potentiel de vente de jeux et autres produits ou contenus dédiés en ligne. Car Nintendo positionne aussi la Wii comme un terminal d'accès simplifié à la Toile, notamment pour les foyers de personnes âgées qui passent plus de temps devant leur télévision que devant l'écran d'un ordinateur, objet jugé trop compliqué. Cependant, la configuration de la Wii pour la relier au réseau n'est pas assez simple pour inciter tous les possesseurs à utiliser cette fonctionnalité, avoue M. Iwata.
Voilà pourquoi Nintendo a monté un partenariat au Japon avec l'opérateur de télécommunications NTT, lequel se charge d'aider ses abonnés à connecter et paramétrer leur Wii. Ce n'est pas tout : Nintendo a annoncé jeudi une nouvelle initiative qui consiste à offrir des sortes de bons d'achat sous formes de points aux individus capables de configurer une Wii pour la connecter à internet et qui aident les profanes à paramétrer la leur.
Nintendo, qui a vu ses ventes et profits bondir dans des proportions considérables depuis 2005, reste, malgré la crise et les appréhensions des consommateurs, fortement optimiste pour l'avenir. Le groupe a en effet relevé dernièrement ses prévisions de résultats annuels, grâce au succès mondial des actuelles Wii et DS, ainsi que des jeux associés. Nintendo espère ainsi un bénéfice net annuel pour l'exercice en cours de 410 milliards de yens (2,5 milliards d'euros), contre 325 milliards de yens estimés au départ. Il avait totalisé un gain net de 257 milliards de yens lors de l'exercice clos le 31 mars dernier.
Ces bonnes performances résultent de ventes supérieures aux attentes aidées par des taux de change du yen face au dollar et à l'euro moins défavorables qu'il ne le craignait en début d'exercice. Nintendo s'attend désormais à des revenus annuels de ventes de jeux et consoles égaux à 2.000 milliards de yens (12,5 milliards d'euros), contre 1.800 milliards de yens auparavant escomptés et 1.672 milliards encaissés l'an passé.
Son bénéfice d'exploitation devrait s'élever à 650 milliards de yens, contre 530 milliards initialement annoncés et 487 milliards dégagés en 2007-2008. Le groupe entend donc bien continuer d'entretenir par petits apports successifs (dont la DS i est le dernier exemple en date) un cercle vertueux: les possesseurs de consoles étendent leur logithèque et jouent de plus en plus, et les nouvelles applications, plus ou moins ludiques, attirent un public plus large que celui des enfants et habituels accros du jeu vidéo, sans exclure ces derniers qui trouvent aussi de quoi se rassasier. La preuve, Nintendo n'a pas manqué de présenter jeudi des images de Final Fantasy Crystal Chronicles, de Dragon Quest IX et de Monster Hunter 3.
PS : les singularités de la société japonaise vous intriguent? Lisez donc "Les Japonais", un ouvrage écrit par l'auteur de ces lignes paru le 18 septembre aux éditions Tallandier (506 pages, 25 euros).