La NASA a un problème de scaphandres, et ça n’est pas parti pour s’arranger

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 27 juin 2024 à 19h01
La sortie fut terminée aussi vite qu'elle a commencé pour Mike Barratt et Tracy Caldwell ce lundi. © NASA
La sortie fut terminée aussi vite qu'elle a commencé pour Mike Barratt et Tracy Caldwell ce lundi. © NASA

L’actualité est embarrassante pour la NASA, qui a dû annuler deux fois des sorties spatiales en quelques semaines... Et qui fait désormais face à une crise pour l’avenir de ses scaphandres. Collins Aerospace, l’industriel historique sélectionné pour produire la prochaine génération, jette l’éponge et abandonne !

S’il fallait encore prouver que l’on ne choisit pas l’agenda de ses problèmes, la situation des scaphandres à la NASA en cette fin juin en serait un bel exemple. Car le contexte de l’actualité n’est pas très bon : depuis le début du mois de juin, l’agence américaine a dû annuler coup sur coup deux sorties extravéhiculaires sur les flancs de la Station spatiale internationale. Avec à chaque fois un problème indirect lié aux EMU, les imposants scaphandres utilisés par les astronautes, véritables petits véhicules spatiaux indépendants qui leur permettent de travailler jusqu’à 8 h d’affilée dans le vide spatial.

Des sorties annulées au dernier moment

Le 13 juin, au moment d’entrer dans le sas et après plus d’une heure dans les scaphandres, la sortie est annulée : Matthew Dominick éprouve un « inconfort » dans sa combinaison. Ce qui restera privé, pour des raisons évidentes (cela peut aller d’un problème intestinal à une pièce mal réglée qui entraine des frottements) : il faut être à 100 % de ses capacités pour sortir dans le vide, c’est une activité épuisante mentalement et physiquement. Le 24 juin, autre souci.

Cette fois, c’est Tracy Caldwell Dyson qui en a fait les frais alors que les astronautes étaient déjà dans le sas, écoutille ouverte sur l’extérieur : au moment de se débrancher du système de support vie de l’ISS, le tuyau ombilical qui permet d’amener l’eau (qui sert de liquide de refroidissement au scaphandre) vers l’EMU se met à fuir dans l’ensemble du sas. Le casque, les gants de Tracy Caldwell et une partie du sas recouverts d’eau givrée, la sortie extravéhiculaire a dû être annulée. Les astronautes n'ont pas été en danger, mais tout ceci leur fait perdre du temps, d'autant qu'il reste toujours les tâches à l'extérieur à mener.

Les EMU sont des machines qui doivent, comme leurs occupants, fonctionner à 100% sans transiger. © NASA/ESA
Les EMU sont des machines qui doivent, comme leurs occupants, fonctionner à 100% sans transiger. © NASA/ESA

Les scaphandres vieillissent

Si dans les deux problèmes rencontrés en ce mois de juin, les scaphandres EMU ne sont pas 100 % à l’origine de l’annulation des sorties, cela vient souligner une crise qui dure depuis quelques années déjà. En effet, les EMU sont directement issus d’un design datant du tout début des années 80, et dédié au travail sur les navettes STS américaines. Les unités employées sur l’ISS sont vieillissantes et une partie des pièces ne sont plus produites. Dans les années 2000, puis 2010, la NASA avait bien un projet pour les remplacer, mais ce dernier, malgré des centaines de millions de dollars dédiés à la recherche, n’a pas pu aboutir... alors que le temps presse !

Non seulement les EMU ne rajeunissent pas, mais en plus ils coûtent très cher en maintenance et ils sont inadaptés au prochain défi de la NASA, celui de la (re)conquête lunaire. Mise sous pression, l’agence américaine a lancé en 2021 un appel d’offres pour confier la fin du développement et la production de futurs scaphandres dans un de ses célèbres contrats public-privés. Collins Aerospace et Axiom Space remportent les contrats en 2022, pour un maximum de 3,5 milliards de dollars sur 12 ans.

Collins tombe à l’eau, qui reste-t-il ?

La NASA pensait avoir couvert ses besoins. Les deux industriels travaillent chacun sur une version « espace » dédiée à l’ISS et à une version « lunaire », tandis que l’agence américaine a donné une priorité pour que la concurrence ne soit pas trop forte : Axiom vers la Lune, Collins vers l’ISS. Mais patatras ! Ce 25 juin, après des premières fuites dans la presse, Collins Aerospace a confirmé une « mise en pause » de ses travaux pour un futur scaphandre avec la NASA, affichant en revanche la poursuite de ses activités de maintenance des EMU actuels. L’agence américaine va donc devoir se tourner uniquement vers Axiom Space, ou bien sélectionner un autre industriel pour prendre la place de Collins. Ce qui n’est pas aussi facile que de claquer des doigts, car il n’y avait pas légion de propositions sur cet appel d’offres très exigeant. La version extravéhiculaire des combinaisons de SpaceX, qui devrait voler d’ici quelques semaines en orbite avec la première mission privée Polaris, ne coche elle-même pas toutes les cases.

Les futures combinaisons d'Axiom Space en test. © Axiom Space

Pour Axiom Space, la route n’est pas non plus sans obstacle. Alors qu’elle est encore très jeune, la structure basée à Houston gère déjà des vols commerciaux d’astronautes vers l’ISS, la fabrication de plusieurs modules d’une future station privée, et la future génération de scaphandres. Des activités qui nécessitent toutes d’énormes investissements en amont ! Ils ont cependant, avec le retrait de Collins, une large avance dans le développement des futures combinaisons extravéhiculaires et les images des tests réalisés le mois dernier avec les astronautes Douglas Wheelock et Peggy Whitson sont encourageantes. Elles permettent d’espérer que, côté américain, il n’y ait pas un manque criant de ces indispensables éléments d’ici quelques années.

Source : Ars Technica


Par Eric Bottlaender
Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (8)
Catstom

C’est étonnant qu’à notre époque ils n’aient pas encore trouvé quelque chose de plus confortable/maniable comme scaphandres…

mcbenny

On peut aussi s’étonner qu’ils arrivent à faire rentrer un « support vie » couvrant l’oxygène et la gestion de -200 degrés à +200 degrés dans une grosse combinaison de ski !

Kratof_Muller

Des scaphandres Boeing ?

Martin_Penwald

Ben allez-y, allez leur expliquer comment faire.

Yorgmald

Ce qui surprend est qu’il veulent faire de nouveaux scaphandres pour l’iss alors qu’elle va être abandonné et détruite dans pas fort longtemps.

MattS32

C’est surtout une question budgétaire sans doute. Ça permet de les financer avec des budgets prévus pour l’ISS, mais ensuite ils pourront aussi les utiliser comme base pour d’autres missions.

xryl

Contrairement à ce qui est présenté dans la presse, il ne s’agit en rien de scaphandre (comme pour la plongée dans Tintin ou les premières sorties de Cousteau). Il s’agit de véhicules spatiaux miniatures. EMU = Unité de déplacement extravéhiculaire. Et comme pour tout véhicule spatial, il faut supporter des contraintes qui sont autrement plus complexe que l’étanchéité ou la gestion de la température. Il faut pouvoir se déplacer (donc avoir des propulseurs dans toutes les directions ou orientables), il faut pouvoir gérer une réserve de masse à éjecter, il faut prévoir de gérer des collisions avec des micrométéorites et autres débris, il faut prévoir de multiple systèmes de secours, etc…

Et tout cela, tout en restant un minimum flexible.

Le problème actuel, c’est que pour le pékin moyen, le « scaphandre » fait gros et volumineux, donc la première demande, c’est de réduire son volume, en imaginant que moins de volume = plus flexible / plus confortable. Or, dans la réalité, le volume, on s’en tape du moment que la liberté de mouvement est bonne. Au contraire, plus c’est volumineux et plus c’est sécure.

Sur la conception des années 80, finalement, la « peau » du scaphandre, peut être peut-on l’améliorer, mais on va gagner quoi ? 1cm de moins d’épaisseur?

Le volume de l’air, des gaz, de l’eau ne peut pas être réduit. La propulsion ne peut pas être assurée par un moteur ionique (trop lent par rapport à la durée de la mission et des besoins de déplacement), bref le volume global ne peut pas changer en fait.

Reste la flexibilité, et là, franchement, il ne faut pas croire que les anciennes versions souffrait d’une moindre lacune.

philouze

En tout cas faut reconnaitre que les scaphandres lunaires de la dernière génération ( ceux avec la double visière blanche/rouge ) font incroyablement plus modernes et sophistiqués en 1972 qu’en 2024.
Quoi qu’on en dise en 40 ans on a eu des gains sur les matériaux ( dyneema, carbone, plastiques enrichis en graphènes nottament ) et sur tout ce qui est controle électronique, énergie embarquée n’en parlons pas le gain volumique et massique est juste gigantesque entre les petites batteries au plomb spiralées - le top du top en 1969 - et nos Li-Ion d’aujourd’hui. Tout l’accastillage du genre éclairage avec les LED itou.
Force est de constater que non seulement ça ne se ressent effectivement pas visuellement, mais visiblement les mecs touchent des millions (un milliard pour le programme scaphandre complet) et n’y arrivent pas.
L’hypothèse de la boite qui aspire les subv, paye grassement dirigeants et ingés sans pression puis jette l’éponge sans vraiment de conséquence n’est pas une hypothèse stupide.

On rappelle que si les parties non blanches exposées au soleil prennent bien jusqu’à +200 ( ce qui est géré dans n’importe quel mécanique thermique, le « -200°C » est théorique, l’espace c’est du vide et ta perte est exclusivement radiative, une simple dispersion par réseau de chaleur gère ça, et le gère depuis Gagarine hein…
Quand au différentiel de pression, en scaphandre c’est seulement 0.3bars, 1/10ème d’un pneu de bagnole un peu surgonflé !
raison pour laquelle on l’opère en 100% O².
Alors oui redondances toussa, mais bon, les soviets ont réussi à la perfection, les ingés d’il y a 65 ans, les chinois… non clairement y’a un soucis et il n’est pas purement technologique