Des chercheurs de l'Université de Chicago ont découvert comment manipuler les défauts microscopiques dans des cristaux pour y piéger des informations. Une méthode de stockage optique de données ultra-dense et potentiellement plus durable, capable de surpasser les limites des disques SSD actuels et de transformer les infrastructures cloud existantes.

Les besoins en stockage de données augmentent de façon exponentielle, ce qui nous mènera nécessairement un jour aux limites physiques de nos technologies actuelles. Big Data, essor de l'Internet des objets (IoT) et intelligence artificielle : trois domaines qui mettent particulièrement sous pression les infrastructures de stockage existantes.
Dans les années 2010, les SSD se sont démocratisés (même si leurs balbutiements remontent aux années 1950) et ont complètement révolutionné notre rapport au stockage par rapport aux disques mécaniques (HDD). Aujourd'hui, ils commencent déjà à montrer leurs limites en termes de densité d'information et de durabilité.
Cette équipe de chercheurs (Leonardo V. S. França, Shaan Doshi, Haitao Zhang et Tian Zhong) ont développé une technique permettant de contrôler des défauts cristallins à l'échelle atomique dans des matériaux « dopés » aux terres rares. Une découverte qui pourrait non seulement transformer radicalement nos capacités de stockage de données, mais aussi révolutionner les technologies quantiques émergentes.
En exploitant simplement la lumière pour « écrire » et « lire » des informations dans ces défauts cristallins, il serait possible de créer des supports de stockage d'une densité inégalée, sans nécessiter les infrastructures lourdes et énergivores des centres de données actuels. Les résultats de leurs travaux ont été publiés dans la revue Nanophotonics.
Une nouvelle frontière pour le stockage de données
Imaginez un matériau où chaque imperfection microscopique peut devenir un bit d'information. C'est exactement ce que les chercheurs ont réussi à démontrer avec l'oxyde d'yttrium (composé chimique inorganique utilisé en optique et en électronique) dopé au praséodyme (Pr:Y₂O₃), un matériau cristallin contenant des terres rares.
La méthode développée, appelée spectroscopie de piégeage optique des charges (OCT), fonctionne de cette manière : une lumière ultraviolette de faible intensité (200-375 nm) est utilisée pour « écrire » l'information en piégeant des électrons dans les défauts du cristal. Pour « lire » cette information, une lumière verte (532 nm) stimule ensuite le matériau, provoquant une luminescence caractéristique qui révèle les données stockées.
Le processus est extrêmement sensible : des intensités lumineuses très faibles, de l'ordre de 5 µW/cm² (l'équivalent d'une LED miniature vue à plusieurs mètres de distance), suffisent pour encoder l'information. En comparaison, nos appareils électroniques actuels consomment des milliers de fois plus d'énergie pour accomplir la même tâche.
Les chercheurs ont identifié deux voies principales pour piéger les charges : soit en excitant directement l'oxyde d'yttrium (Y₂O₃) à 215 nm, soit en ciblant spécifiquement les ions de praséodyme à 275 nm.

Quand l'imperfection devient la clé de l'information
Cette technologie ne pourrait fonctionner si le matériau hôte ne présentait pas des défauts cristallins particuliers, probablement des lacunes d'oxygène, qui agissent comme de minuscules pièges à électrons. Lorsqu'un atome d'oxygène est absent de sa position habituelle dans le réseau cristallin, cela créée des zones où les électrons peuvent être piégés, agissant comme de minuscules réservoirs de charge. Les analyses thermiques ont révélé deux types de pièges dans le matériau, classés selon leur énergie de piégeage, calculée en électron-volts (eV) : des pièges peu profonds (1,0 eV) et des pièges profonds (1,6 eV).
Pour saisir ce concept, on peut imaginer ces pièges comme des trous de différentes profondeurs. Les pièges peu profonds sont comme des cuvettes légères d'où les électrons peuvent facilement s'échapper à température ambiante. Les pièges profonds, quant à eux, ressemblent à des puits dont les électrons ne peuvent s'échapper qu'avec un apport d'énergie extérieur, comme une stimulation lumineuse.
Cette structure à deux niveaux permet de créer un système de stockage particulièrement robuste. Les électrons captifs dans les pièges profonds peuvent y rester indéfiniment jusqu'à ce qu'une lumière verte vienne les libérer, déclenchant alors un phénomène de luminescence – une émission de lumière qui peut être détectée et interprétée comme étant l'information stockée.
La densité estimée de ces pièges atomiques atteint au moins 200 millions par mm³. Pour mettre cette valeur en perspective, cela équivaut potentiellement à stocker des milliers de téraoctets de données dans un volume de la taille d'une pièce de monnaie – une capacité qui dépasse de plusieurs ordres de grandeur celle des technologies actuelles.
Vers des ordinateurs quantiques plus stables ?
Si cette technique porte déjà en elle un potentiel immense pour stocker nos données d'une toute nouvelle manière, ses implications pour l'informatique quantique pourraient être encore plus importantes. Les ordinateurs quantiques actuels souffrent d'un problème qui paraît presque insolvable : la décohérence, ou la tendance des qubits (bits quantiques) à perdre leurs propriétés quantiques en interagissant avec leur environnement.
Les ions de terres rares comme le praséodyme sont des candidats prometteurs pour créer des qubits, mais leur stabilité est souvent compromise par les fluctuations de charges électriques dans leur environnement immédiat. La technique développée par les chercheurs pourrait permettre de « nettoyer » cet environnement en contrôlant précisément l'état des défauts environnants.
Concrètement, cela signifierait des ordinateurs quantiques plus stables, capables de maintenir leurs états quantiques plus longtemps et donc d'effectuer des calculs plus complexes. Les chercheurs envisagent déjà d'affiner cette technique pour permettre un contrôle nanoscopique de l'environnement de charge à l'échelle atomique, en réalisant le chargement et la lecture à travers un objectif de microscope à haute résolution.
La commercialisation à grande échelle de cette technique d'encodage optique n'est pas pour tout de suite. Pour l'instant, les chercheurs travaillent notamment sur l'optimisation de la vitesse de lecture/écriture, la stabilité à long terme des données stockées et l'intégration dans des systèmes informatiques existants. Néanmoins, les résultats préliminaires de leur étude restent extrêmement encourageants.
Si cette technologie tient ses promesses, nous pourrons possiblement un jour stocker nos téraoctets d'information non plus sur du silicium, mais dans les défauts atomiques de ces cristaux « dopés » et manipulés par la lumière. Serons alors potentiellement développés des systèmes de stockage optique, bien moins énergivores que nos solutions actuelles et dotés d'une capacité de mémoire absolument vertigineuse. Graver nos données dans du cristal : peut-être est-ce là l'avenir du stockage numérique.
Source : Nanophotonics
02 mars 2025 à 13h44