La politique de censure numérique en Russie s'accélère : blocages massifs de site web et une offensive encore plus soutenue contre les VPN. Le bras de fer entre l'Ours et les technologies de contournement n'aura jamais été aussi tendu.
Le pays poursuit sa stratégie de contrôle du web avec une intensité redoublée. L'année 2024 a été celle du muselage : retrait des VPN de l'App Store, bloquage complet et censure du service de messagerie Signal, et plus récemment, en octobre, c'était au tour de Discord de se faire bâillonner. À une échelle globale, le Kremlin a placé plus de 523 000 sites web sous restrictions d'accès, portant le total historique à plus de 1,8 million de domaines bloqués.
Le Service Fédéral des Impôts en première ligne du contrôle numérique
Les données recueillies par Roskomsvoboda, ONG phare dans la défense des droits numériques, nous en apprend un peu plus sur la tactique de blocage russe. Alors que Roskomnadzor, le régulateur historique des télécommunications, était jusqu'ici perçu comme le vrai chef d'orchestre de la censure numérique, il convient désormais de nuancer ce propos.
En réalité, c'est le Service Fédéral des Impôts (FTS) qui déploie tout son arsenal pour aider la Russie à garder le numérique sous contrôle. Cette montée en puissance du FTS s'explique notamment par sa capacité à identifier et cibler les transactions financières liées aux services numériques non autorisés, créant ainsi un maillage de contrôle plus dense que celui traditionnellement exercé par Roskomnadzor. Une stratégie à deux niveaux, mêlant surveillance financière et contrôle technique pour transformer l'aspect purement économique en levier de régulation.
Le blocage des VPN en Russie : une victoire à la Pyrrhus ?
La cartographie dessinée par 1 200 ordres de blocages récents n'est pas réellement surprenante : les adresses IP des services visés se situent majoritairement en Europe et aux États-Unis, avec seulement quelques cas isolés près des frontières russes. Que prouve cette distribution géographique ? Que l'utilisation généralisée des serveurs proxy inversés (intermédiaire qui se place devant un serveur web pour gérer les requêtes des clients) par les fournisseurs de VPN complexifie grandement la tâche des autorités du pays.
La législation russe établit désormais une distinction claire entre deux catégories de VPN : les services officiellement enregistrés auprès des autorités et ceux considérés comme illégaux, refusant de se soumettre aux exigences gouvernementales d'accès aux données. La promotion et la vente de ces derniers sont dorénavant passibles de poursuites judiciaires, bien que les autorités privilégient pour l'instant le blocage des sites plutôt que les sanctions pénales.
Les données de Verstka.Media nous apprennent qu'un cycle un peu étrange a eu lieu : quand les blocages permanents ont quintuplé entre 2022 et 2024, l'appareil étatique russe s'est vu contraint de lever simultanément 106 000 restrictions. Chaque vague de blocage engendre une mutation des protocoles VPN, forçant les autorités à abandonner des restrictions devenues obsolètes : un véritable système immunitaire numérique, s'adaptant pour survivre.
L'omniprésence des adresses Cloudflare dans les registres de blocage russes n'est que le reflet d'une réalité technique élémentaire : l'architecture décentralisée d'Internet, héritée de sa conception militaire initiale ARPANET, qui continue de déjouer les tentatives de contrôle territorial.
Dans cette bataille qui ne semble pas avoir de fin, les autorités russes semblent redécouvrir une des lois gouvernant la sphère numérique : l'innovation naît souvent des contraintes qu'on tente de lui imposer. La guerre d'usure menée contre les VPN, intensifiée depuis le début du conflit en Ukraine, s'avérera certainement bien plus complexe que prévu.
Source : Torrent Freak
03 février 2025 à 09h18