Délit de sale gueule, satisfecit et constat d'échec, Hadopi fait son bilan

Alexandre Laurent
Publié le 17 octobre 2012 à 19h29
Placée sur la sellette depuis la mise en place du nouveau gouvernement et le lancement de la mission Lescure, la Hadopi entend bien faire valoir les chiffres de la riposte graduée et l'efficacité de son encouragement à l'offre légale, même s'il lui faut reconnaître quelques échecs. L'Autorité assure du bien fondé de son existence et appelle à ne pas tirer un trait sur l'expérience acquise par ses soins.

« Délit de sale gueule », « dénigrement systématique » : pour Marie-Françoise Marais, sa présidente, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet n'a pas eu la vie facile pendant ses deux premières années d'activité. Mais s'il peut effectivement convenir d'avouer quelques carences, le bilan de la Hadopi devrait cependant être salué d'après elle, dans la mesure où il a permis de démontrer l'efficacité des deux dispositifs clé que sont la riposte graduée et l'encouragement de l'offre légale sur Internet.

« Les attaques permanentes dont elle a fait l'objet et qui confinent à un véritable délit de sale gueule, la méconnaissance le plus souvent volontaire de son travail et le dénigrement systématique de ses actions n'ont pas réussi à entamer la détermination de ses équipes », a attaqué mercredi Marie-Françoise Marais lors d'un point presse dédié à ce bilan, étayé par un copieux rapport d'activité d'une centaine de pages. « Les grincheux qui prétendent que la réponse graduée ne sert à rien se trompent », a-t-elle ajouté, « elle fonctionne et l'objectif fixé par le législateur a été atteint ».

18 dossiers transmis à la justice

Sur le volet le plus polémique de son activité, la riposte graduée, la Hadopi renvoie vers son bilan chiffré, présenté début septembre, avec 1,15 million de recommandations envoyées par électronique (phase 1 du dispositif), 102 000 lettres recommandées et quelque 350 dossiers entrés dans la phase 3, celle de la prise de contact et de la délibération avec le titulaire de la ligne Internet en vue de décider s'il convient, ou non, de transmettre le dossier à la justice.

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Au 1er octobre dernier, 18 d'entre eux l'avaient été et plusieurs audiences seraient déjà programmées, même si de l'aveu même de Mireille Imbert-Quaretta - qui préside la commission de protection des droits, entité en charge de la riposte graduée au sein de la Hadopi - leur déroulé n'aura rien d'une gageure. « Les juges d'instance reçoivent des dossiers de 5 cm d'épaisseur, dans lesquels ils découvrent cette infraction un peu bizarre qu'est la négligence caractérisée », commente-t-elle. Une première condamnation (150 euros d'amende) a tout de même été prononcée début septembre à Belfort.

Bien que cette infraction « un peu bizarre » soit sans doute de nature à intriguer les internautes autant que les magistrats, la Hadopi n'enregistre selon son bilan au 30 juin 2012 que 63 559 prises de contact suite à la réception d'un courrier envoyé dans le cadre de la riposte graduée. Son action serait tout de même positive, puisque 37% des internautes entrés dans le processus déclareraient avoir cessé de télécharger illégalement.

Médiation et encouragement de l'offre légale

Sur le volet de ses missions qui consiste à favoriser le développement de l'offre légale - et non à en assurer le développement proprement dit, ce rôle incombant aux ayans-droit, rappelle Marie-Françoise Marais - la Hadopi s'est félicitée mercredi d'avoir attribué le label PUR à 65 plateformes (le site dédié n'en comptabilise toutefois que 59). Certaines d'entre elles auraient ainsi vu leur audience augmenter de « 20% » suite à l'apposition de ce macaron, sans qu'on sache d'où émane le chiffre. La Hadopi dit désormais viser la centaine de plateformes labellisées d'ici la fin 2013, et promet l'ouverture prochaine d'un blog sur le site Pur.fr, même si elle souligne dans son rapport le bien fondé tout relatif de cette démarche de référencement de l'offre légale voulue par le législateur, qui relevait peut-être de la « fausse bonne idée », pour reprendre la formule employée par sa présidente mercredi.

Au delà du label Pur, c'est sur le terrain de médiation que la Hadopi estime avoir joué un rôle significatif, en facilitant les échanges entre parties impliquées dans la culture numérique, autour notamment du suivi de la charte sur les « 13 engagements pour la musique en ligne ». Médiation encore pour ce qui touche aux mesures techniques de protection (les tristement célèbres DRM), pour lesquelles la Hadopi a reçu deux saisines émanant de la bibliothèque nationale de France et de l'association VideoLAN (éditrice du logiciel VLC). L'Autorité, qui doit rendre « dès que possible » un avis sur ces deux dossiers, s'attend d'ailleurs à ce que son expertise lui vaille l'arrivée prochaine de nouvelles saisines.

Et quelques renoncements fâcheux...

Si expertise il y a - la Hadopi se félicite d'ailleurs des riches échanges, portant parfois sur des aspects très techniques, survenus dans le cadre des Labs - on confesse aussi du côté de la rue de Texel quelques carences, suffisantes pour demander à renoncer à certaines des missions pourtant prévues par le législateur. La mise au point du label devant qualifier les moyens de sécurisation qui permettent à l'internaute de garantir que sa ligne est à l'abri de la fameuse « négligence caractérisée » par exemple.

« Après deux années d'étude (...), le collège estime que ses problématiques de sécurisation s'inscrivent dans un contexte global dépassant largement les moyens mis à disposition de la Hadopi par le législateur », a ainsi fait valoir Marie-Françoise Marais. « D'autres organismes ont ces moyens », assure-t-elle. En revanche, nous ne saurons pas lesquels.

Il en va de même pour l'évaluation«  des expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance de contenus », confiée à la Hadopi. Ici, c'est selon sa présidente parce que l'Autorité ne dispose d'aucun moyen de contraindre les acteurs privés menant ces informations à divulguer leurs travaux que la mission échoue. Sans action du législateur, il ne pourrait en aller autrement.

Même si les travaux se révèlent plus productifs pour tout ce qui touche l'étude de la lutte contre le streaming illégal ou le déréférencement des contenus frauduleux des moteurs de recherche, la Hadopi manque donc ici à deux de ses obligations, dont la première revêtait une importance cruciale, puisque c'est elle qui devait permettre de fluidifier le volet répressif de la riposte graduée.

Dans l'expectative de la mission Lescure

Reste à savoir ce qu'il adviendra de la Hadopi et de la riposte graduée : passage du pénal à la contravention pour simplifier la répression, nouveaux moyens, nouvelles missions ? Si les responsables de la Haute Autorité ont un avis sur la question, ils se gardent bien de l'exprimer. Interrogée à plusieurs reprises lors des échanges avec la salle quant aux évolutions possibles, Marie-Françoise Marais a systématiquement renvoyé vers les travaux de la mission Lescure, dont les conclusions influenceront les futurs projets de loi en matière de défense du droit d'auteur. Si des échanges informels ont déjà eu lieu, la Hadopi n'a pas encore été officiellement auditionnée par l'ex patron de Canal+, qui semble bien décidé à remettre en cause certains des fondamentaux de la loi Hadopi. « Il n'est pas possible de faire table rase du passé », plaide tout de même la présidente.
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