Le module Zarya, observé depuis la navette spatiale début décembre 1998. © NASA
Le module Zarya, observé depuis la navette spatiale début décembre 1998. © NASA

Sans être révolutionnaire, l'arrivée de ce module en orbite marquait le début d'une longue aventure et surtout d'une exceptionnelle coopération entre les plus grandes agences spatiales. Zarya, qui atteint l'orbite le 20 novembre 1998, ne resta pas seul bien longtemps. Et il fait partir aujourd'hui de la « colonne vertébrale » de l'ISS.

Avec la chute de l'Union soviétique, les années 90 démarrent bien mal pour la Russie qui doit gérer une crise économique, une fuite des cerveaux, et un démantèlement d'une large part de ses activités dans les pays satellites de l'Union… L'espace n'est pas épargné, mais il bénéficie d'une aubaine remarquable, car les États-Unis envient plusieurs éléments clés du programme spatial russe. En tête ? Leur incroyable savoir-faire en matière de stations spatiales. Fin 1993, ils signent donc avec la Russie les accords Gore-Tchernomyrdine qui vont permettre des échanges et une coopération pour envoyer les navettes américaines sur la station Mir, et coordonner la construction commune d'une station spatiale internationale.

Sur le plan technique cependant, il reste à s'accorder sur la façon de faire pour assembler une toute nouvelle base orbitale entre les deux grandes agences spatiales. Et quel sera le premier module ? Coupons court au suspense, il est russe et il s'appelle Zarya (Aube).

Zarya est toujours là, pile au centre de l'image, avec ses panneaux repliés. © NASA
Zarya est toujours là, pile au centre de l'image, avec ses panneaux repliés. © NASA

Une histoire politico-économique

Dans le contexte de la crise que traverse alors la Russie, la genèse de Zarya est complexe. Car dans l'ébauche initiale de l'ISS, ce module n'existe pas ! C'en est un autre, ZVEZDA, qui a toujours été conçu comme le centre névralgique de la station internationale avec le poste de pilotage, l'ordinateur central et des capacités de manœuvre. Sauf que ZVEZDA est tout nouveau et que, surtout, il est censé être relié à une foule d'autres petites additions russes : panneaux solaires, écoutilles d'accès, sas spécialisés, module de stockage…

Et tout cela doit être en orbite avant que les Américains puissent venir s'y amarrer. La prise de risque est importante sur le plan technique. C'est pourquoi la NASA va accepter le plan de l'industriel russe Khrounitchev, qui propose un véhicule au design éprouvé comme « première brique » à envoyer avant ZVEZDA, et capable de voler seul.

Les autorités russes rechignent dans un premier temps, mais un accord est vite trouvé puisque ce sont finalement les Américains qui financent ! Eh oui, Zarya est un module au design russe, construit et opéré en Russie, qui a décollé de Baïkonour et… dont l'existence même doit tout à la NASA (on retrouve d'ailleurs dessus un petit drapeau américain).

Le module Zarya peu avant ses tests de préparation au décollage. © NASA/Roscosmos

C'était un modèle militaire, mais chut, on ne dira rien

Le génie de Khrounitchev a peut-être été de proposer son design appelé FGB (Functionnal Cargo Block en russe), sur lequel ont reposé de très nombreux modules de stations spatiales soviétiques. Il s'agit d'un espace pressurisé avec de nombreux rangements, un système de support vie, un ordinateur de bord, des batteries et panneaux solaires indépendants… Bref, une petite station à lui tout seul, mais qui dispose de systèmes d'interconnexions décidés au cas par cas et adaptés selon les besoins.

La plupart des modules de la station Mir sont directement issus du design FGB (Kvant 1 et 2, Kristall, Spektr, etc.), avec plusieurs modifications intérieures et extérieures pour y amarrer des cargos, un sas, des expériences, etc. En soi, c'est un choix « logique » pour une première brique sur l'ISS… Sauf lorsqu'on se souvient que les FGB ont été développés au milieu des années 70 directement pour les militaires soviétiques ! Ils faisaient en effet partie du véhicule TKS dessiné pour ravitailler et étendre au besoin les stations militaires Almaz, jusqu'à ce que ce projet soit abandonné. Ou comment un design bien belliqueux est devenu le centre d'une station spatiale dédiée à la coopération pacifique et scientifique !

Les principaux modules de Mir étaient, eux aussi, des FGB, modifiés chacun selon les besoins de leur mission. © NASA

Un module en temps et en heure !

Ce choix fut cependant bien inspiré, car seulement cinq ans après la signature du premier accord, les deux premiers modules russes et américains sont prêts ! C'est une réussite pour Khrounitchev, qui réussit à envoyer Zarya à Baïkonour dès le début de l'année 1998 pour ses derniers tests avant le décollage. Il est temps, la station Mir est encore active, mais elle est en fin de vie, avec des pannes de plus en plus nombreuses et complexes à gérer. C'est l'heure du neuf ! Zarya est grand, avec 4,11 m de diamètre au plus large et 12,5 mètres de long. Le module pèse 19,3 tonnes au décollage, en sachant qu'il embarque tout de même un maximum de carburant de manœuvre (3,8 tonnes) pour se placer exactement sur l'orbite voulue pour la prochaine station.

Comme on l'a écrit plus haut, Zarya est indépendant, il peut donc en théorie passer plusieurs mois, voire plusieurs années, seul et sans occupant en orbite, même si ce n'est pas son objectif. Le décollage de la fusée Proton a lieu le 20 novembre 1998, et la réussite est au rendez-vous. Le module étend ses deux grands panneaux solaires, allume ses propulseurs pour régler son orbite à 51,6° d'inclinaison et 385 km d'altitude, communique avec le sol et peut même allumer son système de guidage pour les véhicules automatisés russes, la capsule Soyouz et le cargo Progress.

Proton à gauche, navette à droite, les deux premiers décollages au service de l'ISS. © NASA

L'ISS est née avec Zarya

Mais Zarya ne resta pas en orbite seul bien longtemps. En effet, deux semaines plus tard, la navette Endeavour s'en approche, agrippe le module et grâce à plusieurs sorties spatiales, les astronautes lui ajoutent le compartiment central américain Unity le 4 décembre 1998. Il y a dès lors un module russe et un autre américain, c'est une vraie station internationale !

Mais… bon, c'est encore un peu court pour soutenir la vie à bord et surtout, les autres modules, eux, sont un peu en retard, en particulier le grand module de pilotage russe ZVEZDA et le laboratoire américain Destiny. Cela ne va pas empêcher quelques visites de véhicules automatisés ni même une autre mission de navette en 1999 qui restera amarrée cinq jours. Les véritables rotations d'équipage sur l'ISS vont démarrer en novembre 2000, et depuis des humains se sont constamment succédé au-dessus de nos têtes (23 ans, ce n'est pas rien !).

Les premiers astronautes dans le module Zarya, en décembre 1998. Notez toute cette place ! © NASA

Un grand couloir encombré

Et Zarya, alors ? Le module est toujours là aujourd'hui. Tous ses ports d'amarrage sont utilisés : à l'arrière vers ZVEZDA, celui sur le dessous avec le module Rassviet, et sur l'avant avec le module Unity. Les connexions entre ces deux-là (et la poutre centrale de l'ISS, située au-dessus d'Unity) sont nombreuses, et c'est l'une des raisons pour lesquelles on estime qu'il serait pratiquement impossible de désamarrer Zarya de la partie « américaine » de la station.

À l'intérieur, le module russe est aujourd'hui uniquement utilisé pour du stockage, sur quasiment chacun de ses murs des boites et autres sacs souples s'alignent par dizaines : le tout premier module de l'ISS est quasiment relégué à la fonction de couloir de luxe. Ses réservoirs par contre sont interconnectés avec ceux de ZVEZDA, et servent toujours à stocker des ergols pour manœuvrer la grande station.

La cosmonaute russe Anna Kikina au sein du module Zarya en 2022. © NASA/Roscosmos

Aujourd'hui Zarya est sous surveillance. Le module approche lentement du double de sa durée de vie prévue de 15 ans ! Mais, comme il est au beau milieu de l'ISS, impossible de le remplacer : il sera détruit en même temps que le reste de la station, à travers l'atmosphère et dans une rentrée contrôlée au-dessus de l'océan Pacifique. En attendant, le voilà qui a fêté dernièrement ses 25 ans !