Alven Capital : "un bon entrepreneur avec un bon projet n'a pas de mal à trouver de l'argent"

Antoine Duvauchelle
Publié le 08 mars 2011 à 16h04
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Guillaume Aubin
La fin de l'année 2010 a été l'occasion de découvrir beaucoup de fonds d'entrepreneurs de l'Internet. Nouveaux ou très médiatisés grâce aux personnalités qui les dirigent - les frères Rosenblum, Jérémie Berrebi, Pierre Kosciusko-Morizet, Xavier Niel ou encore Marc Simoncini - ils nous feraient (presque) oublier que les fonds de capital-risque existent aussi de ce côté de l'Atlantique. Avec des ambitions et une force de frappe souvent moins grandes qu'aux Etats-Unis, mais avec la même volonté de financer l'émergence des nouvelles technologies. Nous avons pu rencontrer Guillaume Aubin et Charles Letourneur, deux Managing partners du fonds de capital-risque Alven Capital.

Bonjour Messieurs. Pouvez-vous nous présenter brièvement Alven Capital et sa présence sur le marché du capital-risque ?

Charles Letourneur. Nous sommes un fonds de capital-risque, essentiellement centré sur les nouvelles technologies. Les trois quarts de notre activité se concentrent sur les entreprises du web et les fournisseurs de services innovants en ligne, mais nous faisons aussi de l'investissement dans de la technologie. Notre modèle, c'est de trouver des entreprises déjà développées, avec un modèle de croissance, une équipe dirigeante solide. Nous les aidons donc à se financer pour poursuivre leur croissance et réellement se développer.

Cela représente 95% de nos investissements, avec des tickets allant de 1 à 5 millions d'euros. Dans les faits, c'est souvent 2, 3 ou 4 millions d'euros, quand l'entreprise est déjà lancée. Nous avons une capacité de financement totale de 150 millions, issus de trois levées de fonds successives entre 1999, à notre création, et 2008. Nous faisons aussi un peu d'investissement sur de l'early stage, mais cela représente à peu près 5% de notre activité.

Guillaume Aubin. Nous sommes très sélectifs sur l'early stage. Nous n'avons pas vocation à faire que ça, et nous cherchons dans tous les cas un fort potentiel de croissance. Dans notre portefeuille, on peut citer notamment Metaboli, Mon Showroom, MyFab, Eboutic.ch, Companeo, MobileTag, Novapost, WebHelp ou BI-SAM.

Comment voyez-vous la récente émergence de fonds portés par les réussites d'entrepreneurs du web ? Est-ce que c'est une concurrence pour vous ?

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Charles Letourneur
CL. Ce qu'on peut déjà dire, c'est que ces nouveaux fonds ont un marketing efficace. Ils mettent en avant un bon réseau, des compétences et de l'expérience dans l'entrepreneuriat. Nous, nous avons d'autres choses à faire valoir. Un réseau profond également, grâce à nos investissements et nos nombreux contacts dans le secteur, et un portefeuille de taille conséquente. Nous venons tous les deux de banques d'affaires, et nous avons à la fois des moyens importants et des solutions très intelligentes pour les sociétés, que ce soit en terme d'investissement ou de sortie.

Nous sommes des investisseurs pros, avec une équipe, et nous ne faisons que ça. C'est pour ça que nous ne sommes pas forcément sur le même plan qu'eux, donc nous n'avons pas de réelle concurrence à craindre. Ces entrepreneurs ont une activité très importante, et n'ont généralement pas que ça à faire. D'autant que nous pouvons nous prévaloir d'une certaine stabilité sur le long terme, à quinze ou vingt ans, pour les investissements. L'argent des fonds d'entrepreneurs est plus volatile, on l'a vu au début de la décennie précédente, lors de l'éclatement de la bulle, beaucoup d'investisseurs ont fait demi-tour.

GA. Cela tient aussi à leur modèle économique. C'est un bon modèle, basé sur la statistique : ils investissent beaucoup de tickets réduits, et peuvent espérer combler leurs pertes par quelques réussites importantes. Kima Ventures, de mémoire, prévoit quelque chose comme 200 investissements cette année. Comment pourraient-ils se préoccuper de toutes les affaires sur lesquelles ils entrent ?

Est-ce à dire que vous rejetez le modèle statistique qu'ils appliquent ?

CL. Non, c'est un modèle intéressant. Mais c'est souvent plus intéressant pour l'investisseur que l'entrepreneur. Pour avoir le prochain Google, il faut être capable d'investir massivement. Pour un entrepreneur, ça peut être plus compliqué, parce que les fonds d'entrepreneurs ont peu de temps pour regarder leur business et le suivre vraiment. Hors les plus belles histoires sont rarement linéaires, où on entre et on explose au bout d'un an. Souvent ça passe par des hauts et des bas, des revers, et on ne peut pas forcément prédire dès le début que ça va être un succès.

Les fonds d'entrepreneurs font la même critique aux fonds de capital-risque : plus de temps passé sur le reporting que sur la dimension humaine et commerciale, manque de suivi...

GA. Nous comprenons cette critique, mais nous considérons qu'il faut avant tout faire confiance à l'entrepreneur. Nous connaissons ses qualités de manager, d'entrepreneur, et de visionnaire, et c'est d'ailleurs un critère de choix important pour les investissements. Nous n'allons quand même pas faire son métier à sa place. Nous, nous connaissons bien les fonctions financières, les outils de reporting, etc. C'est dans la complémentarité avec l'entrepreneur que nous pouvons le faire bénéficier de nos compétences.

CL. D'ailleurs, on essaie d'éviter de se tromper sur les compétences de l'équipe de direction au départ ! Si on doit changer le top management, en général, ce n'est pas bon signe. C'est très rare que ça fasse une belle histoire, donc du moment qu'on a choisi de partir avec une équipe, il faut bien lui faire confiance sur son métier. Parfois, il nous arrive simplement de compléter l'équipe avec un profil plus gestionnaire, mais nous nous interdisons de faire un choix technique.

GA. C'est vrai aussi qu'il y a une période très favorable pour les investisseurs actuellement en France. C'est très positif, il y a une vague de business angels et d'entrepreneurs avec des fonds qui revient. C'est très bien car ça avive le marché, et on trouve plus facilement de l'argent à early stage, donc l'impact global est très positif.

Il y a une concurrence entre les investisseurs ?

GA. On manque clairement plus de projets qu'on ne manque d'argent. Un bon entrepreneur avec un bon projet n'a pas de mal à trouver de l'argent. On le voit aux Etats-Unis, où les fonds américains ont des équipes dédiées à la recherche de projets. Globalement, c'est plutôt bon, il y a de l'argent donc on peut financer les projets intéressants. L'environnement fiscal est très favorable en France de ce point de vue, même si c'est un peu moins vrai depuis six mois avec les évolutions liées aux Jeunes entreprises innovantes ou au Crédit impôt-recherche.

CL. Je confirme : les bons projets sont difficiles à trouver. Il est très rare de trouver un bon projet, sur lequel il n'y a personne d'intéressé pour investir. Mais je ne crois pas pouvoir dire que ça s'est renforcé récemment avec l'arrivée de nouveaux fonds.

GA. Pourtant, il a des tendances lourdes intéressantes : le cloud computing, et en règle générale l'externalisation de fonctions informatiques, les nouveaux usages de l'Internet mobile et des réseaux sociaux... Ce sont des sujets que nous surveillons beaucoup.

Parmi les investissements réalisés par Alven Capital depuis sa création, on peut distinguer les e-commerçants Metaboli, Eboutic.ch, Aquarelle.com ou encore MonShowRoom.

Mais c'est sur les services en ligne qu'Alven a réalisé ses plus belles sorties. Seloger.com a par exemple été introduit en bourse en 2006, et est actuellement sous le coup d'une tentative d'OPA par Axel Springer.

Liligo.com a été racheté par la SNCF, Meiosys a été revendu à IBM, Newsweb à Lagardère, et Companeo est passé l'an dernier dans le giron de Carlyle.
On a coutume de dire que les entreprises françaises sortent difficilement du marché franco-français. Est-ce qu'il y a une part de responsabilité chez les investisseurs, et notamment les fonds de capital-risque ?

CL. On investit en France essentiellement pour des questions culturelles et de proximité. La distance et la langue, notamment, ajoutent des difficultés pour la création d'affaires au niveau européen.

GA. C'est vrai qu'il y a une certaine frilosité des fonds d'investissement. L'arbitrage entre le risque lié à une recapitalisation et les rendements potentiels d'une internationalisation est très difficile. Les entreprises américaines font un effort important pour grossir jusqu'à la taille de leur marché national. La sortie de leur territoire est du même coup presque naturelle. En France, vous attaquez le marché français en premier. Et après... Si vous voulez aller plus loin, où allez-vous ? Allemagne ? Royaume-Uni ? Italie ? Il n'y a pas de vrai marché européen de l'envergure du marché américain.

CL. C'est d'autant plus vrai sur les technologies en France. Sur tout ce qui est applications et Internet, c'est essentiellement un problème d'exécution. Mais quand vous faites dans les technologies pures, la domination des Etats-Unis oblige à penser au niveau mondial. C'est d'ailleurs pour ça que le capital-risque en France est beaucoup allé vers les applications et le web. Quand vous devez investir beaucoup pour concurrencer des entreprises américaines, le risque de casse est important.

Le capital-risque ne peut donc rien faire pour permettre à une Silicon Valley européenne d'émerger ? Est-ce que la solution ne passerait pas d'abord par l'internationalisation des fonds ?

GA. Le problème ne vient pas que de l'investissement. Il y a certains fonds qui ont une dimension européenne, comme Index ou Benchmark. Mais les entreprises ont des difficultés à passer les barrières à l'entrée des autres marchés européen. Ce serait une révolution culturelle, et d'abord, cela passerait par le développement d'une mentalité anglophone.

Mais même pour internationaliser un fonds, ce qui serait possible, il faut une structure différente de la nôtre. Il faut être capable de couvrir en parallèle des investissements de 10 millions d'euros sur plusieurs marchés à la fois... Comme je vous le dis, il y a des fonds qui font ça, mais notre conviction, c'est que ces fonds et ceux comme le nôtre ont vocation à coexister.

CL. Pour vous donner un ordre de grandeur, lorsqu'une entreprise américaine fait sa première levée de fonds avec une activité bien lancée, elle peut espérer récupérer 15 à 20 millions de dollars. Mais c'est vrai que s'il y avait plus de fonds européens qui pariaient sur de jeunes entreprises à vocation européenne, cela aurait indéniablement un impact.

Je vous remercie.
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