Terrible semaine au Jet Propulsion Laboratory (JPL) qui, faute de budget, se voit obligé de licencier 530 employés et 40 sous-traitants. Une main-d’œuvre principalement associée au projet MSR, le retour d'échantillons prélevés par le robot Perseverance sur Mars. Inévitablement, cela va se répercuter sur la mission.
Sale ambiance à Pasadena, en Californie. Ce matin, le Jet Propulsion Laboratory (JPL) a demandé à tous ses employés de rester chez eux, et d'attendre devant leur boîte mail pour savoir s'ils seraient ou non victimes de cette importante vague de départs. 8 % des chercheurs, ingénieurs et techniciens seront concernés, pour un total de 530 départs, sans oublier 40 sous-traitants, affectés sur un projet spécifique... Et c'est déjà la deuxième vague, un premier groupe de 100 personnes avait été mis de côté en décembre. La quasi-totalité des départs concerne les travailleurs affectés à une mission en particulier, le Mars Sample Return (ou MSR), qui consiste à ramener sur Terre les échantillons actuellement prélevés sur la surface de Mars par le grand rover Perseverance. C'est tout simplement la mission la plus importante du moment pour le JPL, qui prépare néanmoins d'autres véhicules comme Europa Clipper (départ cette année pour les lunes de Jupiter), Dragonfly (Titan, la lune de Saturne) ou Veritas (Vénus). Mais le gros problème avec MSR, c'est sa place dans le budget de la NASA et la décision politique de son budget.
Des gros sous et de la politique
En effet, la NASA a un problème. Comme chaque année, ou presque ! Car les deux chambres du Congrès (le Sénat et la Chambre des Représentants) des États-Unis doivent se mettre d'accord sur le budget de l'état pour l'année fiscale 2024. Laquelle est en cours depuis plusieurs mois, car aux USA, l'année fiscale démarre le 1er octobre. Le budget est donc préparé en amont, mais dans cette année pré-électorale, les politiciens s'opposent. Or pour eux, pas de 49.3. Il y a donc trois options : soit ils arrivent à se mettre d'accord, soit il y a un arrêt brusque et forcé des services étatiques, soit les chambres votent un report le temps de nouveaux débats (c'est en fait la situation actuelle). Mais durant ce report, que l'on appelle un CR (Continuing Resolution), les budgets sont gelés au niveau de l'année précédente.
De quoi fonctionner pour la NASA, ce qui marche plutôt bien pour des projets de long terme (comme l'ISS, Hubble, le JWST...), mais qui a un impact majeur sur les missions en préparation ou qui doivent changer de statut. MSR, pour pouvoir décoller à la fin de la décennie, devait bénéficier d'une augmentation de budget de 300 à 943 millions de dollars. Pas de vote, pas de décision, pas de budget : le JPL « libère » les ressources et employés qu'il avait rassemblés autour du retour d'échantillons.
Congé sans solde ou sans retour ?
Le problème de ces licenciements, outre l'évident impact sur la vie des concernés, c'est qu'ils vont quoi qu'il arrive à présent peser sur la mission. Même en admettant que le budget soit finalement voté dans les jours à venir, et que le JPL reçoive à nouveau des fonds pour le MSR, il faudra des semaines, sinon des mois pour reformer les équipes. Car sans oublier leur potentielle lassitude vis-à-vis du JPL ou de la NASA qui les laisse tomber, bon nombre d'entre eux vont être dès aujourd'hui courtisés par un certain nombre d'autres entités, entreprises reconnues ou start-up qui seront heureuses de bénéficier de ces profils. Ce n'est pas la première fois qu'un laboratoire doit laisser partir ses forces vives, et cela a généralement plusieurs années d'impact sur les missions, quand elles ne vont pas ensuite vers une annulation.
Outre le budget de l'état en général et de la NASA en particulier, le projet MSR lui-même souffre de problèmes de clarté. Ces trois dernières années, l'addition a tout simplement explosé. Et alors qu'au printemps dernier l'agence américaine estimait qu'il lui faudrait environ 5,6 milliards de dollars pour boucler l'ensemble de la mission jusqu'au retour sur Terre, une autre estimation menée fin 2023 mettait de son côté la barre autour des 8,5 à 9,5 milliards. Un surcoût qui passe mal, surtout pour un projet déjà en cours, et à un moment où la priorité est plutôt orientée sur les missions lunaires aux États-Unis. La bataille politique pour libérer un budget important au retour d'échantillon passe donc aussi par une définition claire des coûts et des objectifs, sans quoi la NASA et le JPL ne sont pas prêts de pouvoir réembaucher grand monde.
Perseverance est bien seul
Mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que Perseverance est déjà sur Mars, et que le rover collecte déjà des échantillons. Il en a une majorité avec lui aujourd'hui, et le plan actuel est qu'il les dépose lui-même près de la plateforme de retour. Il pourra le faire dans 5 ans, mais sera-t-il toujours aussi vaillant dans 10, 12 ou 15 années ?
Ce retard touche aussi l'ESA : les Européens se sont engagés à fournir ERO, l'orbiteur qui va récupérer les échantillons en orbite de Mars et les ramener sur Terre. Faudra-t-il attendre les Américains ? Enfin, n'oublions pas la Chine, qui pour son image serait ravie de devancer les Américains sur un sujet aussi important que les premiers échantillons récupérés sur une autre planète.
Source : Space News