Durant la nuit du 3 au 4 mars, sept nouveaux drones ont survolé Paris. Les autorités de la capitale ont pris en chasse l'un deux jusqu'à la porte de Vincennes, avant que l'appareil ne soit récupéré par des hommes en voiture, qui ont pris la fuite. Ce genre de situation s'avère de plus en plus fréquent à Paris. La semaine dernière, un journaliste d'Al-Jazeera plaidait coupable, pour avoir utilisé sans autorisation un drone dans le bois de Boulogne, pour un reportage. Il a été condamné en début de semaine à 1000 euros d'amende, et son matériel a été confisqué.
Après les interrogations liées aux survols de plusieurs centrales nucléaires l'année dernière, on est en droit de se demander pourquoi l'apparition de ces appareils dans la capitale fait l'objet d'une traque de la part des autorités, et si la population doit s'en inquiéter.
Des survols hors-la-loi
Premier point et non des moindres : ces survols sont hors-la-loi. L'arrêté du 11 avril 2012, relatif à la « conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent », réglemente ce qu'il est possible ou non de faire selon leur type.Il est notamment explicité qu'un drone sans caméra ne doit pas voler à plus de 150 mètres de haut, et doit éviter les zones dangereuses ou interdites. Le survol d'une zone urbaine n'est pas autorisé. La loi est encore plus dure lorsque l'engin est équipé d'une caméra : pour réaliser des prises de vue en dehors du cadre privé, il faut une autorisation préfectorale. Ce que le journaliste d'Al-Jazeera, par exemple, n'avait pas.
Dans les cas de survols parisiens, dans la plupart des situations, on ne sait pas de quel type il s'agit. Néanmoins, les vols sont non-autorisés, ce qui explique la réaction des autorités.
Pour Eric Héraud, porte-parole de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) les infractions sont évidentes : « La réglementation est limpide » estime-t-il. Mais il n'est pas simple de trouver les responsables. « Le vrai problème, c'est qu'il est difficile de suivre un drone dans une ville aujourd'hui. Il n'y a pas de radars pour ça à Paris. Et quand bien même c'était le cas, ce ne serait pas forcément efficace pour des drones qui volent bas. On est sur du pas vu, pas pris. »
Défis et provocations
Les drones volent, et les pilotes, eux, se font plutôt discrets. « On a des témoignages, mais les drones récupérés sont rares et les pilotes ne sont pas arrêtés. Les rapports des autorités ne sont pas non plus très explicites. C'est difficile de se faire une idée réelle de la situation » nous explique Frédéric Botton, fondateur du site Helicomicro, consacré aux drones de loisir.Malgré le manque d'informations concernant les types d'appareils embarqués dans ces survols, il a sa petite idée. « Ce qu'on peut supposer, c'est que les professionnels du drone ne s'amusent pas à faire ça. Le matériel est coûteux et ils ont déjà du mal à avoir des autorisations. » Pour l'expert, il s'agit plutôt de « rebelles » qui se lancent des défis, ou cherchent à provoquer. Mais le matériel est au rendez-vous : « Un drone premier prix, à une centaine d'euros, ne pourrait pas voler correctement en zone urbaine » affirme de son côté Eric Héraud. Pour le représentant de la DGAC, « On est sur des drones sophistiqués qui sont préprogrammés pour effectuer un vol. Il n'y a pas de pilotage direct. Avec un GPS intégré, il est facile de suivre un drone à distance sur un trajet défini, et de le récupérer à l''arrivée. »
Une théorie qu'approuve Frédéric Botton. Ce dernier prend soin d'écarter l'amateur qui veut juste s'amuser en défiant la loi : « La programmation de drone est effectivement possible. L'AR.Drone de Parrot le permet, par exemple. Ce n'est pas encore le cas du Bebop. Mais pour être réalisé correctement, cela demande pas mal de connaissances, surtout en survol urbain. »
Le Skycontroller du drone Bebop de Parrot étend grandement sa portée.
En pilotage manuel, la tâche est également limitée. Au-delà du fait qu'il faut avoir l'objet en vue, de nombreux paramètres sont à prendre en compte, notamment la portée et l'autonomie. « Même avec le Skycontroller du Bebop, qui utilise les ondes WiFi et étend la portée, on ne peut pas aller au-delà de 2 km. Et puis en ville, il y a énormément de parasitage. Ça complique la situation et diminue l'autonomie » estime Frédéric Botton.
Le fantasme du drone tueur
Drones programmés, surveillance difficile, pilotes souvent introuvables... Faut-il s'inquiéter de ces survols ? Alors que le plan Vigipirate est toujours à son niveau maximum, la question mérite d'être posée.« Le sujet des drones est entouré d'énormément de fantasmes » considère Frédéric Botton. Si de nombreux radio-modélistes connaissent les appareils de type « multirotors » depuis longtemps, le grand public, lui, ne les découvre que maintenant. « A la base, le drone est un engin militaire, dangereux. C'est un instrument de mort. La plupart des gens n'ont jamais approché un drone, donc ils peuvent en avoir peur, même si de plus en plus en voient en vente et comprennent que ça peut aussi être un loisir. »
Même constat du côté de la DGAC. « Ce sont des appareils qui peuvent alimenter une psychose. J'entends parler de drones qui pourraient transporter du gaz sarin ou des explosifs » raconte Eric Héraud. Des drones utilisés dans une attaque terroriste ? Il n'y croit pas, d'abord pour des raisons techniques : « Les gens s'imaginent souvent qu'un drone de 15 kg peut porter avec lui une charge équivalente. En vérité, un drone de 15 kg va peut-être pouvoir transporter 1 kg d'équipement, mais rarement plus. De fait, si on admet qu'on veut attacher 1 kg d'explosif sur un drone, il faudra enlever d'autres équipements, comme la caméra. »
« Les menaces terroristes sont réelles et l'amalgame est facile. Tout ça alimente la psychose » estime de son côté Frédéric Botton. « Pour moi, utiliser un drone dans une attaque terroriste, c'est déployer beaucoup de moyens pour peu de résultats. Ils ont malheureusement des moyens plus efficaces pour faire du mal... » ajoute-t-il.
Ce n'est pas pour cela que d'éventuels risques n'existent pas. Du côté de la DGAC, on souligne ceux liés à la vie privée. Frédéric Botton relativise « Oui, il y a un risque. Mais quand on est survolé par un drone, on le sait. On l'entend, notamment ! Dans la rue, je m'inquiéterais plus des risques liés aux smartphones. Et les gens qui s'inquiètent de savoir si un drone va photographier leur piscine non-déclarée devraient aller voir sur Google Maps. »
Pour lui, l'un des vrais dangers, c'est la chute. « C'est l'une des raisons pour lesquelles le survol est interdit en zone urbaine. » Un appareil de plusieurs kilos chutant dans une foule pourrait, en effet, faire de sérieux dégâts.
Ne pas céder à la psychose
En somme, la poursuite de ces engins dans les rues de Paris a surtout pour objectif de faire respecter la loi. Loi qui devrait d'ailleurs évoluer très prochainement selon de récentes déclarations du ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve.Les experts recommandent de ne pas céder à la psychose, ni au risque de voir « des drones partout » : « Aujourd'hui, on a surtout des détections à vue. Mais dans certains cas, il est difficile de savoir s'il s'agit vraiment d'un drone ou d'autre chose. Selon la hauteur, évaluer la taille d'un tel appareil est compliqué, à moins de vraiment bien les connaître » explique Frédéric Botton, qui ajoute qu'en toute logique, c'est encore « plus difficile la nuit », comme dans le cas de la traque du 3 au 4 mars.
« Aujourd'hui, il faut clairement admettre qu'il n'y a pas de moyens de détection et de désactivation efficaces » ajoute Eric Héraud. Voir les autorités traquer les drones risque donc de continuer jusqu'à la mise en place de mesures capables de les freiner dans leur course. En attendant, c'est surtout les adeptes du drone de loisir, respectueux de la loi, qui risquent de pâtir de la situation : « Nous sommes très en colère » déclare Frédéric Botton, qui voit d'un mauvais œil le durcissement de la loi. « On paie pour tous les gens irrespectueux » conclut-il.
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