La start-up française travaille actuellement sur Atea, un modèle hybride entre un avion et un hélicoptère, électrique et quasi-silencieux, qui décolle verticalement et est destiné à desservir des zones urbaines.
Vous avez sans doute entendu parler du projet commun d'ADP, d'Airbus et de la RATP, qui souhaitent faire voler des taxis volants entre l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle et des sites olympiques à l'occasion des Jeux de Paris 2024. Ascendance Flight Technologies est lié à ce projet. La start-up française est en train de développer son propre aéronef à décollage et atterrissage vertical (VTOL), Atea, en référence au dieu de l'espace de la mythologie polynésienne. Le taxi volant électrique, qui peut transporter 4 personnes dont un pilote, pourrait être commercialisé dès 2025 avant de se déployer plus massivement en 2030 dans une version autonome.
Pour en parler plus longuement, Clubic a rencontré Jean-Christophe Lambert, fondateur d'Ascendance Flight Technologies, à l'occasion du Salon du Bourget, le 19 juin 2019. L'ingénieur, titulaire d'un master en business et fort d'une expérience de neuf années chez Airbus, s'est lancé dans l'aventure en compagnie de Clément Dinel, Benoit Ferran et Thibault Baldivia, après avoir contribué au programme d'avion électrique E-Fan cher à Arnaud Montebourg, qui avait traversé la Manche en 2015. Ensemble, ils ont pris conscience de la révolution qu'était la propulsion électrique et hybride. Aujourd'hui, Ascendance ne compte à peine qu'un peu plus d'une dizaine de cerveaux dans ses rangs. Mais avec des idées et une bienveillance du secteur de l'aéronautique à son égard, la start-up peut rêver d'un avenir porteur.
Interview de Jean-Christophe Lambert, co-fondateur et CEO d'Ascendance Flight Technologies
Clubic : Jean-Christophe, pouvez-vous nous présenter votre taxi volant dans les grandes lignes ?Jean-Christophe Lambert : Notre produit s'appelle Atea et est un mix, un modèle hybride entre un avion et un hélicoptère puisqu'il décolle verticalement. L'objectif est de l'intégrer en zone urbaine pour éviter d'avoir des pistes de décollage de 800 mètres ou d'un km de long. Il est prévu que l'on décolle d'un skyport ou d'un héliport. Après un décollage en tout électrique, il entame une phase de croisière en hybride, pour pouvoir transporter des personnes, aller loin et voler vite. Il atterrira également de façon verticale.
Il ne s'agit que d'une première étape, notre objectif étant d'aller vers une version tout électrique dans le futur, et même vers un modèle entièrement autonome à échéance 2030. Nos essais en vol, eux, seront autonomes. Il faudra prendre en compte la réglementation et l'adoption de la société qui doit se faire à l'idée d'un taxi volant qui serait privé de chauffeur. Même si un conducteur est parfois la source d'un accident, il conserve un rôle rassurant pour l'usager. Nous débuterons donc avec un pilote et nous adapterons en fonction de l'évolution sociétale.
À ce niveau-là, on peut faire l'analogie avec l'ascenseur. À ses débuts, une personne accompagnait les hôtes d'un ascenseur. Désormais, tout est autonome et ce qui serait choquant, ce serait d'avoir une personne qui fait monter et descendre l'ascenseur.
«Une autonomie de 150 km »
Concernant le tout électrique, vous misez sur quelle échéance ?
Très clairement, aujourd'hui, nous sommes capables de l'intégrer dans l'avion. Ce que l'on attend, c'est l'arrivée de la technologie qui nous montrera qu'il est possible de l'intégrer. Nous l'espérons pour 2027, sachant que l'avion sera commercialisé en 2025. Nous nous sommes benchmarké et étions sur une pollution équivalente en système hybride à une voiture hybride prise dans les bouchons.
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Quelle autonomie espérez-vous pour le taxi drone ?
Aujourd'hui, nous sommes sur 150 kilomètres d'autonomie. Le marché va mûrir, les gens veulent se déplacer, diviser leur temps de trajet par cinq, ce qui nous permet d'accéder aux villes.
Et à quelle vitesse pourra voler Atea ?
Nous allons voler à 200 km/h, ce qui est rapide. Nous allons être sur une offre qui sera plus chère qu'un taxi conventionnel (de 30 à 40%), ce qui reste assez accessible, même s'il s'agit d'une offre de privatisation d'appareil et de transport. Nous devons leur donner un effet de seuil, par exemple, sur un trajet entre le centre de Paris et Roissy, où nous devrions diviser par trois à cinq le prix, selon le trafic.
Combien de personnes peuvent embarquer à bord du taxi drone ?
4 personnes, dont 1 pilote et 3 passagers commerciaux. Par passagers commerciaux, nous entendons aussi un bagage en main et un bagage en soute.
De quoi est fait le taxi drone ?
On est en structure composite. Nous souhaitons posséder l'aéronef le plus léger possible et luttons contre le poids.
« 3 à 4 fois plus silencieux qu'un hélicoptère »
Au niveau de la pollution sonore, on peut imaginer que par rapport à un hélicoptère, celle d'Atea se veut plus faible ?
Exactement, nous serons 3 à 4 fois plus silencieux qu'un hélicoptère. Avant, l'acoustique était une résultante des études et des performances de l'avion qu'on essayait d'optimiser. Maintenant, pour l'intégrer dans un milieu urbain, c'est quelque chose que l'on prend en compte dès le développement. Ce n'est plus une sortie qu'on optimise, mais un objectif de départ.
Ce 18 juin, nous avons signé un partenariat avec l'ONERA (l'Office national d'études et de recherches aérospatiales). L'une des composantes de ce partenariat était de travailler sur l'optimisation acoustique dès à présent.
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Que faire en cas de conditions météorologiques défavorables ?
Le but est que si vous réservez votre taxi et que vous arrivez à l'aéroport sans annulation, nous concevons l'appareil pour qu'il vole selon les conditions maximales acceptables pour un avion, ce qui est important pour avoir le taux de disponibilité le plus important. Cela est pris en compte dans la conception, et ce sera pris en compte durant nos essais.
L'appareil pourra voler entre 2 000 et 2 500 pieds, c'est-à-dire entre 600 et 800 mètres d'altitude. Cela reste une faible altitude, sachant qu'un avion de ligne peut monter entre 30 et 40 000 pieds.
« L'un des objectifs clés du taxi aérien, c'est clairement la sûreté »
Quel est le modèle économique d'Ascendance ?
Nous avons un modèle économique un peu à la SpaceX, à la Tesla. Nous avons un projet très ambitieux mais qui ne sera commercialisé que dans 5 ou 6 ans. Nous allons grossir et lever des fonds, en débutant avec quelques millions d'euros. L'ambition est aussi de monter les effectifs à 30 personnes, d'acheter des voilures, du moteur, tout pour faire l'avion à échelle 1. Il y aura ensuite d'autres levées pour passer à un produit série.
Nous sommes tellement régis par la réglementation que nous sommes obligés de développer de la technologie pour aller sur le marché dans 6 ans. Des Américains le font très bien puisque nous avons des concurrents qui ont déjà levé 100 millions de dollars. C'est un changement d'état d'esprit que nous devons avoir. En France, nous ne sommes pas dimensionnés pour financer ces projets-là et nous prenons du retard par rapport aux Américains.
Où recherchez-vous les investisseurs ?
Nous discutons avec des investisseurs plutôt étrangers, parce que l'on va trouver plus de facilité à appréhender et à gérer ce risque technologique et ce côté long terme. Nous discutons avec quelques Français également.
Les investisseurs peuvent être des institutionnels, des corporate ventures, qui sont des entreprises qui y verraient un intérêt technologique ou business et qui verraient un moyen avec nous de développer très vite des technologies, plus vite qu'eux et à des coûts beaucoup plus faibles parce que nous n'avons pas la structure de coûts d'un gros industriel ; mais aussi des business angels qui ont une appétence pour l'industrie, pour le futur et qui souhaiteraient nous accompagner dans cette fabuleuse histoire.
Quid de la maintenance ?
Il y aura une maintenance, c'est certain. L'un des objectifs clés du taxi aérien, c'est clairement la sûreté. Nous transportons des personnes, on se doit d'être à un niveau aussi sûr qu'un avion de ligne. L'avantage des technologies électriques, c'est qu'elles requièrent moins de maintenance que les technologies à propulsion thermique actuelles, ce qui nous laisse envisager que nous serons compétitifs en termes de coût, ce qui nous permettra de faire baisser le prix du ticket en termes de maintenance.
« Le secteur aérien a bien pris conscience que s'il veut subsister, il a besoin d'évoluer »
Jean-Christophe, nous pouvons souligner que la problématique de l'électrique dans l'aéronautique ne date pas d'hier...
Lorsque nous avons commencé l'avion électrique, nous avions beaucoup de réticence. L'aéronautique est un monde assez conservateur où, lorsqu'il y a une révolution, le besoin de temps et de démonstration prime pour prouver que c'est faisable. À partir du moment où nous l'avons démontré, de nombreux projets se sont développés partout dans le monde, dont le nôtre. On peut voir qu'hier, c'était un concept, alors qu'aujourd'hui, c'est une réalité, c'est le futur.
La prise de conscience environnementale semble avoir fait changer les mentalités au sujet de la mobilité électrique, mais est-ce la seule raison ?
Je pense qu'il y a deux phases. Il y a une phase qui est une démonstration de faisabilité technologique, avec l'arrivée des batteries et leur progrès, ainsi que les moteurs électriques. Et je pense qu'il y a aussi l'aspect sociétal, avec la prise en compte de l'écologie. Le secteur aérien a bien pris conscience que s'il veut subsister, il a besoin d'évoluer, de suivre aussi la société.
Aujourd'hui, nous surveillons différentes technologies. On parle également de l'hydrogène, qui pourrait être une alternative. C'est quelque chose que l'on étudie, tout comme les nouvelles technologies de batterie comme le solid state ou les piles à combustible. Dès que ces technologies seront prêtes, nous serons les premiers à les intégrer dans notre appareil.
Vous avez sans doute entendu parler de cette volonté de certains députés de supprimer les vols internes doublés par une ligne de train, afin de diminuer l'empreinte carbone de l'aviation sur le sol français. On imagine que c'est une bonne opportunité aussi pour vous de vous développer ?
Absolument. Nous devons le voir ainsi, nous sommes dans une phase de transition, et c'est à nous, personnes du secteur de l'aéronautique, de montrer que l'on peut très bien voler, de façon écologique et responsable, et s'intégrer dans un schéma de mobilité qui évolue et qui va évoluer. Il est loin le temps où l'on s'asseyait sur les considérations en se basant sur le business first. Il faut se dire qu'aujourd'hui, le marché est vers l'électrique, vers l'écologique. Nous devons nous inscrire dans cette mouvance.
Un grand merci Jean-Chistophe pour votre temps. Nous ne manquerons pas de suivre les aventures d'Ascendance Flight Technologies !
C'est très gentil, merci beaucoup.