[Silicon Valley] Guillaume Dumortier : "la gestion du risque à l'européenne peut être efficace ici"

Antoine Duvauchelle
Publié le 15 juin 2010 à 07h51
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Guillaume Dumortier est fondateur et PDG de Brandfolium, une startup qui aide à gérer l'image de leur marque et à communiquer, notamment par le biais des réseaux sociaux. Arrivé en 2007 dans la Silicon Valley, il travaille désormais seul dans son bureau du PlugAndPlay Tech Center, une pépinière basée à Sunnyvale.

Bonjour Guillaume. Comment en êtes-vous venu à l'entrepreunariat dans la Silicon Valley ?

Je suis arrivé en 2007 dans la région grâce à Bouygues Telecom. J'avais déjà eu l'occasion de venir, notamment par le biais d'un échange avec Stanford en 2000, mais c'est réellement en 2007 que je me suis installé, en travaillant pour le bureau de veille de Bouygues Telecom à San Jose. J'ai pris un congé pour création d'entreprise en mars 2009, que j'ai renouvelé en 2010.

Mon idée de départ pour monter Brandfolium, c'est de proposer des solutions de marketing et de publicité. Ca s'est concrétisé dans deux produits : Navid, qui est un site de social media advertising, utilise le principe de l'homme-sandwich. Des gens vont s'inscrire et vont pouvoir se faire payer pour relayer des messages publicitaires sur leurs profils de réseaux sociaux, avec une rémunération calculée en fonction de leur influence, de leur profil... L'autre produit est Brandiki, qui est un moteur de recherche des marques, et un jeu de brand-collage, qui permet une représentation sous forme graphique des affinités d'une personne avec ses marques.

Toute notre question, maintenant, c'est de savoir si les gens vont être attirés par le fait de pouvoir gagner de l'argent, ou s'il faut proposer plus de services aux utilisateurs, comme un hub unique de gestion de leur réseaux sociaux, par exemple. Notre challenge pour l'instant est de nourrir le moteur, ensuite il s'agira de donner envie aux gens de le faire. Il faudra après réfléchir à un profilage plus précis des utilisateurs qui vont servir de relais de publicité, pour connaître les caractéristiques de leur audience.


Le fait d'être sur place vous a-t-il facilité la création de votre entreprise ?

Je ne sais pas, car le fait d'être étranger amène de nombreux obstacles lorsqu'on veut créer une entreprise. Pour moi, c'était évident de créer ma startup ici plutôt qu'en France, car j'étais sur place. Ensuite, il faut savoir qu'il y a une communauté de Français assez forte ici, assez développée. Mais j'ai eu beaucoup de problèmes, j'en ai d'ailleurs encore. Le premier problème concerne les questions de visa. Il y a un vrai protectionnisme des Américains, qui a été exacerbé avec la crise, et pour obtenir le visa, la somme des preuves et des documents à obtenir est énorme. C'est long, coûteux - d'autant qu'il est nécessaire de passer par des avocats - et ça consomme beaucoup de papier.

Ensuite, sur le recrutement, ça a été très difficile. J'ai recruté un PDG, puis 10 personnes intégrées à l'équipe. Qui se sont avérées être complètement en décalage avec ce qu'il fallait à Brandfolium, et qui sont parvenues à le cacher pendant près longtemps. Du côté exécutif, je suis donc désormais seul, et j'externalise. Au tout début, j'avais un business partner, parce que je ne pouvais pas mener Bouygues Telecom et Brandfolium de front. C'était un Américain car j'avais très peur de problèmes légaux, ou d'intégration... Donc c'est lui qui s'est occupé des développeurs au début. On dit que le recrutement doit prendre 20% du temps ici, car c'est très difficile. Je suis d'abord passé par la structure du PlugAndPlay, la pépinière dans laquelle je suis implanté, et où on peut louer des services d'aide comptable, juridique, Internet...

Enfin, il est difficile de lever de l'argent auprès des Américains. J'ai levé 1,2 million, mais auprès de business angels européen. Ce qui est compliqué là, c'est de maintenir la foi que l'on a dans ce qu'on fait. On arrive avec les meilleures intentions du monde, et après quelques rendez-vous avec des capitaux-risqueurs, on peut perdre un peu de son énergie ou de sa motivation. Il y en a un qui va poser des questions auxquelles on n'a pas pensé, un autre va tout simplement trouver que ce qu'on fait n'a aucun intérêt... Donc il faut garder en tête que l'argent est effectivement le nerf de la guerre, mais il ne faut pas aller chercher cet argent n'importe où. Donc il faut garder du recul là-dessus, d'autant que beaucoup attendent de voir quel marché se développe pour revenir.

Un vrai parcours du combattant... Pourquoi ne pas monter son entreprise à Paris, dans ce cas ?

Moi, j'étais déjà sur place. J'avais un super travail ici, mais au fil du temps j'ai construit un réseau, et j'ai été baigné dans des idées géniales qui venaient de partout. Voilà, j'ai saisi une opportunité. Tout est question d'accepter le risque : est-ce que du jour au lendemain on est prêt à quitter un statut d'expatrié, avec tous les avantages qui vont avec, pour devenir entrepreneur ? J'ai choisi de faire le pas, mais ce n'est pas évident. Après, si on reparle de l'écosystème, il faut voir que tout est présent dans un périmètre très restreint : beaucoup d'entreprises leaders de l'industrie, des infrastructures toutes prêtes, et les gens qui investissent.

Un autre point : l'approche du business par les Américains est facilitante. Il est très facile de rentrer en contact avec un cadre d'une grande entreprise. Il suffit de quelques emails et d'un peu de patience pour rencontrer des gens comme Michäel Arrington (TechCrunch, NDLR) ou un responsable de développement chez HP par exemple. Il y a ici un accès beaucoup plus facile aux gens. L'émulation apportée par l'écosystème des startups est aussi très importante. Il est bien vu ici de travailler pour une startup. Ca permet d'avoir l'envie de faire partie d'une aventure, de toucher le gros lot aussi évidemment. Beaucoup de gens préfèrent donc se positionner comme challengers plutôt que de travailler dans une grande entreprise. C'est un état d'esprit particulier, mais qu'on peut aussi retrouver en France aussi : il suffit de regarder l'engouement autour des chaînes de la TNT.

Il y a un risque important tout de même, que ça ne fonctionne pas par exemple. Est-ce que ce risque est plus facile à gérer ici ?

Il y a de toute façon un facteur émotionnel très présent quand on est entrepreneur. Quand on se lève le matin, on a la responsabilité de faire ce qu'il faut pour faire fructifier de l'argent confié par des investisseurs. Il faut aussi pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, etc. Donc oui, il y a une part de sacrifice qui, si le projet devait rater, serait difficile à gérer. Est-ce que ça m'empêcherait de recommencer si ça ne fonctionnait pas... Je pense que ça ferait très mal, mais j'y retournerais. Il faudra prendre le temps de voir pourquoi ça n'a pas marché, de se remettre en question, mais au final, je pense que j'y retournerais.

Après, il y a toujours une certaine importance de gérer le risque. Comment trouver l'argent ? Il faut arriver avec un prototype convaincant ou une version beta publique avec des points de passage significatifs, comme le nombre de transactions, le nombre d'engagements sur la plateforme, le montant moyen des transactions... Mon équipe est-elle composée de personnes brillantes, ou solides ? Ai-je un potentiel de marché réel, qui permette d'engranger de l'argent une fois que le cas d'utilisation est pertinent ? Dans cette perspective, la gestion du risque à l'européenne, en identifiant bien l'opportunité, les menaces, etc, peut être efficace ici. Il m'a en tous cas permis de continuer à avoir du financement l'an dernier, en pleine crise économique.

Merci beaucoup, Guillaume.
Antoine Duvauchelle
Par Antoine Duvauchelle

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