Après des semaines de trajet et plusieurs mois de réglages, le télescope spatial de l'Agence Spatiale Européenne spécialisé dans la cartographie de l'Univers livre ses « premières images » officielles. Euclid est aussi performant que prévu, les photographies sont splendides ! La chasse à l'énergie noire peut commencer !
Il avait décollé le 1er juillet dernier, avant de démarrer ses prises d'images six semaines plus tard, une fois arrivé autour du point de Lagrange Terre-Soleil L2, dans le même voisinage que « l'autre télescope », le James Webb. Euclid avait même démarré sa campagne de qualification et d'étalonnage des instruments sur les chapeaux de roues… Avant que les équipes n'aient à gérer une grosse inquiétude.
Régler ce problème de reflet
En effet, lors des premières prises d'images, certaines en particulier sur l'instrument VIS (il y a deux instruments à bord, le VIS en bande optique visible, et le NISP en infrarouge) montraient un inquiétant reflet. Le but d'un télescope étant de collecter un maximum de lumière, l'objectif est naturellement de réduire les sources parasites au maximum : c'est pour cela qu'Euclid tourne de façon permanente le dos au Soleil, qu'il est sur une trajectoire optimisée et qu'il a été conçu pour des campagnes avec des orientations spécifiques.
Cela n'aura pas totalement suffi néanmoins, avec un reflet sur un propulseur capable de perturber l'optique et de créer un reflet parasite. Heureusement, ce type de reflet (qu'il n'est pas possible de changer) ne se manifeste qu'avec 10 % des orientations prévues pour le télescope, qui a donc bénéficié de plusieurs semaines de tests pour optimiser ses campagnes scientifiques et ne plus jamais être victime de cet ennui particulier. De quoi soulager les équipes, parce que le VIS comme le NISP ont fait leurs preuves, ils sont même au-delà des gammes de performances attendues.Euclid va pouvoir démarrer sa mission scientifique.
Appelez le cartographe !
Euclid va constituer, à travers ses images en particulier centrées sur les galaxies qui nous entourent, une cartographie 3D de notre univers (le capteur visible les identifie, l'infrarouge permet de les catégoriser). Des centaines de millions d'entre elles vont ainsi être classées, positionnées, labellisées sur plus de 10 milliards d'années-lumière. À terme, on comprendra donc mieux la structure de notre univers, proche, mais aussi dans son lointain passé, pour comprendre les mystères de son expansion, de la matière noire et de l'énergie sombre.
Une quête qui a déjà démarré, grâce aux clichés qui sont dévoilés ce mardi 7 novembre au grand public et qui marquent le début en fanfare des prises de mesure. Ils contiennent (comme ce fut le cas en 2022 avec le JWST) déjà suffisamment d'information pour faire l'objet de publications scientifiques… Mais ces clichés sont aussi des « bonbons », quelques merveilles pour les yeux afin de communier autour de cette étape marquante pour le télescope. « Euclid représente un bond dans notre compréhension globale du cosmos, et ces images exquises nous montrent que la mission est prête à dévoiler les réponses d'un des grands mystères de la physique moderne », explique Carol Mundell, la responsable scientifique de l'ESA. C'est aussi la concrétisation de tous les efforts d'années de préparation pour le télescope au sol, et l'assemblage des instruments : les images produites sont vraiment le produit final dont rêvaient les responsables du projet.
Un florilège de galaxies avec Persée
On y retrouve l'amas de galaxies de Persée (Perseus Cluster), que l'on a affiché en tête de l'article. Sur ce dernier, on peut distinguer à l'œil nu plus de 1 000 galaxies différentes, et dans les détails de l'image, les astrophysiciens savent que plus de 100 000 autres se cachent encore, mais seront révélées par le télescope. Bon nombre d'entre elles n'ont jamais été observées ni révélées, faute de mesures et leurs caractéristiques vont révéler la structure de ce « coin » de l'Univers. L'amas de Persée est particulièrement scruté, car il est connu dans la littérature scientifique comme une zone qui n'a pu se former et évoluer qu'avec une forte proportion de matière noire. Cartographier ce petit coin du ciel avec précision recèle donc un trésor scientifique !
La galaxie spirale IC 342
En observant les galaxies et en cartographiant certaines de leurs étoiles les plus caractéristiques, Euclid va progresser dans son étude de la matière noire : les astrophysiciens supposent aujourd'hui que c'est grâce à cette dernière que les galaxies ont leur forme et leur cohésion. Ainsi, grâce à l'étude de ces marqueurs, leur âge, leur vitesse, leur position dans les galaxies (en particulier les spirales comme IC 342), on en saura plus sur les interactions avec cette masse que l'on ne détecte pas.
Les galaxies irrégulières : NGC 6822
Pour observer des galaxies très anciennes, Euclid va devoir cartographier des milliers de formes différentes, et les identifier. La plupart des « vieilles » galaxies observables ressemblent plus à des amas qu'à de belles spirales comme on peut parfois les voir publiées ! Il s'agira de peaufiner la technique pour bien comprendre à la fois la dynamique de leur formation, leur forme, et ne pas les confondre avec d'autres éléments, comme de petits clusters d'étoiles et de gaz.
Les clusters et amas d'étoiles globuleux : NGC 6397
Cet amas d'étoiles est à seulement 7 800 années-lumière de la Terre, c'est le deuxième plus proche de notre Système solaire et seul Euclid, avec son très large champ de vue, est capable de produire des images si résolues d'une région aussi étendue. Ces clichés uniques vont servir à affiner les calculs ainsi qu'à observer des étoiles très peu brillantes et leurs caractéristiques, pour encore un peu mieux contraindre l'histoire de notre galaxie, la Voie lactée. Les mesures permettront également de comparer les calculs et le catalogue d'un autre cartographe européen, lui aussi installé au point de Lagrange L2, le télescope Gaia (qui lui, cartographie uniquement les étoiles).
La nébuleuse de la tête de cheval
Aussi appelée Barnard 33, cette nébuleuse fait partie des « incontournables » à photographier avec un télescope spatial ou même terrestre. Cela permet de comparer les performances, mais aussi au fil du temps d'étudier l'évolution de cette « nurserie d'étoiles », qui devrait abriter de nombreuses exoplanètes massives, à la frontière entre des planètes et des étoiles (des Jupiter chaudes, et des naines brunes).
Enfin, ne boudons pas notre plaisir, si l'on aime cette nébuleuse, c'est aussi parce qu'elle est particulièrement belle. Et même si tout ça est particulièrement subjectif comparé à la science, générer de l'émerveillement n'est jamais gâcher du temps.
Source : Communiqué de presse ESA