La nouvelle est tombée un peu plus d'une semaine après que Steve Ballmer a annoncé sa démission dans les 12 prochains mois. S'agit-il d'un projet de longue date concrétisant les nombreuses rumeurs ou d'un revirement de situation ? C'est en tout cas de l'une des plus grosses acquisitions effectuées par Microsoft aux côtés de Skype racheté pour 8,5 milliards de dollars et aQuantive pour 6,3 milliards dollars.
Renforcer la stratégie Devices & Services
Depuis quelques temps, le conseil de direction de Microsoft entend repositionner la société autour de deux branches principales : les services et le matériel. Autrefois purement spécialisé dans l'édition de logiciels (Office, Windows), l'éditeur est passé à la notion de services en adoptant toujours plus largement la dimension connectée avec ses Office Web Apps, SkyDrive, Azure, Skype ou Yammer. Mais Microsoft entend aussi coupler cette offre à plusieurs gammes de produits.Dès la sortie de Windows Phone, Microsoft souhaitait éviter les erreurs commises avec Windows Mobile en s'assurant que son système ne se retrouve sur des smartphones non compatibles. La société, désirant contrôler davantage la partie matérielle de ses partenaires, avait ainsi dressé une liste de recommandations formant une configuration minimale pour Windows Phone 7.
Outre les différents ensembles clavier-souris, le Zune et la console Xbox, c'est en juin 2012, en dévoilant sa tablette Surface, que la firme de Redmond affichait une nouvelle casquette : celle de fabricant sur le marché de la mobilité. Ce premier coup d'essai ne fut cependant pas couronné de succès mais Steve Ballmer l'annonçait clairement : « Si nous allons faire d'autres appareils ? Évidemment. ». Si l'on sait déjà qu'une seconde version de la tablette est en préparation, quid d'un smartphone ?
Le rachat de la division mobile de Nokia et l'obtention de la marque Lumia permettra donc à Microsoft de contrôler très strictement la manière dont le système d'exploitation mobile se couplera aux appareils, de synchroniser la sortie des mises à jour majeures pour l'OS et le matériel et d'harmoniser davantage les campagnes promotionnelles. L'on ne peut s'empêcher une comparaison avec Apple qui suit une stratégie similaire depuis ses débuts et sur l'ensemble de ses machines. Notons que Microsoft sera également en mesure d'apposer sa marque sur les prochains smartphones de cette gamme. Un Lumia/Surface Phone est donc probablement en ligne de mire.
Concept Surface Phone
Côté stratégique, deux options s'offrent ainsi à Microsoft : continuer seul le développement des futurs Windows Phones en remerciant ses partenaires actuels (Samsung, HTC, Acer...) ou prolonger les accords avec ces derniers comme Google a pu le faire au lendemain du rachat de Motorola Mobility. Si paradoxalement Microsoft entre désormais en concurrence avec ses propres partenaires - comme sur le marché des tablettes - la firme soutient qu'elle continuera de travailler avec ces derniers même si Nokia détient aujourd'hui 80% du parc Windows Phone.
Etoffer sa propriété intellectuelle
L'annonce de ce matin concerne non seulement la division mobile de Nokia pour 3,79 milliards d'euros mais également un accord de dix années pour obtenir des droits de licence sur les brevets du constructeur finlandais pour 1,65 milliard d'euros tout en récupérant ceux rattachés aux produits de Nokia. Microsoft souhaite ainsi renforcer sa propriété intellectuelle afin de mieux se positionner face à la concurrence.La stratégie se rapproche ainsi de celle de Google. Depuis le rachat de Motorola Mobility par le géant californien en août 2011, seul un téléphone, le Moto X, commercialisé uniquement aux États-Unis, a été réellement promu par Google. Pour les analystes, cette acquisition de 12,5 milliards de dollars visait principalement à mettre la main sur un ensemble de brevets relatifs au domaine de la téléphonie afin de mieux se prévenir contre les actions en justice.
Il faut dire qu'à plusieurs reprises, l'éditeur de Redmond a pointé le système Android de Google pour violation de différents brevets. Microsoft n'intente pas immédiatement de procès mais négocie avec les constructeurs de Google afin de recevoir quelques dollars sur chaque smartphone Android commercialisés. HTC, Samsung, Quanta Computers, Acer, Compal ou encore LG ont ainsi subi la pression de Microsoft et les analystes du cabinet Goldman Sachs estimaient à 444 millions de dollars les revenus générés par ces accords entre le 1er juillet 2011 et le 30 juin 2012.
Si ce rachat est approuvé par les autorités de la concurrence Microsoft s'en trouvera donc mieux armé.
Convoiter les primo-accédants
Au mois de juin dernier, Microsoft expliquait que 4 milliards de personnes à travers le monde n'avaient toujours pas effectué de migration vers un smartphone. Un marché juteux formant l'axe principal de croissance et sur lequel se positionnent aujourd'hui tous des acteurs de l'industrie qu'il s'agisse des partenaires de Google avec des smartphones Android d'entrée de gamme, de Mozilla avec Firefox OS, de Canonical avec Ubuntu Phone et Samsung avec Tizen. Dans une moindre mesure, Apple n'exclurait pas de se positionner sur le milieu de gamme avec le supposé iPhone 5C.Téléphones de la gamme Asha
Pour sa part Nokia a rappelé à plusieurs reprises le succès de son Lumia 520, positionné sur l'entrée de gamme auprès de ces primo-accédants au marché du smartphone. Ce dernier fut en rupture de stock en Inde et a permis à Windows Phone de revendiquer la seconde place au Mexique avec une part de 11,6% selon un rapport de Kantar. D'après Microsoft 42% des détenteurs d'un Windows Phone possédaient précédemment un feature phone.
Au travers de l'accord annoncé ce matin Microsoft récupère également la marque Asha, désignant des téléphones à bas coûts. L'éditeur s'est offert les droits d'utilisation de la marque « Nokia » durant dix années et continuera donc les ventes de téléphones Nokia Asha (pour combien de temps ?). Basés sur les systèmes Series 30 et Series 40, ces derniers compteraient pour 14% du marché des featurephones et il ne serait pas surprenant que Microsoft accélère la transition vers Windows Phone comme Nokia l'a précédemment fait pour migrer les utilisateurs de Symbian.
Et demain ?
Ce rachat pose tout même plusieurs questions, à commencer par l'avenir proche des produits de la gamme Lumia. Commercialisé outre-Atlantique depuis fin juillet et prochainement en France au mois d'octobre, le Lumia 1020 restera certainement sous la marque Lumia, mais quid des autres terminaux ?Selon plusieurs rapports, Nokia s'apprêterait à lever le voile sur une tablette de 10 pouces au nom de code Sirius et équipée de Windows RT ainsi que sur un smartphone baptisé Lumia 1520 ou Bandit. La production de ces derniers sera-t-elle prise en charge par Microsoft ? Au regard des retours très mitigés concernant Windows RT, la firme prendra-t-elle le risque de gérer sa Surface 2 en plus d'une tablette conçue par Nokia ?
1080p sur Windows Phone
Le système Windows Phone devrait connaître une mise à jour majeure en début d'année prochaine, laquelle inclurait notamment la prise en charge du 1080p. Microsoft n'a pas communiqué officiellement sur cette prochaine version, laquelle a déjà quelques noms de code tels que Windows Phone Blue ou Windows Phone 8.1. Le fabricant tenterait-il alors d'achever ses travaux d'unification entre Windows RT et Windows Phone amorcés en juin 2012 ? Ces derniers s'en trouveraient nécessairement facilités avec le contrôle simultané de la production de tablettes et de smartphones. Rappelons que Todd Brix, responsable général de la division Windows Phone Apps and Store chez Microsoft, affirmait au mois de juin que les applications pour Windows Phone pourraient fonctionner sur d'autres appareils à l'avenir.
Dans un premier temps le système en lui-même ne devrait en tout cas pas s'appauvrir puisque Microsoft a signé un accord de quatre ans pour conserver les applications de la famille HERE (Cartes, GPS, ...). L'on imagine que Nokia, qui souhaite miser sur cette activité, commercialisera ensuite des licences d'exploitation.
Renforcer sa division hardware et sa propriété intellectuelle tout en s'assurant une place auprès des primo-accédants, en théorie, la stratégie de Microsoft semble donc plutôt bien ficelée, reste à savoir ce qu'il en sera en pratique. Plusieurs défis se dessinent à l'horizon, et notamment au regard de l'intégration des 32 000 salariés de Nokia, des relations avec les autres constructeurs partenaires actuels de Windows Phone mais aussi des ventes des prochains smartphones de la gamme Lumia cette fois prise en charge par Microsoft.