Débutées mardi soir, les délibérations dans le procès opposant Samsung à Apple aux Etats-Unis se sont terminées à San José vendredi dernier en début d'après-midi. Un délai très court à la vue de la complexité de l'affaire, et qui a étonné de nombreux observateurs : à ce titre, le blog juridique Above The Law, tenu par un avocat, estime qu'il aurait fallu bien plus de trois jours rien que pour comprendre les documents juridiques mis à disposition des neuf Américains.
Oui, mais voilà : le site juridique américain Groklaw, qui a décortiqué les documents mis à disposition après le procès, explique que le jury n'aurait pas pris la peine de relire le formulaire de verdict de 109 de pages remis par la juge Lucy Koh à la fin procès. Ledit document (PDF), lu par cette dernière dans la salle d'audience mardi dernier, contenait pourtant des éléments primordiaux et complexes pour la bonne compréhension de l'affaire. Autant d'informations que les neuf jurés n'ont pas jugé bon de se remémorer. De même, ces derniers n'ont posé aucune question et n'ont demandé aucune aide durant les délibérations : une situation qui étonne également les observateurs, du fait de la complexité du cas.
« On l'a esquivé, pour aller plus vite »
Samedi, Manuel Ilagan, l'un des neuf jurés, a accordé une interview au site américain CNET, dans laquelle il donne des détails sur la façon dont le verdict s'est construit. Selon lui, il y a eu plusieurs débats agités dans la salle de délibérations avant que les jurés ne tombent d'accord, mais, dans l'ensemble, ils ont « tranché en faveur d'Apple, car à la vue des preuves présentées, il est clair qu'il y avait atteinte. » Parmi les éléments ayant marqué le jury, Ilagan cite les échanges de mails entre les dirigeants d'Apple, la comparaison des téléphones de Samsung avant et après la sortie de l'iPhone, ainsi que des témoignages d'employés de Samsung qui n'ont « pas aidé leur cause » selon lui.
Lorsqu'il évoque la question précise des brevets, Manuel Ilagan donne une indication d'importance : « Velvin Hogan, le président du jury, a de l'expérience en la matière. Il détient lui-même des brevets... alors il nous a fait partager son expérience. Après, nous avons débattu du premier brevet, c'était très technique, nous n'arrivions pas à croire qu'il n'y avait pas d'utilisation antérieure » explique-t-il à propos du pinch-to-zoom.
Déjà, la question de savoir si le juré Hogan a influencé d'une quelconque façon les décisions des autres jurés peut se poser, mais le témoignage d'Ilagan prend une autre tournure quand ce dernier avoue clairement que la question de l'antériorité de l'état de l'art n'a, dans ce cas précis, pas été traitée. « En fait, nous l'avons esquivé, celui-là. Nous l'avons fait pour aller plus vite. Il nous a ralentis. »
« La contrefaçon de brevets n'est pas une chose à faire »
Velvin Hogan, le président du jury, a lui aussi pris la parole, dans le Mercury News cette fois-ci. Difficile de trouver de la neutralité dans ses paroles : il explique le jury « a voulu envoyer un message à l'industrie dans son ensemble, expliquant que la contrefaçon de brevets n'est pas une chose à faire, et pas seulement pour Samsung. » En dépit des interrogations concernant la rapidité des délibérations, Hogan défend vigoureusement le travail du jury : « Nous avons tout pris très au sérieux » explique-t-il. Néanmoins, cet entrepreneur de 67 ans ajoute : « Face aux brevets, j'ai pensé : "si c'étaient les miens, est-ce que je pourrais les défendre ?" Après avoir répondu par l'affirmative à cette question, j'ai vu les choses autrement. »
Nul doute que le « message à l'industrie » est passé... mais Groklaw cite néanmoins une phrase importante du document mis à disposition des jurés : « Vous devez garder à l'esprit que les dommages et intérêts que vous attribuez sont censés compenser le détenteur du brevet et non punir le contrevenant. » Il ne s'agissait pas de faire un exemple comme le laisse entendre Velvin Hogan, mais bien de « dédommager le détenteur du brevet pour le mettre dans une situation financière qui aurait été la sienne si l'infraction n'avait pas été commise ». Une nuance de taille.
Incohérences du verdict
Si certains débats ont lieu sur la Toile concernant l'assiduité du jury dans le rendu du verdict, beaucoup citent un exemple identifié d'incohérences survenues juste après son rendu public : le jury avait en effet accordé des dommages et intérêts à Apple pour violation de brevets dans la tablette Galaxy Tab 10.1 LTE (à hauteur de 219 694 dollars) et dans le smartphone Intercept (à hauteur de 2 millions de dollars) alors que rien, dans le jugement, ne démontrait la violation des brevets cités (915 et 163). Deux points dont Lucy Koh avait demandé le réajustement vendredi dernier, entrainant une baisse de plus de 2 millions de dollars des dommages et intérêts réclamés à Samsung. Une somme non négligeable.
En conclusion, l'affaire américaine opposant les deux firmes semble loin d'être terminée : Samsung va rapidement faire appel, et va sans nul doute exploiter les failles du jugement pour tenter de faire tomber sa lourde condamnation. Affaire à suivre, encore et toujours !