On ne peut pas être bon partout. C'est un fait. Et s'il y a un domaine qui semble ternir l'image d'Apple, c'est probablement le Web. C'est comme ça depuis 20 ans. Pourtant, le géant californien s'en sort bien... Enfin, en apparence.
iPhone, Apple Watch, Mac, AirPods, iOS, macOS : lors de ses conférences, Apple aborde à peu près tous ses produits et systèmes à tour de rôle. Mais rares sont les annonces concernant les services d'iCloud. Comme s'il fallait les laisser dans l'ombre. Comme si l'entreprise n'était pas encore très à l'aise sur le sujet.
Un géant du cloud
Nous rapportions le mois dernier une étude du CIRP selon laquelle, aux États-Unis, iCloud était utilisé par près de deux tiers des détenteurs d'un iPhone, d'un Mac ou d'un iPad. Ces derniers disposeraient non seulement d'un compte iCloud, mais surtout seraient abonnés à l'une des versions payantes du service iCloud+.
Disponible à partir de 0,99 euro par mois, iCloud+ serait alors l'abonnement le plus profitable pour la multinationale, devant Apple Music et Apple TV. Selon des statistiques émanant de WorldMetrics, mais non confirmées par Apple, il y aurait aujourd'hui 850 millions de comptes iCloud créés.
Comment expliquer cette popularité ? La synchronisation transparente des photos entre appareils n'y est certainement pas étrangère. Sans parler de ces sauvegardes automatiques et des applications qui activent iCloud Drive par défaut.
De fait, Apple est sans aucun doute un acteur majeur du cloud. La firme de Tim Cook disposerait aujourd'hui d'une dizaine de centres de données, aux États-Unis, mais aussi en Chine, au Danemark ou en Irlande. Elle amorce désormais son plus grand défi : la mise en place d'une infrastructure pour son Apple Intelligence.
Le cloud, un trauma du passé
Et ce n'était pas gagné. Sur le cloud, Apple a un lourd passif. En janvier 2000, l'entreprise sort ses iTools, une suite de services Internet, plus tard rebaptisée .mac et commercialisée à 99 euros par an. Alors que des géants du Web émergent avec des solutions similaires gratuites et sponsorisées par de la publicité, Steve Jobs veut marquer le coup et lance en 2008 MobileMe. Il s'en mordra les doigts.
MobileMe illustrait avec splendeur l'amateurisme d'Apple sur le secteur du cloud face à Google ou Microsoft. Des serveurs surchargés, une communication maladroite, des périodes d'essai facturées, des services indisponibles : le lancement de MobileMe restera la bête noire d'Apple.
Pour pallier les faibles performances de son service de stockage en ligne iDisk, l'entreprise californienne avait même tenté de racheter l'expert de l'époque, Dropbox. Sans succès. En lançant iCloud en 2011, Apple ouvrait une nouvelle page, et force est de constater que d'immenses efforts ont été fournis sur cette partie.
Maintenant, qu'en est-il du Web ?
iCloud Web : une coquille raffinée à moitié pleine
Simple, épuré, soigné, le design system des services web d'Apple est probablement le plus réussi de tous. En comparaison à iCloud Mail, Outlook ressemble à une usine à gaz. Chez Google, la web app de Gmail se surcharge toujours un peu plus au fil des années. Ces web apps passeraient presque inaperçues. La plupart des utilisateurs se connectent à iCloud en passant par les logiciels natifs d'Apple sur macOS ou iOS. Pourtant, les applications en ligne valent le coup d'œil.
Reste qu'Apple n'est pas un pur web player. Si les autres actualisent leurs services de manière continue, chez la Pomme, on garde un cycle bien défini, que certains qualifieraient d'obsolète. Nous l'avions évoqué cet été, contrairement à Google Chrome ou Firefox, le navigateur Safari ne reçoit des mises à jour que lorsqu'une nouvelle version de macOS est disponible. Problème : il en va de même pour iCloud. Or, si l'infrastructure de synchronisation cloud n'a pas besoin d'innovations permanentes, la partie web, elle, bénéficierait d'un rythme bien plus soutenu. Et ce n'est jamais un flot de nouveautés qui nous arrive chaque année.
Basiques et fonctionnels, c'est donc à peu près ce qui qualifierait les services internet d'Apple. Comme si les enrichir serait un pari trop risqué. Mais pourquoi ?
Des lacunes élémentaires
Sur iCloud Mail, Apple tente de rectifier le tir. La société s'apprête à lancer une collection d'outils de nettoyage introduits il y a 10 ans chez Microsoft et des options de filtrage avancé intégrées à Gmail en 2011. Sans doute parce qu'elle accuse un important retard, la société s'est contentée de glisser quelques mots dans un fichier PDF. En revanche, ne cherchez pas d'option de rappel de message ou d'envoi différé. Oubliez également la gestion des e-mails par libellés ou les signatures HTML. N'essayez pas d'ajouter directement un événement reçu par e-mail à votre calendrier.
D'ailleurs, sur iCloud Calendar, vous n'y retrouverez que les agendas rattachés à iCloud, et n'espérez pas une parité fonctionnelle avec l'application native. Vous ne pouvez pas vous abonner à un flux externe pour, par exemple, retrouver les événements d'un compte Google. Même chose pour les tâches cantonnées aux listes d'iCloud et qui, contrairement à macOS Sequoia ou iOS 18, n'apparaissent pas aux côtés des événements du calendrier.
Et que dire de cette page d'accueil et de ses quelques widgets ? C'est un peu comme si Apple s'était inspirée d'un Web d'un autre temps. Souvenez-vous : Netvibes, iGoogle ou My Yahoo! À quoi sert exactement cet écran ? Serait-ce le « coup d'œil du matin » ? Mais alors, où est le widget météo ? Où sont les actualités d'Apple News ? Pourquoi pas un accès aux derniers services déclinés sur le Web comme Apple Plans, Music ou Podcasts ? Voilà d'ailleurs encore des lancements très discrets passés sous silence.
Aussi soignée soit l'enveloppe d'iCloud, les services affichent en 2024 beaucoup de lacunes face à la concurrence. Et c'est bien dommage, parce que l'ergonomie est pourtant au rendez-vous.
Des lacunes pour les pros
Apple aurait sans doute pu cibler les freelances ou les petites entreprises. Après tout, combien de petites agences spécialisées (web, design, communication…) grouillent de Mac ? Mais lorsque l'on parle d'outils bureautiques en ligne, rares sont les personnes évoquant les versions cloud de Pages, Numbers ou Keynote, simples elles aussi, mais bien fonctionnelles.
Sur ce secteur, Google et Microsoft règnent en maître. Elles multiplient les contrats avec les entreprises partenaires, mais aussi les gouvernements ou les universités. Sans doute trop à la traîne, Apple n'a de toute évidence aucunement l'intention de s'y frotter.
Pourtant, lorsque la société a introduit la prise en charge des noms de domaine en 2021, les choses commençaient à devenir intéressantes. Mais depuis, rien. On se demanderait presque pourquoi la société a pris la peine de développer cette fonctionnalité. D'ailleurs, on pourrait aussi se demander pourquoi Apple cantonne les noms de domaine à l'e-mail. Mieux vaut ne pas espérer un créateur de sites made by Apple pour remplacer iWeb abandonné il y a 13 ans.
Des lacunes sur la sécurité
En se positionnant en fervent défenseur de la vie privée tel un chevalier blanc parmi les autres GAFAM, Apple aurait également pu se faire une place de choix et d'emblée éclipser les sociétés de taille modeste adoptant ce créneau telles que Proton. Mais malgré ses discours, la firme a bien fait des compromis. Dès le début.
Officiellement introduite en septembre 2022, la protection avancée des données pour iCloud consiste en une couche de chiffrement. Et, sur le papier, l'option est intéressante. Les données sont chiffrées en transit et au repos. Seulement voilà, cela ne concerne ni les e-mails, ni les contacts, ni le calendrier, des informations pourtant cruciales… Certes, la compatibilité avec les protocoles standards (IMAP, CalDAV, CardDAV) est essentielle pour faciliter une configuration fluide avec les applications de macOS ou iOS. Mais une option pour les initiés aurait permis d'affirmer la position de la société. D'ici à penser qu'il s'agit de laisser une porte ouverte…
À l'heure actuelle, lorsque cette protection est activée, les notes, l'espace de stockage, ou encore les photos sont chiffrés. Par défaut, leur accès en ligne est impossible, une option doit être activée sur macOS ou iOS. Puis, à chaque accès web, une notification est envoyée à l'iPhone pour autoriser la consultation. En théorie, le système est intéressant. En pratique, c'est une catastrophe. À chaque approbation depuis l'iPhone, le déchiffrement des web apps est lent, et bien souvent, une erreur se présente, quel que soit le navigateur.
Apple semble finalement tout faire pour décourager les utilisateurs d'activer cette fonctionnalité. Et c'est bien là tout le paradoxe d'iCloud. La firme de Cupertino a concocté une plateforme performante qui veut faire oublier les erreurs passées. Elle est doublée d'une solution web au design soigné qui manque non seulement de fonctionnalités élémentaires, mais aussi d'un positionnement clair en s'adressant à tous en apparence, et à personne réellement.