Comment Lego est devenu la marque la plus puissante du monde

Thomas Pontiroli
Publié le 06 mars 2015 à 19h35
Depuis 1978, la Terre a porté 3,7 milliards de minifigurines Lego. Menacée d'extinction au tournant de l'An 2000, la petite espèce a pris le pouvoir.

Lego est la marque la plus puissante du monde en 2015, selon Brand Finance. Le danois devance le cabinet d'audit PwC, Red Bull, Rolex. Et même Ferrari, habituel premier. Culotté, pour des « minifigs » courtes sur pattes, de dépasser le Cavallino Rampante. Les auteurs de l'étude reconnaissent le caractère familier de la marque, sa loyauté, sa médiatisation, la satisfaction des membres de son personnel, sa réputation institutionnelle... Bref, cette méthodologie a peu d'importance. Car dans bien d'autres sources, Lego puise sa « force ».

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Un succès qui tient en plusieurs épisodes

Nous sommes en avril 1999 quand Lego pose la première brique de ce qui va être un véritable empire. Assez timidement, mais habilement, le danois se faufile dans la vague de produits dérivés consécutive à la sortie de l'édition spéciale de la Trilogie Star Wars. Avec cinq véhicules dont le X-Wing de Luke Skywalker, Lego tâte le terrain « sans grande prise de risque », analyse le site spécialisé Starwars-universe. Deux mois plus tard, le bon accueil des premiers « sets » encourage Lego à surfer sur la sortie en salles de La Menace fantôme.

Au-delà de ses propres créations, telles que sa collection City, ou la plus récente Legends of Chima, Lego sait que les licences de films ont la capacité d'étendre son audience bien au-delà de son périmètre de départ : les enfants. En 2001 - sans relâcher le rythme sur Star Wars - la marque embraye sur Harry Potter, qui deviendra son deuxième plus gros succès. Suivront Spiderman en 2003 (un échec), Batman et Bob l'Eponge en 2006, Indiana Jones en 2008, Toy Story en 2010, Pirates des Caraïbes en 2011, The Hobbit en 2012, etc.

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Leur point commun ? Capitaliser sur une sortie en cinéma, bien sûr. Au bout d'un moment, la mécanique est si bien rodée qu'on en vient à se demander si les ingénieurs maison n'ont pas inventé une machine pouvant « lego-iser » les véhicules, bâtiments et personnages emblématiques d'un film. Cette logique arrive à son paroxysme quand la firme donne corps, en 2014, à Lego The Movie : son film basé sur son propre univers.

Mais aucune licence n'est aussi porteuse pour Lego que celle de Star Wars. Elle justifie à elle seule la direction stratégique de la marque. Sa différence : fédérer, en plus des adeptes de Lego, les fans de Star Wars. Il est dur d'estimer le volume de sets édités (on parle de 400), au vu du nombre de rééditions. Une chose est sûre : Lego a attiré une communauté de collectionneurs qui, de l'aveu de certains, se fichent pas mal des briques.

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Après avoir failli voler en éclats...

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Ce sont pourtant les briques qui sont au cœur de la puissance de Lego : sans elles, le danois aurait eu du mal à se distinguer (et dépasser) de ses concurrents Hasbro et Mattel, eux aussi franchisés Star Wars, etc. Mais ça, le fabricant de Billund le comprendra à ses dépens : à la fin des années 1990, les jeux vidéo concurrencent ceux de construction, pense la direction. Comme affolée, elle estime que les enfants n'ont plus le temps de jouer. En tout cas, pas avec ses petites briques...

En réaction, une nouvelle orientation est prise : il faut simplifier au maximum la phase de construction, de peur de rebuter un public qui serait devenu volatile et flemmard. Et puis, il faut aussi se diversifier tant que possible avec des habits, des jouets. La société prospérait depuis 1949, la voilà qui renie ses origines et tire dans tous les sens. En 2003, les ventes chutent de 30%. En mars 2004, 1 000 licenciements sont annoncés.

Après avoir été sacré meilleur produit du siècle en 1999 par le magazine Fortune, cinq ans plus tard, Lego perd sa couronne, et même des milliards - la monnaie danoise. Certains, comme le chercheur spécialisé dans le domaine du jouet Torben Hangaard Rasmussen en sont déjà à la rédaction de l'oraison. « Les briques Lego appartiennent à l'ère industrielle où les enfants aimaient construire, jouer les ingénieurs en herbe. Aujourd'hui, les jouets les plus populaires prennent leurs racines dans le monde virtuel », écrit l'expert.

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... Lego se reconstruit avec ses briques

Ce scénario ne sera finalement pas retenu par la firme danoise. En octobre 2004 et pour la première fois depuis sa création en 1932, la société est dirigée par une personne étrangère à la famille du père fondateur. Kjeld Kirk Cristiansen - fils de Godtfred Kirk Christiansen et petit-fils d'Ole Kirk Christiansen - démissionne. La direction, et le salut, de la société familiale reviendra à un économiste de 35 ans, Jorgen Vig Knudstorp.

Les débuts de cette nouvelle ère sont durs. La priorité est de remettre les finances à flots. Sans originalité, le dirigeant licencie, ferme des sites, délocalise, rationalise la production et ferme des parcs d'attraction. Plus que tout, il remet la brique au centre de Lego. Sur 7 000 pièces au catalogue, la direction en supprime 3 000. « On a reçu des instructions très claires, qui ont supprimé la confusion créée dans les années 90, quand il fallait faire le plus original possible », explique à Libération William Thorogood, un des pères de Ninjago.

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« L'alchimie entre les valeurs fondatrices de la marque, réaffirmées, et le renouvellement continu des gammes de produits Lego est une grande réussite », résume Hervé Monier, sur le blog spécialisé dans les marques, BrandNewsBlog. Mais la sauce n'aurait pas si bien pris sans un travail de fond sur la culture Lego.

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Une armée de petits soldats

Au plus proche de la marque, on trouve un premier cercle de fans inconditionnels, qu'ils soient enfants ou adultes. Les premiers sont les KFOL (« Kid fan of Lego ») et les seconds, les AFOL (« Adult fan of Lego »). Construire, reconstruire et collectionner les mini-figurines sont les principales raisons de cette passion. Pour aller plus loin, des conventions sont organisées régulièrement à l'image d'Alphabrick ou de Récréabricks.

Pour impliquer sa communauté, Lego a développé la plateforme Lego Ideas. Une sorte de Kickstarter où l'on peut déposer son idée de construction. Si elle récolte plus de 10 000 votes, elle est étudiée par un jury. Selon Frédérique Tutt, analyste à NPD citée par Challenges, « Lego est en fusion avec ses consommateurs », avec un Lego Club comptant 4 millions de membres. Au-delà de la qualité reconnue de ses briques (12 tests par set en moyenne), alors que la plupart de ses brevets ont expiré, Lego toucherait plutôt la corde de l'émotion.

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Comme le souligne toujours BrandNewsBlog, pour vendre, une marque a intérêt à développer des contenus dans le but « d'instaurer un univers auquel le consommateur adhère et s'identifie, mobilisable dans tous les points de contact de la marque (magasins, expositions, réseaux sociaux, médias privés, etc.) ». Lorsque tous ces paramètres sont réunis, la marque possède alors son propre champ de gravitation. Sa culture à elle.

Pour instaurer ce climat, Lego a utilisé plusieurs canaux : les fans bien sûr, mais aussi les parents nostalgiques des jeux qu'ils ont appréciés dans leur enfance, et également la déclinaison en jeux vidéo. Loin du temps où le fabricant de briques reculait devant la menaçante industrie du gaming, il se lance en 2005 avec son jeu vidéo d'action-aventure, Lego Star Wars. Suivront environ 20 opus, sur Harry Potter, Indiana Jones et les autres.

Nous signalerons quand même que Lego ne s'est pas aventuré à sortir un pur jeu de construction virtuel, qui aurait pu cannibaliser son jeu réel. C'est finalement ce qu'a fait Minecraft en 2009, avec le succès que l'on connaît. Plutôt que de l'imiter, Lego l'a joué fine en obtenant une licence pour sortir des sets Minecraft.

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Une victoire qui s'appelle Oscar

En 2014, le danois va plus loin avec La Grande Aventure Lego, un film d'animation apprécié par les spectateurs et qui lui rapportera 500 millions de dollars - Lego lance aussi une série animée sur Legends of Chima, qui capte 25% d'audience des 4-10 ans sur Gulli. Un parfait candidat pour l'Oscar du meilleur film d'animation en 2015 ? Eh bien non. Le film n'est même pas nommé. Pourtant, le jeu de construction danois va parvenir à devenir l'une des stars de la soirée...

Après avoir réussi à prendre part à la fête avec une représentation de la chanson de son film, Everything is Awesome, Lego a fait parler de lui lorsqu'une statuette évidemment constituée de briques a été remise à l'animatrice américaine Oprah Winfrey, dont la réaction éberluée fera le tour du Web. La statuette était l'œuvre de l'artiste Nathan Sawaya, connu pour ses sculptures faites de briques.

Pour incruster son produit dans une telle cérémonie, et que cela ai du sens, seule une marque vraiment fédératrice peut se le permettre - l'année précédente, c'est le leader mondial du mobile, Samsung, qui y était allé de son coup de com', en organisant un selfie avec plusieurs stars. En une soirée, selon Amobee, Lego récolte près de 47 000 mentions sur les réseaux sociaux.

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La brique Lego, une matière première ?

Cette appropriation des Lego ne se limite pas aux coups de pub. Qui a déjà vu le premier « berceau » de Google, conçu par les fondateurs Sergei Brin et Larry Page, en Lego bariolés ? Dans le domaine de l'éducation, des enseignants mettent à profit les briques comme support pédagogique. Et la recherche aussi, à l'image de cette impressionnante machine de Turing, en Lego, réalisée par un étudiant de l'ENS de Lyon en 2012.

Dans les entreprises, le jeu de construction est aussi mis à contribution, via la série Serious Play. Son rôle, explique le danois, est de « favoriser la communication et la résolution de problèmes variés au sein d'une entreprise. Qu'il s'agisse de repenser un open space en le modélisant, de reconstruire le logo de l'entreprise tout en parlant de ses valeurs, l'expérience ludo-pédagogique permettra de faire avancer vos équipes ». Les briques sont aussi utilisées par les architectes, les designers et, avec Mindstorms, les développeurs.

Finalement, tout était écrit. Comme le rappelle Hervé Monier, Godtfred Kirk Christiansen résumait déjà cet esprit Lego en 1963. Un demi-siècle plus tard, il n'a pas pris une ride. Le voici : « Un potentiel de jeu illimité, pour les filles et les garçons, amusant à tout âge, un jeu calme et sain, développement, imagination, créativité, un jeu dont la valeur grandit avec le nombre de pièces, des boîtes supplémentaires toujours disponibles, la qualité dans chacun des détails...  » C'est de cette source, que Lego tire sa force.

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Thomas Pontiroli
Par Thomas Pontiroli

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