La mathématicienne Katherine Johnson est décédée : qui était cette figure de l'ombre de la NASA ?

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 25 février 2020 à 10h40
Katherine Johnson
La mathématicienne Katherine Johnson

La pionnière surdouée des calculs orbitaux s'est éteinte à l'âge de 101 ans. Première femme à faire partie du « space task group » de la NASA, à une époque impactée par la ségrégation, Katherine Johnson a marqué l'Histoire.

Parcours d'obstacles

Son histoire est d'abord celle d'une adolescente, née en 1918, douée de dispositions extraordinaires pour les mathématiques, qui entre au lycée à 13 ans et que ses parents font tout pour aider. Malgré ses résultats et son diplôme de l'Université West Virginia, Katherine Coleman (son nom de naissance) est une femme noire dans un état ségrégationniste, ce qui ne lui offre pratiquement qu'un seul débouché : devenir professeure dans une école publique.

Katherine Coleman réussit à entrer dans une filière diplômante, mais se marie et fonde une famille dans les années 1940. Devenue Mme Johnson, elle entend alors parler de la NACA (organisme d'état qui précède la NASA) en 1952 et se fait engager dans « l'aile Ouest » au centre de Langley, où ne travaillent que des femmes de couleur, spécialisées dans les calculs et les équations. C'est l'époque des « ordinateurs humains » et de leur rôle ingrat au service des bureaux d'ingénierie. La jeune femme est pourtant vite remarquée, et analysera des données de vol durant plusieurs années.

Au service de Mercury

En 1957, alors que Spoutnik traverse le ciel et devient le premier satellite artificiel en orbite, Katherine Johnson fournit des calculs essentiels pour les résultats de recherche du tout nouveau « Space Task Group », qui prépare les calculs de trajectoire des futurs vols spatiaux. Elle y rentre très rapidement, et excelle dans son travail.

En 1960, elle est la première femme co-auteure d'un article scientifique visant à déterminer le vol orbital d'un objet dont le point d'atterrissage est prédéterminé. Mais c'est avec le vol orbital de John Glenn en 1962, tournant du programme Mercury, qu'elle sera le plus mise en avant : face aux comportements et aux résultats bien capricieux des tout nouveaux ordinateurs chargés de calculer la trajectoire, John Glenn demande que Katherine Johnson elle-même puisse refaire les algorithmes à la main... Avec cette phrase restée célèbre « Si elle dit que les calculs sont bons, alors je suis prêt à partir ».

Un atout indispensable

Katherine Johnson aura eu un rôle majeur dans cette décennie de la « course à la Lune ». Elle travaillera à établir les trajectoires des modules lunaires, pour leurs décollages depuis la surface de la Lune et leurs rendez-vous avec les capsules Apollo en orbite. Ses calculs se révéleront sans failles sur les six missions concernées. Plus tard, elle sera appelée à intervenir sur les calculs concernant les navettes STS, mais aussi sur les satellites Landsat, la famille américaine de satellites d'observation scientifique de la Terre. Katherine Johnson a finalement pris une retraite méritée en 1986, déclarant à cette occasion qu'elle avait aimé venir travailler chaque jour de ses 33 ans de carrière.

Katherine Johnson 2
Une Katherine Johnson souriante et combative pour ses 98 ans !

L'autobiographie de Katherine Johnson est parue l'année dernière aux Etats-Unis, mais n'a pas encore été traduite. Toutefois, elle est reconnue dans le monde entier grâce au rôle qu'elle a joué pour la NASA, à sa « Medal of Freedom » (la plus haute distinction civile américaine) décernée par Barack Obama... Et grâce au film Les Figures de l'Ombre (2016), retraçant de façon romancée et un peu anachronique son aventure, au côté de celles de Dorothy Vaugan et Mary Jackson. Le film a permis de faire connaitre ces pionnières et leurs travaux, ainsi que les difficultés des femmes (en particulier des femmes de couleur) dans l'Amérique des années 1960.

Katherine Johnson avait cependant expliqué, en 2011, qu'elle n'avait jamais ressenti de ségrégation lors de son passage à la NASA, même si elle savait que le racisme était installé dans la société. La NASA a nommé un centre de calcul en son honneur, sur le site de Virginie, en 2016.

Le monde a perdu une femme de talent, engagée et qui souhaitait transmettre son expérience au plus grand nombre On ne sait pas quel voyage elle fera dans les étoiles, mais sa trajectoire sera, sans nul doute, impeccable.

Source : NASA
Eric Bottlaender
Spécialiste espace
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Commentaires (10)
Pierre_C

Cette chute :ok_hand:

notolik

« 33 ans de carrière » pour 34 ans de retraite (2020-1986)!!

Patin, elle était effectivement très forte… et pas qu’en Mathématique.

ebottlaender

Qui pourra dire qu’elle ne l’a pas mérité…

notolik

Ce n’est pas mes propos.
Sa génération (et quelques suivantes) ont profitées de conditions très très favorables, c’est tout.

Je saluais la performance de sa carrière sur sa forme, l’article l’ayant fait sur le fond.

Raziben

1986-1918= 68 ans. En quoi est-ce un âge particulièrement très favorable pour partir à la retraite !? Tout en sachant le parcours autrement semé d’embûches qu’une femme, de couleur de surcroît, dans une Amérique ségrégationniste, a dû traverser. Je pense que cette Dame, son intelligence et sa passion méritent mieux de nos commentaires.
Merci Clubic pour cet article hommage.

Niverolle

Elle n’était pas qu’une super-calculatrice, mais a aussi réussi à faire sauter quelques obstacles conceptuels. D’ailleurs la reconnaissance ultime aurait été de baptiser l’un de « ses » outils mathématiques en son honneur (rien que pour la NASA de cette époque, je pense à Kalman qui a eu droit à « son » filtre de Kalman, etc.).

fmj

Une Grande Dame !

Element_n90

Moi, je trouve pas qu’elle soit particulièrement « de couleur »… ou alors, tu as photoshopé les photos @ericB ?

ebottlaender

Je n’ai rien modifié du tout, si vous voulez débattre de si une personne est plus noire qu’une autre (sur quels critères, je me demande bien), ce sera sans moi.

pemmore

Vous avez raison pour ces conditions exceptionnelles, je vois mon cousin, années 60, petit fils d’un immigré russe, un surdoué en maths à une époque ou informatique et maths étaient indissociables, qui fait ses études dans un des meilleurs lycées de la ville, survole arts et métiers et comme Bull (le pendant d’IBM) est dans la ville l’aventure Bull commence et la faillite grenoble, sofia antipolis, l’université de Rennes une grosse boîte américaine, des contributions à Linux et plein d’apports à l’informatique qui servent tous les jours, puis la Chine former les informaticiens du 3 éme millénaire.
Il a sa page wikipédia mais pas en Français.
Maintenant ça serait totalement impossible, à l’époque 6 ème égal lycée, sortir d’un collège même un surdoué en quelque chose sortira laminé par des profs incompétants.

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