Mardi, le projet de loi sur l'enseignement supérieur sera examiné en deuxième lecture à l'assemblée nationale. Le texte prévoit notamment de donner la priorité au logiciel libre pour l'ensemble des services et des ressources proposés par les établissements. Reste que la disposition n'est pas du tout du goût des éditeurs de logiciels propriétaires, soutenus une fois n'est pas coutume par l'Inria, établissement public dédié aux sciences du numérique.
La commission mixte paritaire accorde la priorité au logiciel libre
L'article 6 de ce projet de loi est consacré à la « mise à disposition par le service public de l'enseignement supérieur de ressources numériques à destination des usagers ». Lors de son passage au Sénat, il a fait l'objet d'un amendement sur initiative du groupe communiste, républicain et citoyen, intégrant la priorité donnée « aux logiciels libres de droit » au sein des établissements supérieurs pour l'ensemble de ces ressources. La mention « de droit » avait ensuite été retirée le 3 juillet dernier par la Commission mixte paritaire, composée à la fois de députés et de sénateurs. Car, précisons le, tous les logiciels libres ne sont pas par nature libres de droit, le droit des marques pouvant notamment protéger leurs éditeurs.
La loi sur la refondation de l'école fera-t-elle jurisprudence ?
Si cette modification a le mérite d'éclairer le débat et positionne d'autant plus clairement le texte en faveur du monde du libre, elle oblige forcément la mise en perspective de ce projet de loi avec celui sur la refondation de l'école, pour lequel une disposition similaire avait été vidée de sa substance. Un amendement déposé par le gouvernement était en effet venu modifier son article 10, se contentant au final d'émettre un rappel quant à l'existence des logiciels libres et de formats de documents ouverts. Loin, très loin de la version initiale, qui consacrait dans un premier temps leur utilisation prioritaire.
L'Inria surprend en s'engageant aux côtés du monde propriétaire
L'adoption de cet amendement a poussé l'Afdel, représentant des éditeurs de logiciels et de solutions internet propriétaire à adresser un courrier à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, pour l'interpeller sur la version de l'article 6 telle qu'elle sera présentée demain devant l'Assemblée.
« Cette rédaction est très problématique pour l'écosystème numérique que nous représentons parce qu'elle introduit une discrimination injustifiée entre les différents acteurs du secteur face à la commande publique, en fonction de leurs modèles d'affaires et du type de licences ou de leurs modes de commercialisation ». Pour eux, une telle mesure serait donc constitutive d'une certaine entrave à la concurrence, et marquerait une profonde incohérence législative entre la loi sur la refondation de l'école et celui sur l'enseignement supérieur.
Si la position de l'Afdel n'est pas vraiment surprenante, l'Aful (Association francophone des utilisateurs de logiciels libres) s'est en revanche étonnée de voir un établissement public tel que l'Inria co-signer le courrier, en compagnie du Syntec numérique. « Voir ce laboratoire public cosignataire d'une lettre défendant des intérêts privés, nous fait nous interroger sur la recherche publique et la réelle liberté des laboratoires de recherche public français, qui peut-être, dépendent un peu trop des acteurs de l'industrie, notamment les plus gros, pour leur fonctionnement et leur financement », fait savoir l'association dans un courrier adressé au ministère. L'Aful rappelle en ce sens que l'Inria « est mondialement reconnu pour avoir fait avancer l'informatique par la mise à disposition sous licence libre des résultats de sa recherche ».
Après avoir été adopté au Sénat, la version du texte telle que modifiée par la commission doit encore être validée par l'Assemblée.