France Brevets et Brevet unitaire européen : aides à l'innovation ou nids à trolls ?

Antoine Duvauchelle
Publié le 10 juin 2011 à 16h51
Le gouvernement a lancé hier France Brevets, une initiative destinée à mettre sur pied un fonds d'investissement en propriété intellectuelle. L'enjeu est de pouvoir commercialiser des brevets dans le monde entier pour le compte d'entreprises innovantes. Ce lancement intervient alors que le mois dernier, 25 pays membres de l'Union européenne avaient validé le principe d'un brevet unitaire, qui pourrait servir de tremplin à France Brevets.

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Les ministres Valérie Pécresse (Enseignement supérieur), Eric Besson (Industrie, énergie et économie numérique), le commissaire général à l'investissement René Ricol et le directeur général de la Caisse des dépôts Augustin de Romanet ont lancé hier un fonds d'investissement en propriété intellectuelle. Son but : valoriser la recherche et le développement (R&D) publique et privée en réunissant des brevets par grands domaines d'application. En clair, des entreprises détentrices de brevets pourront en déléguer la commercialisation et la défense au niveau international.

France Brevets, qui n'exclut pas non plus d'acheter des brevets en son nom, sera doté d'un capital de 100 millions d'euros à terme. Une somme issue en partie du grand emprunt et gérée pas les deux fondateurs paritaires : l'Etat et la Caisse des dépôts. Dans un premier temps, les technologies du secteur hi-tech et numérique seront seules concernées, mais d'autres secteurs d'innovation devraient suivre.

Quelle volonté du gouvernement ?
Sur ce point, le ministère de l'Economie, qui s'est fendu d'un communiqué, est clair : « Il va permettre d'améliorer la valorisation de la R&D publique et privée, notamment par l'exploitation de groupes de brevets réunis en grappes cohérentes et par la mise en œuvre de stratégies de valorisation en France et à l'international. » Buts affichés : soutenir l'économie, protéger les intérêts des PME qui n'ont « souvent ni le temps ni l'argent d'explorer l'ensemble des voies de valorisation des brevets qu'elles déposent, » selon Eric Besson, ou encore soutenir l'investissement dans ces « actifs immatériels stratégiques pour une entreprise ou pour un secteur entier d'activité, » selon Augustin de Romanet.

Un premier contrat a déjà été signé avec l'Institut Télécom. Pour le gouvernement, il s'agit d'un complément au Crédit impôt recherche, et aux pôles de compétitivité. Au ministère de l'Economie, on précise que « les redevances tirées de ces licences seront reversées pour partie aux propriétaires du brevet, après rémunération des fonds propres engagés par France Brevets. »

La France en a-t-elle réellement besoin ?
Evidemment, l'initiative française peut difficilement être considérée séparément de l'actualité américaine, où les brevets sont une source de protection de l'innovation, mais ont des effets pervers connus. Le plus évident est la relative impunité de certains trolls aux brevets, qui se lancent dans l'acquisition et la défense de leurs portefeuilles en justice, où ils peuvent gagner gros. Certains, comme le célèbre Lodsys, sont même spécialisés dans le recours judiciaire, une activité profitable grâce à certains tribunaux laxistes.

Il reste donc à voir le champs d'application des brevets, et les vérifications qui seront faites par l'Etat quant à la légitimité des brevets valorisés. On imagine mal une autorité parapublique favoriser le développement de trolls qui freineront l'innovation plutôt que de la défendre. Pour autant, quel peut-être le but d'une entité détenant des brevets sans qu'il y ait une vision industrielle derrière ? Sans classer France Brevets dans les trolls aux brevets avant l'heure, beaucoup restent circonspects quant à son action.

Brevet unitaire européen
A ce titre, on peut aussi lier l'annonce de France Brevets au débat actuel sur l'opportunité d'un brevet unitaire européen. Proposé par la Commission européenne et validé dans son principe par 25 Etats-membres de l'Union européenne (seules l'Italie et l'Espagne ont refusé), le brevet unitaire doit permettre de faire valider un brevet une seule fois dans un Etat-membre pour en étendre automatiquement la validité dans l'ensemble des pays participants. Une démarche qui doit permettre, selon la Commission, de réduire les coûts financiers et humains liés aux procédures de dépôt de brevet dans chaque pays visé, et d'améliorer leur attractivité.

Ici encore, le but est de favoriser l'innovation par une procédure de facilitation de protection des brevets. Mais ici aussi, le risque est de se retrouver avec un marché du brevet à l'échelle européenne, qui fera l'actualité par des procès retentissants comme aux Etats-Unis. De ce point de vue, l'initiative de France Brevets pourrait être facilitée en trouvant son premier champs d'application automatique à l'Union européenne, et non au seul Hexagone.

Coup de pouce ou cancer pour l'innovation ? L'opportunité de favoriser ou de limiter les brevets a encore à être prouvée dans les faits, et il est aujourd'hui difficile de voir si les systèmes français et européen combinés auront un impact positif ou non. Ce qui est sûr, c'est que si l'initiative de France Brevets pourra soutenir l'économie par la valorisation de la propriété intellectuelle, on risque d'entendre parler des brevets sous peu de ce côté de l'Atlantique. Il y a fort à parier que ce soit dans le cadre de litiges.
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