Santé et numérique : big data et bracelets connectés au coeur des débats

Xavier Biseul
Publié le 22 mai 2015 à 11h38
Le numérique bouleverse le secteur de la santé en soulevant un grand nombre de questions éthiques. Invités à en débattre, le CNNum et la Haute Autorité de Santé partagent (presque) les mêmes convictions.

« D'ici 15 ou 20 ans, le diagnostic médical sera fait par un supercalculateur. En brassant d'immenses bases de données et en les comparant aux symptômes et à l'ADN du patient, il pourra en fonction de son hygiène de vie proposer une prescription. Le rôle du médecin ne sera pas amoindri, il sera différent ». Cette prophétie, on la doit à Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique (CNNum), qui - il fallait oser - était invité à s'exprimer entouré de médecins aux Salons Santé Autonomie.

Pourtant, son débatteur Jean-Luc Harousseau, médecin hématologue et président de la Haute Autorité de Santé (HAS), a admis cette évolution de la médecine. Watson, le supercalculateur d'IBM, assiste déjà les professionnels de santé aux Etats-Unis. La machine traitera d'ailleurs les données collectées par Apple dans le cadre de ses programmes HealthKit et ResearchKit. Mais le « Docteur Watson » ne sera, à ses yeux, qu'« une aide à la décision du médecin. L'homme conservera son rôle, ne serait-ce que pour interpréter les résultats. Avec l'allongement de la durée de vie, il faut aussi de plus en plus prendre en compte la conjonction de plusieurs pathologies et coordonner les soins. »

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Si les médecins se sont informatisés, parfois sous la pression de l'Assurance maladie, ils doivent toutefois prendre en compte la nouvelle donne qu'introduit le numérique. « Les étudiants en médecine doivent savoir qu'ils n'utiliseront plus le stéthoscope de Laennec », s'amuse le Professeur Jean-Luc Harousseau. D'autant que le regard du patient a changé. S'informant sur les blogs et les forums de discussion, « il ne considère plus le docteur comme un dieu tout puissant. C'est pourquoi nous travaillons, à la Haute Autorité de Santé, sur le principe de décision médicale partagée patient-médecin. »

Les risques de l'auto-mesure de soi

Si le diagnostic informatique est pour demain, tout un chacun peut déjà mesurer avec un simple bracelet connecté le nombre de pas parcourus ou de calories brûlées dans la journée, sa tension, son rythme cardiaque, etc. Cette tendance au « quantified self » peut déboucher sur une forme de médecine préventive, avec les risques afférents en ce qui concerne l'intégrité des données personnelles. Mais pas seulement : « on peut craindre un excès de normalisation, trop faire baisser la glycémie peut dans certaines circonstances s'avérer contre-productif », plaide Jean-Luc Harousseau. « Ajoutons qu'il n'y a pas encore de preuve de l'utilité d'un podomètre, renchérit-il. Il faut donc pouvoir évaluer les applis de santé. »

Pas question de passer au crible les plus de 100 000 applications mobiles qui encombrent les app store, mais la Haute Autorité de Santé entend donner un cadre pour juger de la fiabilité des applications les plus représentatives en France. La démarche serait la même que celle déjà engagée pour les logiciels d'aide à la prescription des médecins et d'aide à la dispensation utilisés par les pharmacies pour la délivrance des médicaments ; en publiant des référentiels notamment.

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Benoît Thieulin redoute, de son côté, une collusion commerciale. « Comment vérifier qu'une appli ne soit pas juge et partie ? Qu'elle utilise la mesure de mon pouls pour me vendre des médicaments contre la tension ? » Sans parler de l'intérêt évident des mutuelles pour ces données de santé. « Je n'ai pas envie de voir ma police d'assurance augmenter parce que je fais moins de sport. » Il réclame donc une évaluation à la fois juridique, technologique et ergonomique de ces applis.

Ne pas laisser les Google, Apple et Facebook gérer notre santé

En filigrane, se pose la question de la privatisation de la santé. Après la vague de dématérialisation avec notamment la carte Vitale, les investissements à venir pour monter les plateformes de la santé connectée sont d'un autre ordre. « Les Etats feront ils cet effort ? Ou laissera-t-on la Silicon Valley décider de ce que sera notre santé demain ? », s'interroge Benoît Thieulin. Avec la question de la loyauté de plateformes tenues par des acteurs commerciaux dont on connaît la puissance dans les moteurs de recherche et les réseaux sociaux.

Pour ne pas laisser Google, Apple, Facebook ou Amazon régir notre santé publique, il faut selon le président du CNNum réagir vite et au niveau européen. Et cette fois, il faudra bien négocier avec les Américains prévient le président du CNNum : « Pas question de se laisser rouler dans la farine comme lors de l'accord Safe Harbor de 2000, obtenu au détriment de Bruxelles. »

Les discussions actuelles sur le pacte d'échange transatlantique TTIP (Transatlantic trade and investment partnership) ne sont pas mieux engagées. Il y a un an, dans un avis, le CNNum regrettait le manque de mobilisation de l'Europe sur le volet numérique. Dans le domaine de la santé, la localisation des données personnelles est notamment un enjeu crucial. A l'image de la caducée et ses deux serpents, le numérique peut être à la fois le remède et le poison. « Il peut servir au bien-être de l'humanité ou à une surveillance généralisée de la société, bien pire que Big Brother. »

Quand Watson lutte contre le cancer aux USA
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