E-marketing : les risques d'une mauvaise personnalisation

Thomas Pontiroli
Publié le 09 octobre 2014 à 16h26
Si la plupart des sites de vente en ligne personnalisent ce qu'ils affichent selon le profil de leurs visiteurs, plusieurs pièges se présentent devant eux, qu'ils convient d'éviter, au risque d'être contre-productif.

Personnaliser le parcours de navigation d'un internaute sur un site de e-commerce offre une expérience plus riche, améliore le taux de conversion et génère des ventes supplémentaires. Mais la mécanique pour en arriver là est retorse. Hervé Mignot, vice-président chez Equancy, un cabinet de conseil en marketing, nous explique que placer le curseur au bon niveau pour obtenir la personnalisation optimale n'est pas simple.

La spirale de la recommandation

Il existe trois risques majeurs selon lui. Le premier, qu'il a déjà constaté au contact du marché, est qu'encore trop de responsables marketing appréhendent la personnalisation à travers le prisme des outils. C'est-à-dire qu'ils ont mis la main, par exemple, sur un moteur de personnalisation. Alors ils se mettent à recommander des produits complémentaires à tout va. Concrètement, lorsqu'un consommateur achète un appareil photo, ce type de moteur va lui suggérer une housse, une carte flash ou un article commandé par un autre client.




« Avant d'en arriver là, il faut connaître ses clients. C'est la grande différence entre personnaliser l'affichage des produits et personnaliser l'expérience client », commente l'expert. Mais même en sachant quoi afficher, plane toujours le risque d'enfermer ses visiteurs dans une sélection de produits dont ils ont déjà consulté la fiche. Dans ce cas, comment valoriser le reste de son catalogue, inspirer ses prospects et ne pas les écœurer ?

Hervé Mignot parle de paradoxe : « Plus un e-commerçant personnalise sa suggestion de produits, et plus il devra disposer d'articles en rayon. » Le risque est de réduire son catalogue à une liste finie de produits, laissant croire que le choix est limité. Un gros catalogue permettra de proposer de nombreux produits proches, mais jamais identiques. Il offrira aussi la possibilité de laisser la porte ouverte à la découverte.

Un impact sur les ressources humaines

Derrière l'anglicisme crosscanal se cache un principe tout simple : comprendre qu'un consommateur a acheté un produit A sur sa tablette et qu'il n'y a plus besoin de lui afficher une publicité pour ce produit A sur son PC. Cette compréhension permet à un annonceur de mieux gérer ses dépenses, et de mieux viser sa cible.

Pour y parvenir, cela demande de récolter et de croiser de nombreuses données (comportement de navigation PC, mobile, historique d'achat, taux de clic sur les bannières, et bien d'autres). La finalité est donc bien de personnaliser l'affichage des publicités à chaque internaute. Pour l'heure, cela relève de la prouesse. Car si la difficulté apparaît d'abord comme technique, il ne faut pas négliger les aspects internes à l'entreprise.

Alexandre Ehrhardt, vice-président e-marketing chez Orange en sait quelque chose. « Pour apporter une expérience crosscanal cohérente et consistante, il faut une transversalité sans faille en interne, car chaque brique de données appartient à un métier différent », souligne-t-il. Chez l'opérateur, « cela suppose de décloisonner les équipes des SI, RH, matériel, logiciel... pour que les données communiquent entre elles ». D'après Experian, la moitié des échecs d'une stratégie crosscanal vient d'un problème entre les équipes.

Le difficile croisement des données

« Alors que les informations de navigation seront en front office, sur le Web, celles de la relation client pourront se trouver dans un entrepôt de données », poursuit Hervé Mignot. L'expert d'Equancy propose dans un premier temps d'identifier les sources de données avant de se lancer dans un chantier de personnalisation, et si possible, de s'appuyer sur une plateforme de gestion des données (DMP), censée les centraliser. L'avantage de la DMP est qu'elle adapte un site à la volée, en analysant des informations en temps réel.

« Il vaut mieux personnaliser une expérience à l'instant T plutôt que d'agir en réaction », conseille Hervé Mignot. Mais là encore, pour que la plateforme fonctionne, il faut déjà avoir structuré ses données avant.




Mediapost se targue de pouvoir adresser le bon message publicitaire sur le bon canal, y compris sur un prospectus dans une boîte à lettres. Si ce suivi extrême promet de mieux doser la personnalisation du message, il inquiète la Fevad. Son délégué général, Marc Lolivier, souligne qu'il faut garder un équilibre entre protection de la vie privée et objectif de ventes et rappelle les discussions en cours sur le sujet à Bruxelles.

Respect de la vie privée et transparence

Pour offrir un haut degré de personnalisation de la navigation sans trop effrayer ses visiteurs, Amazon tente la carte de la transparence. Sous la liste des produits suggérés, on trouve un lien pour consulter son historique et même le supprimer - entièrement, ou article par article. Le site propose aussi de désactiver l'historique.

Hervé Mignot considère que la plateforme américaine fait office d'étalon dans le secteur. « L'avantage de cette approche est que l'on traite le consommateur comme un individu mature, plutôt que de lui faire passer des choses en douce ». L'autre hypothèse est aussi qu'Amazon veut se prémunir de critiques et d'attaques. Toujours est-il que cette transparence va plutôt dans le sens du client, et sans sacrifier la personnalisation.

Mais finalement, si on ne personnalisait rien ? Pour l'expert en marketing d'Equancy, c'est un luxe que seules quelques grandes marques, à la notoriété bien établie, peuvent s'offrir : « Des sociétés comme Apple n'adaptent pas l'affichage de leurs produits selon le profil de leurs prospects. Les choses vont dans l'autre sens. Ce sont elles qui veulent dicter ce qu'il faut acheter, et choisissent quels articles mettre en avant. »


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