Sur la page d'accueil de Google, on connait les fameux logos Doodle, et l'on a déjà vu quelques réclames pour des produits maison. Il reste toutefois rarissime que le numéro un mondial des moteurs de recherche l'exploite pour des causes tierces, surtout de façon aussi visible. Lors d'un accès depuis les Etats-Unis, la page affiche un logo voilé de noir, lequel renvoie vers une pétition invitant à dénoncer le danger que représentent les textes SOPA (Stop Online Piracy Act, déposé à la Chambre des représentants) et PIPA (Protect IP Act, déposé au Sénat).
Ces deux projets reviendraient selon Google à « censurer le Web et imposer une régulation nuisible aux affaires américaines ». « Des millions d'internautes et d'entrepreneurs s'opposent déjà à SOPA et PIPA », argue encore le moteur, qui rejoint ici le très large mouvement de contestation engagé sur le Web en cette journée du 18 janvier. Dans le reste du monde, le logo Google n'est pas voilé, mais un lien pointant vers cette page de contestation figure sous le champ de recherche. L'encyclopédie Wikipedia a elle aussi, comme annoncé, viré au noir.
De nombreux sites ont déjà basculé vers le black-out, ou s'apprêtent à le faire dans les heures qui viennent. La liste constituée par sopastrike.com en compte déjà plus d'une centaine, parmi lesquels des grands noms tels que Craigslist, Mozilla, Boing Boing, le réseau I Can Has Cheeseburger ou Minecraft.net, qui a choisi un rouge vif très zombie style. Les soutiens de ce mouvement estiment que plus de 7 000 sites et blogs devraient le rejoindre au cours de la journée.
« Imagine a world without craigslist, Wikipedia, Google, (your favorite sites here)... »
SOPA et PIPA visent pour mémoire à doter l'arsenal législatif américain de moyens d'action efficaces contre tous les actes de contrefaçon constatés sur Internet. Poussés par les industries de la musique et du cinéma américaines, les deux textes prévoient notamment que les autorités puissent imposer, sans procédure judiciaire, aux fournisseurs d'accès à Internet le blocage d'un site via DNS dès qu'une infraction au droit d'auteur y a été constatée.
Tous les opposants dénoncent cette mesure expéditive, qui viendrait remplacer la procédure de cease and desist actuellement en vigueur et ferait courir, selon eux, le risque d'une censure abusive de certains sites ou services. Ils supposent également que tout acteur du Web qui entretiendrait des relations commerciales (régie publicitaire, fourniture d'un moyen de paiement) avec l'un de ses sites illégaux puisse être à son tour poursuivi. Ramenée au niveau français, le couple SOPA / PIPA ressemble donc à un combiné des mesures les plus controversées des lois Hadopi et Loppsi...
Les détracteurs ne nient pas la justesse de la cause, mais les moyens mis en oeuvre. « Les membres du Congrès essaient de faire la bonne chose en luttant contre les et les contrefacteurs mais SOPA et PIPA sont un mauvais moyen de le faire », écrit par exemple Google, qui reste l'un des plus mesurés. Comme nous le signalions hier, la Maison Blanche elle-même s'est ralliée à ce point de vue.
Après diverses péripéties, SOPA est pour l'instant au point mort, mais l'instigateur du projet a annoncé mardi qu'une version révisée du texte serait soumise à la Chambre des représentants courant février. Son homologue PIPA doit quant à lui faire son retour au Sénat pour un vote le 24 janvier prochain.
La censure que s'appliquent préventivement ces nombreux sites Web fera-t-elle pencher la balance ? Il est certain que le poids de Google, Wikipedia et consorts vaudra à la grève anti-SOPA (sopastrike) un important retentissement médiatique. D'aucuns soulignent toutefois le caractère un peu vain de la manoeuvre. Pour Chris Dodd, sénateur et président de la MPAA (Motion Pictures Association of America), il s'agirait d'une « réponse irresponsable », d'un « abus de pouvoir » et d'une « gesticulation dangereuse ». Dis-nous, Chris, le filtrage par DNS et son efficacité toute relative ne pourraient-ils pas être qualifiés de même ?