« Puisque nous voulons accroître la compétitivité, nous n'allons pas pénaliser ceux qui prennent des risques », a affirmé Matignon ce jeudi à l'AFP. Ainsi, le gouvernement pourrait reculer sur l'un des points chauds de son projet de loi de finances 2013 : l'alignement de la taxation des revenus du capital sur ceux du travail. Sous l'effet de cette mesure, un entrepreneur voulant céder son entreprise pourrait se voir imposer jusqu'à 60,5% de sa plus-value, contre 32% aujourd'hui.
Cette disposition est en effet restée coincée dans la gorge de beaucoup d'entrepreneurs, dont certains ont pris la parole sur le Web pour en dénoncer les risques - les plus actifs se sont réunis sous la bannière des « Pigeons ». Pour Fleur Pellerin, ministre déléguée en charge des PME, dans Libération du 4 octobre, « ce groupe a, parmi ses relais les plus bruyants, des entrepreneurs proches de la majorité sortante et repose sur des ressorts plus politiques qu'économiques ».
Car si les revendications sont fondées, elles se sont entourées de plusieurs approximations, pouvant faire glisser le débat, comme le suggère la ministre. Ainsi, le chiffre d'une taxation des plus-values de cession à 60,5% a été reproduit à l'envi par ses détracteurs. D'abord, ce taux comprend la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), soit 15,5% en tout. Le taux restant, modulable par tranche comme l'impôt sur le revenu, atteint un maximum de 45%. Il concerne des sociétés dont la valeur de revente dépasse les 150 000 euros d'actifs.
Les capital-risqueurs dissuadés d'investir ?
Dans ce cas, la taxation de la plus-value de cession dépasse effectivement l'ancienne de beaucoup. Principaux lésés : les capital-risqueurs, courants dans le milieu des start-up. Selon l'Association française des investissements pour la croissance, (Afic), « les capitaux levés s'élèvent à 1,8 milliard d'euros au premier semestre 2012, soit seulement 28% du montant total collecté sur l'ensemble de l'année 2011 », et « les montants investis dans les entreprises ont reculé de 47% entre le premier semestre 2012 et le premier semestre 2011, à 2,28 milliards » (voir ci-dessous). Pourtant, un dispositif d'abattement est prévu, si les titres sont conservés un certain laps de temps avant d'être revendus. Dans le cas où l'investisseur garde ses capitaux pendant deux à quatre ans, il bénéficiera d'une exonération de 5%, qui sera réévaluée de cinq points par année. S'il revend ses parts au bout de douze ans, le dégrèvement atteindra les 40%.
Pour Patrick Robin, fondateur de l'agence marketing 24h00 et créateur de quinze sociétés, interrogé sur BFMTV, cette disposition relève d'une « méconnaissance totale du fonctionnement de ces entreprises et de leur croissance ». Selon lui, une start-up a ceci de particulier qu'elle surfe sur un rythme de croissance très rapide, et qu'elle peut viser un développement international au bout de quelques années seulement. Au-delà de sa croissance organique, il n'est pas rare, précise-t-il, qu'elle augmente sa taille par fusion et acquisition. « Si au bout de quatre ans, j'ai une possibilité de fusion pour me développer en Europe par exemple, je réponds quoi ? Non, attendez, ça n'est pas le bon moment fiscal ? » Criteo, spécialiste du reciblage publicitaire, a par exemple atteint un chiffre d'affaires de 250 millions d'euros en six ans, emploie 700 salariés et vient de lever 30 millions d'euros.
De l'avis de Philippe Collombel, responsable chargé de la commission Loi et Finances au sein de France Digitale, et qui doit être reçu cet après-midi par la ministre, « le système proposé va conduire à taxer les Business Angels mais également les entrepreneurs et les investisseurs. Un tel mécanisme va encourager la création d'entreprises au Luxembourg ou en Belgique car les fonds d'investissements ne viendront plus en France ». Le responsable souhaite ainsi que le gouvernement revienne au consensus précédent « permettant de mettre en place un écosystème favorable qui était accepté par l'ensemble du secteur ».
Un dispositif qui serait trop lent pour les start-up
Pourtant, des mesures incitatives sont prévues dans le projet de loi de finances. Si, après une revente, l'entrepreneur réinvestit 80% de sa plus-value dans une autre société dans les trois ans, il est totalement exonéré sur cette opération. Seulement, il doit être demeuré au capital de la précédente société pendant une durée minimum de huit ans, et s'engager à conserver son achat futur durant cinq ans. Jean-Daniel Guyot, p-dg de Capitaine Train, se questionne sur l'intérêt de cette durée : « Si un entrepreneur met un an pour créer une entreprise qui vaut 1 million d'euros, pourquoi doit-il être plus taxé que celui qui a mis dix ans à le faire ? » Pour lui, cette mesure « part d'un bon sentiment : éviter la spéculation sur le capital en évitant les mouvements rapides. Mais en réalité c'est un frein à la croissance ».
« Si ce mécanisme est économiquement vertueux dans son énoncé, ses conditions d'application rendent peu probable son application aux entreprises de croissance », explique aux Échos l'avocat fiscaliste Olivier Couraud, car les start-up « connaissent des cycles plus courts ». Aussi, l'obligation de détenir les titres de la prochaine société pendant cinq ans, « trop rigide, découragera les investisseurs » selon lui. Sur ce point, Bercy pourrait moduler le taux à partir duquel les détenteurs de titres réinvestissent leur plus-value.
Patrick Robin estime pour sa part qu'il est nécessaire que ces entrepreneurs soient rémunérés à hauteur du risque qu'ils ont encouru. « 80% d'entre eux n'imaginent pas faire fortune, mais ils ont un petit espoir et il ne faut pas le leur enlever », indique-t-il. Pour Henri Verdier, entrepreneur et président de Cap Digital, « les succès des entrepreneurs qui revendent doivent être analysés comme les revenus exceptionnels des sportifs. Il ne s'agit pas d'un revenu récurrent mais d'un résultat rare, qui se prépare pendant toute une carrière ».
Mise à jour 04/10/2012 - 17h12 : À l'issue de la réunion, le ministre de l'Économie, Pierre Moscovici, a déclaré : « Ce que nous voulons taxer c'est la rente, pas le risque. » Il a toutefous ajouté qu'il était « hors de question de remettre en cause le principe de l'alignement de la fiscalité du revenu du capital sur celui du travail ».
L'Afdel, le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et le Syntec Numérique ont fait quant à eux part de sept propositions, se basant sur des impératifs de« stabilité fiscale » et sur le besoin de distinguer les revenus du capital, qui « n'ont pas tous la même valeur sociale » :
- 1. Ramener le point de départ de la durée de détention de titres au 1er janvier 2006 selon la législation en vigueur à ce jour
- 2. Réviser le calcul de l'abattement pour plus de progressivité : 40% à 9 ans au lieu de 12 ans
- 3. Faire débuter le dispositif au 1er janvier 2013 pour ne pas pénaliser les cessions 2012 (rétroactivité)
- 4. Sortir les investissements dans les FCPI du plafonnement des niches fiscales à 10 000 euros
- 5. Mise en place d'un régime transitoire d'exemption partielle pour les entreprises d'hyper croissance (JEI)
- 6. Maintenir l'attractivité des BSPCE pour les salariés
- 7. Assouplir le régime du report actuel par un système de dégressivité en fonction du délai de réinvestissement
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