La start-up française Naarea promet de fournir une chaleur très haute température et une électricité pilotable, sans émissions de CO2. Sa solution ? Un mini-réacteur nucléaire de 4ème génération ultra-compact, d'une capacité de 40 mégawatts électrique.
Dans la course ô combien indispensable pour décarboner notre production d'énergie, une entreprise française pourrait bien bouleverser les règles du jeu. Fondée en 2020, Naarea développe une technologie de rupture : des mini-réacteurs nucléaires de quatrième génération, capables de produire une chaleur extrême de 700°C et de l'électricité sur demande.
L'idée ? Recycler comme carburant les déchets nucléaires très longue durée issus des centrales actuelles. Ces réacteurs à sels fondus, dépourvus d'eau, peuvent être installés partout sans risque d'explosion. Et leur taille ultra-compacte, équivalente à un semi-remorque, permet de les implanter au plus près des besoins industriels. Une commercialisation est attendue dès 2030. À VivaTech, nous avons pu discuter de tout cela avec le fondateur de l'entreprise, Jean-Luc Alexandre.
Un réacteur nucléaire de poche et modulable, qui doit le rendre irrésistible
Naarea a développé, avec Dassault Systèmes et Assystem, le jumeau numérique d'une centrale nucléaire de quatrième génération, centrale nucléaire qui présente de multiples avantages. Le premier d'entre eux : c'est la taille. Le petit îlot nucléaire, qui est tellement compact qu'il tient dans un conteneur, mesure 12 mètres de long sur 3 mètres de large. Il ne nécessite qu'un périmètre de sécurité de 100 mètres sur 100 mètres, suffisant pour empêcher des activistes ou des terroristes de le franchir, avec ensuite les mêmes exigences sécuritaires qu'une centrale nucléaire.
La taille de la petite centrale lui permet de s'installer pratiquement dans n'importe quelle surface, par exemple un bâtiment, en extérieur ou dans un souterrain. L'installation est tout de suite à disposition de l'industriel, à qui elle peut fournir directement de la chaleur, puisqu'il n'y a pas le fameux problème du transport. « En plus, il n'y a pas besoin de génie civil, car le seul utilisé, c'est pour la dalle antisismique en béton, sur laquelle on pose le conteneur », nous explique Jean-Luc Alexandre, le président et fondateur de Naarea, à la tête d'une équipe déjà constituée de 250 personnes.
La petite taille est un argument pour l'installation, mais aussi pour la déconstruction. « Lorsqu'on démantèlera, on pourra tout enlever, il ne restera rien. On peut aussi rajouter des modules, comme on le ferait avec des Lego, si la structure grandit ». Vous l'avez compris, on a donc affaire ici à un outil modulaire, capable de générer autant de puissance que possible.
Le fonctionnement du petit réacteur détaillé
Le cœur du réacteur est la partie la plus importante de l'installation : c'est ici que se passe la réaction nucléaire. On y extrait la chaleur avec différents étages d'échangeurs de chaleur, et on sort du conteneur à 700°C en phase liquide. De l'autre côté, on aspire tous les gaz de fission produits, pour ne pas polluer la réaction neutronique à l'intérieur, ni pour avoir de pression dans le réacteur, « donc vous extrayez les gaz, vous les traitez et les stockez en phase solide », ajoute Jean-Luc Alexandre.
Le cœur est constitué d'un matériau, une céramique, qui est très importante. Elle permet de fabriquer des éléments à l'aide de l'impression 3D. « Il n'y a plus de soudure, c'est le grand défi du nucléaire de demain. On évite les soudures autant que faire se peut ».
La mini-centrale n'a pas besoin d'eau pour fonctionner, du pain béni pour l'environnement
Outre l'avantage de sa petite taille, le petit réacteur de Naarea possède une autre propriétaire salvatrice, un argument écologique majeur. « L'eau est sacrée, c'est une ressource qu'il faut préserver », nous rappelle Jean-Luc Alexandre. « L'ensemble des réacteurs dans le monde est refroidi avec de l'eau majoritairement, car ils ont besoin d'être refroidis en continu, mais aussi en cas de perte de l'ensemble des équipements qui sont autour, ce que l'on appelle la "puissance résiduelle" ».
Ici, le réacteur est tellement petit que Naarea a réussi à montrer que l'eau n'était tout simplement pas nécessaire à son fonctionnement. Au lieu de ça, la start-up évacue la puissance résiduelle avec un échange thermique avec l'air, « ce qu'on appelle la "convection naturelle", qui change la donne ». La petite taille rend cela possible. « Si le réacteur devient plus grand, on atteint alors une limite, qui nous pousse à rebasculer sur de l'eau », ce qui n'est absolument pas le but recherché, dit Jean-Luc Alexandre.
Naarea a d'ailleurs fait la même chose sur le deuxième conteneur, qui transforme la chaleur en électricité. « Ce n'est pas une turbine vapeur, c'est une turbine au CO2 supercritique. Cela tombe bien, il y en a plein dans l'air ». Le fonctionnement en circuit fermé permet de ne pas dégager de CO2. Bilan des courses : Naarea utilise un gaz à profusion dans l'atmosphère, tout en préservant l'eau, ressource appelée à se rarifier toujours plus.
Puissance, autonomie et maintenance, le mini-réacteur nucléaire de Naarea ne fait pas semblant
La centrale de Naarea est dotée d'une capacité de 80 mégawatts (MW) thermique (pour dégager de la chaleur), ou de 40 MW électrique. « C'est la puissance électrique des besoins résidentiels d'une ville de 250 000 habitants, comme Bordeaux par exemple », illustre Jean-Luc Alexandre, ancien directeur des nouvelles technologies (CTO) du géant Suez, pour les infrastructures. C'est aussi la puissance des plus gros îlots industriels. Un îlot nucléaire, rappelons-le, est l'ensemble qui comprend la chaudière nucléaire, les installations liées au combustible, et les équipements nécessaires au fonctionnement et à la sécurité du tout.
Concernant l'autonomie, la charge devrait tenir autour de 5 ans en moyenne. Les conteneurs, eux, ont été dessinés pour une période de 100 ans, avec une période de fonctionnement de 50 ans. Tous les 10 ans, comme pour les avions, chaque mini-réacteur sera renvoyé en usine pour être remis en état.
S'agissant de la maintenance, Naarea nous explique que la partie nucléaire sera pilotée à distance. Pendant les cinq 5 premières années, il n'y aura pas de maintenance justement sur l'îlot nucléaire. Sur la partie externe, avec la turbine, une maintenance régulière est prévue, sans interruption. « Tout a été conçu en système plug-and-play », résume Jean-Luc Alexandre. 5 000 capteurs doivent permettre de monitorer l'état d'avancement de maintenance du réacteur en temps réel.
Naarea ne s'arrête pas en si bon chemin et développe, avec une start-up issue du CEA (Commissariat à l'Énergie atomique), un laser qui va permettre de mesurer, en temps réel, l'inventaire des éléments qu'il y a dans les sels fondus. « Quand vous faites de la fission, vous créez des éléments en permanence, mais vous ne savez pas lesquels, il y a une statistique de répartition. Là, l'instrument va prendre la mesure et vous dire "voilà l'inventaire à l'instant T" ».
Calendrier, prix, intérêt pour le mini-réacteur : les précisions de Naarea
Complément idéal des énergies renouvelables, « dont l'intermittence est le talon d'Achille », le petit réacteur, qui ne nécessite plus de stocker l'énergie, va aboutir à la construction d'un jumeau physique, avec un premier prototype espéré en 2027. Suivra un prototype nucléaire en 2028, puis un prototype commercial, le premier de série, espéré en 2029-2030.
Naarea va œuvrer en se qualité de concepteur, fabricant et opérateur-mainteneur du réacteur, dont la start-up fabriquera des pièces et commandera celles restantes auprès de fournisseurs européens. Comme ça, l'entité française n'est dépendante d'aucune chaîne d'approvisionnement et peut réduire ses coûts.
D'ailleurs, l'entreprise promet de fournir une énergie à des tarifs compétitifs. « On garantit un prix de l'électricité décarbonnée inférieur à tout ce qui existe aujourd'hui, en non-intermittent, j'insiste. Si on veut décarboner, il faut être compétitif », complète Jean-Luc Alexandre. Le dirigeant affirme avoir déjà vendu 20% de la production sur 20 ans, auprès des clients venus de tous les secteurs. ACC et sa gigafactory de batteries du Nord en font partie. L'histoire ne fait que commencer pour Naarea.