Logiciel libre : priorité adoptée, la polémique subsiste

Ludwig Gallet
Publié le 10 juillet 2013 à 18h36
Mardi soir, l'Assemblée nationale accordait un droit de priorité au logiciel libre dans l'Enseignement supérieur. Une disposition qui suscite la polémique et pour laquelle se confrontent les représentants des éditeurs libres d'un côté et propriétaires de l'autre.

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L'Assemblée nationale a voté la loi sur l'Enseignement supérieur. Le texte a intégré une priorité accordée à l'usage du logiciel libre pour l'ensemble des services et des ressources utilisées dans les établissements publics.

Cette disposition a agité le monde des éditeurs, le monde propriétaire s'offusquant d'une déstabilisation de la filière logicielle, selon les termes employés en mai dernier par l'Afdel, Association française des éditeurs logiciels.

Il faut dire que l'amendement déposé devant le Sénat par les députés du groupe communiste, républicain et citoyen, modifié et voté le 3 juillet dernier par la commission mixte paritaire du Parlement, a fait couler beaucoup d'encre. Avant le vote des députés, un courrier co-signé par l'Afdel, le Syntec numérique et l'Inria appelait en effet à la suppression de ce droit de priorité.

Atteinte à la neutralité du marché dit l'Afdel

Contacté par nos soins, l'Afdel ne décolère pas. Loïc Rivière, son délégué général, estime ainsi que le gouvernement « n'a pas considéré qu'il s'agissait là d'un sujet d'importance », alors qu'il était intervenu sur la loi pour la refondation de l'école. « Il est assez effrayant de se dire que des entreprises seront privées de marchés publics parce qu'elles ont misé sur un certain modèle économique, une certaine propriété intellectuelle, à savoir la logique propriétaire ». Pour lui, il se cache derrière ce texte une atteinte à la neutralité du marché.

Pour l'April (association de défense du logiciel libre), qui évoque de son côté « un grand jour » pour le monde du libre, cette disposition s'explique par le simple fait que les marchés publics étaient jusqu'à présent faussés par les pratiques de certains grands acteurs. Frédéric Couchet, son délégué général, explique : « Prenez Microsoft, qui accapare une grande partie d'une marché en se permettant de brader ses solutions. La firme jouit aujourd'hui d'un quasi-monopole alors que des solutions tout aussi crédibles existent dans le monde du libre. Il fallait réparer cette injustice ».

« On en revient au fantasme du logiciel libre, qui pour justifier le fait que les gens n'utilisent pas davantage leurs outils géniaux avancent l'argument du marché accaparé par les gros acteurs. Si on met en place des logiciels ergonomiques, qui ne viennent pas bouleverser les usages du grand public et si on mise sur la simplicité, il est plus facile de remporter des appels d'offre » rétorque Loïc Rivière. « S'il y a un domaine où l'innovation est récompensée, c'est bien l'informatique ». Et d'ajouter : « Il ne faut surtout pas croire que cette disposition récompensera des structures nationales. Comme dans le propriétaire, le monde du libre est lui aussi dominé par de grands acteurs internationaux. La plus-value économique est loin d'être évidente. Il faut bien comprendre que nous défendons uniquement l'égal accès aux marchés publics », précise-t-il.

Une incohérence législative ?

Contrairement à la loi sur la refondation de l'école, le gouvernement n'est pas intervenu pour vider de sa substance ou du moins nuancer la priorité accordée au logiciel libre. Pour l'April, c'est bien la preuve que le débat a au moins évolué en faveur des considérations qu'il défendait, à défaut de voir le gouvernement s'engager clairement en sa faveur. « Cette disposition va dans le sens de la circulaire Ayrault sur le logiciel libre publiée le 19 septembre dernier. Je ne pense pas que le gouvernement ait été réellement convaincu. Mais la ministre a eu l'occasion de préciser lors des débats qu'elle comptait sur la sagesse des sénateurs pour trancher. Ce n'est pas l'amour fou, mais il est des amours raisonnables qui peuvent durer des années ».

Du côté de l'Afdel, le son de cloche diffère sensiblement. « À plusieurs reprises, le gouvernement a fait savoir qu'il n'était pas en phase avec l'amendement déposé par le groupe communiste. On peut tout de même se demander pourquoi ce qui a été sagement nuancé pour l'école, en mettant un avant un égal accès aux marchés publics, a été maintenu tel quel pour l'Enseignement supérieur ».

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Quid de la prise de position de l'Inria ?

En marge des discussions du projet de loi, la prise de position du président de l'Inria avait également suscité la polémique. Loïc Rivière explique que Michel Cosnard a été approché par l'Afdel, « parce que nous étions certains qu'il partageait la conviction de la neutralité (...) Nous lui avons proposé de s'associer à notre démarche, parce que nous savions que l'Inria ne se reconnaitrait pas dans un modèle discriminatoire. Cet établissement public contribue à l'innovation pour, à terme, favoriser la création d'entreprises. Michel Cosnard s'est donc uniquement contenté de faire part à sa ministre de tutelle que le texte de référence était en contradiction avec les valeurs prônées par son organisme ».

Reste que l'April dénonce le fait que cette prise de position ait été effectuée sans la moindre concertation en interne. « Voir l'Inria s'engager aux côtés du lobby de Microsoft montre bien qu'il y a eu un certain vent de panique alors qu'ils sentaient que l'amendement était légitime et avait toutes ses chances d'être adopté ».

Un risque de rejet ?

Dans son courrier adressé à Geneviève Fioraso, l'Afdel mettait en avant le fait que la disposition incluse dans le projet de loi s'avérait illégale. « Les faits prouvent le contraire », répond l'April, qui relève des mesures semblables prises dans plusieurs pays européens. « Pour la refondation de l'école, Vincent Peillon avait cédé aux pressions en mettant en avant des difficultés juridiques. Nous lui avions par la suite adressé un courrier pour demander des précisions. Nous n'avons reçu qu'un accusé de réception, aucune justification. Les parlementaires ont été clairement convaincus par nos arguments. En face, il n'y a eu que des affirmations (...) Maintenant on n'est jamais sûr de rien, on peut se tromper ».

En face, justement, on concède qu'il n'y a plus grand-chose à faire suite au vote de l'Assemblée, mis à part la poursuite « du travail de sensibilisation », étant donné que « les gens du libre jouent sur l'incompréhension ». Loïc Rivière dit ne pas comprendre. « Pourquoi il faudrait demander à la loi de créer des barrières ? Si un appel d'offre concerne les logiciels libres et propriétaires, la moindre des choses serait de se prononcer après la réalisation d'études sur le sujet ».

Pour lui, reste la possibilité qu'un groupe parlementaire saisisse le Conseil constitutionnel pour évaluer le bien-fondé de la disposition. « Dans tous les cas, il y aura tôt ou tard un litige porté devant les tribunaux. Ce sera alors le moment de soulever une question prioritaire de constitutionnalité ».

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